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Van Gogh est un con.

Par Emma Falubert
Van Gogh est un peintre et Van Gogh est un con.
Van gogh est un con parce qu’il s’est évertué à peindre et à repeindre sans cesse, encore et encore, de grandes fleurs prétentieuses et sans raffinement, que la plupart des gens ne connaissent que par les couvercles de boîtes de chocolats de qualité moyenne.
Van Gogh est un con parce que du coup ces gens pensent qu’un artiste est quelqu’un qui s’évertue à peindre des tournesols, avec application et jusqu’à l’excès, pour des couvercles de boîtes de chocolat. Ils jugent toutefois cette activité à la fois saugrenue, inutile mais heureusement inoffensive. En y regardant de plus près, et en découvrant les frasques et les bavures de cet artiste, qui se coupe une oreille lorsqu’il est en colère, qui se bat avec ses meilleurs amis, qui se fait enfermer volontairement dans l’asile le plus ensoleillé de France, ils en concluent que les artistes sont tous des dingues.
Van gogh est un con parce qu’on lui doit ce cliché commun, cette idée reçue, séduisante mais réductrice.
Van Gogh est un con parce que ce n’était certes pas ses objectifs, ni de faire des couvercles de boîtes de chocolat, ni de définir son occupation de cette façon. Ceci dit, Van Gogh est un con parce que s’il n’a jamais nié avoir un « péte au casque », il n’a, à sa décharge, jamais prétendu être un artiste. Ce sont les autres, après coup, comprenant son obsession pour les pinceaux et la palette, interprétant son incapacité à vivre d’une profession dite normale, qui l’ont défini ainsi. Lui en fait peignait. Il peignait pour s’occuper, comme d’autres collectionnent des barbotines ou des porte-clés, astiquent convulsivement et obsessionnellement leurs voitures ou leurs maisons ou se plongent dans la prière et les litanies jusqu’à la béatitude. Tous ces gens, comme Van Gogh, passent leur temps à éviter de voir le vide de leurs propres vies. Alors ils meublent, ils remplissent des interstices, ils comblent des béances, répétant sans cesse les mêmes actions pour ne pas laisser de place au doute et à la perception empoisonnante de l’inutilité de leur vie. Ils s’agitent, s’occupent, s’excitent ou s’abrutissent, pour éviter de vivre et ne pas, dans leur « grande sensibilité » et les déséquilibres affectifs, qui les encombrent, souffrir de ses manques et de leurs impuissances face à ces manques. Van Gogh, dans son obsession de la répétition, dans sa boulimie insatiable de peindre tout et n’importe quoi, sans cesse et sans répit, est emblématique de ce qui deviendra le mal général du siècle suivant : le sens de l’absurde. C’est pour cela que l’on peut dire que bien avant Beckett, bien avant Camus, il est le premier peintre de l’absurde, à l’état sauvage, primitif. Il est le premier peintre qui, tout en semblant vouloir rendre compte de la banalité du réel, le fuit, ou en tout cas le manque, comme on manque une cible, et comme on rate un train, comme on rate un examen. Et dans ce ratage, ces ratages qui l’obligent à toujours se remettre à l’ouvrage, et à peindre des tournesols, des crabes à l’envers ou des pommes à deux balles, il finit par nous en dire plus sur son humeur et ses états d’âme, sur ses manques, ses insatisfactions et sa folie que sur les objets dont il prétend rendre compte. Et parce que dans cette quête infructueuse, il nous empêtre, nous emberlificote dans les méandres filandreux et épais de sa grossière palette, il finit en douce et sans le vouloir par nous étouffer.
Van Gogh est un con parce qu’il n’est pas une respiration, il est un étouffement de narcissisme qui ne dit pas son nom et se cache dans d’obsessionnels tournoiements de ciels peints avec des couteaux… de boucher.
Van Gogh est un con parce que dans la lignée d’un Rembrandt, mais pas pour les mêmes raisons, il a inventé l’autopromotion, en se peignant plus de 25 fois quasiment toujours dans le même sens, avec le même regard, dans le même axe, regardant toujours intensément… Rien. Comme s’il voulait que l’on se souvienne de ce visage tourmenté, pour mieux vendre plus tard ce qui est, grâce aux chocolatiers, devenu la marque Van Gogh.
Van Gogh est un con parce que sans doute involontairement, il a inventé le marketing, lié à l’art contemporain. Il a fait de l’individualisme, de l’introspection répétitive et en boucle, une valeur sure et incontournable, ce qui semble être devenu un vrai argument de vente. Depuis beaucoup se croient obligés de juger une œuvre à l’intensité, à la quantité, à l’épaisseur et au poids de la soi disant âme du créateur, à l’aune de sa personnalité, plus ou moins torturée, avec des variantes comme l’influence de inconscient ou la richesse de la propre histoire de l’artiste (de préférence très douloureuse, évidemment.) Et plus cette matière est singulière, en confinant par exemple à ce que le commun des mortels appelle la folie, plus l’œuvre est considérée comme intéressante et de valeur. Van Gogh est devenu l’archétype de cette approche qui s’est généralisée sans modération. Depuis le début du XX ème siècle et jusqu’aux années soixante-dix, on a donc considéré la folie comme un gage de créativité, d’invention, voire de génie. La faiblesse de l’œuvre de Camille Claudel, par exemple, est excusée, réinterprétée et réhabilitée par sa folie et sa fin tragique dans un asile. Le premier geste de Duchamp n’a longtemps été compris qu’à travers les dérapages spectaculaires du bonhomme, avant d’être compris comme un geste fondateur. Antonin Arthaud, chantre d’un absurde comme champ (et chant) d’une poésie à inventer, est plus connu et reconnu pour et par son beau visage de fou dans le Jeanne D’arc de Dreyer que par la puissance de ses écrits. Plus près de nous le « vol au-dessus d’un nid de coucou » est un éloge de la folie et une défense des « fous » face à l’ordinaire et à la banalité des gens dits normaux. On pourrait multiplier les exemples.
Van gogh (et ses épigones) est un con parce qu’il nous fait oublier que les fondements d’une œuvre sont paradoxalement ailleurs et en tout cas pas dans ces désordres mentaux, ni dans les délires narcissiques de celui qui prétend faire l’artiste. Il nous fait oublier que ce sont les effets que produit l’œuvre qui comptent et lui donnent sa valeur. Ce sont les émotions qu’elle suscite, les pensées qu’elle provoque, ce que cela met en relation dans l’intimité de celui qui regarde, ce que cela établit comme liens entre tous ceux qui regardent, qui font et fondent une grande œuvre. Ce ne sont surtout pas les savoirs et les connaissances, attachés à cette œuvre qui lui donnent sa valeur mais la richesse et la complexité que cela ébranle, que cela engendre chez celui qui regarde. L’œuvre est secrète non parce que l’artiste est un mystère ou un taré mais parce que ceux qui s’y mesurent y voient, y sentent, y ressentent leurs propres questions, leur propre complexité et avec, celle du monde. Les œuvres de Van Gogh, sur la boîte en chocolat ou dans des coffres-forts de banques japonaises, sont loin du compte et ne soulèvent rien de tout cela. On peut même dire que dans cette obsession du moi, dans cette autopromotion de son ego comme sujet, en en faisant un fonds de commerce, il a permis et légitimé bien des dérives qui occupent aujourd’hui le terrain. Il a permis entre autres et par exemple, à Christine Angot de nous emmerder avec ses grandiloquentes et bruyantes douleurs intestines, ou au contraire à la discrète Annie Ernault de nous endormir avec ses vies ordinaires et ses vacuités désespérantes, à Boltanski de nous faire prendre ses vessies gaguesques pour des lanternes d’importances, etc.
Et ce qu’il faut admettre c’est que l’on aurait pu s’en passer.
Et Van Gogh est un con parce qu’il ne l’a pas fait exprès.
Van gogh est un con parce qu’il a inventé le syndrome Van Gogh ! Le syndrome Van Gogh est la crainte permanente, pour le monde de l’art, de passer à côté, de manquer quelque chose d’important, comme à l’époque, pensent-ils, le monde de l’art était passé à côté du Flamand. La réalité,, c’est que Van gogh est resté inconnu à l’époque, simplement, parce que peu de gens avaient vu, ou pu voir ses toiles. Il n’y a pas d’artiste maudit, il y a juste un handicapé de la vie, incapable de se confronter au regard des autres, incapable de s’organiser, maladroit, violent, en résumé infréquentable.
Van Gogh est un con parce que aujourd’hui encore dès que quelque chose semble creux, bizarre, absurde, sans sens, incompréhensible au premier coup d’œil, on s’empresse d’y voir immédiatement la noblesse d’une plainte, l’élégance d’un cri, la beauté d’une douleur. On encense, on argumente. On dissèque, on dépiaute, On raisonne. Souvent à partir de ce qui est en fait une maladresse de style, un manque avoué, assumé ou non, une faiblesse technique, une incapacité à mettre en forme, on prête à l’artiste, de peur de le rater, une intention enfouie, un désir caché, une obsession maladive, une douleur ignorée, un mal de vivre insupportable, lui conférant un dessein que l’on voudrait universel. C’est ça le syndrome Van Gogh. Dans les détails d’une forme bancale, dans un bruit hasardeux, un trait oublié, on ré/invente une vision du monde, lui donne du sens, le sens et l’on construit sincèrement et par incompétence un monde d’impostures et finalement de mensonges.
Et par ces mensonges généralisés, on peut dire que Van Gogh a inventé le travestissement du réel, en le transformant en une scène faussement tragique, et en faisant de la réalité un drame ampoulé et lourdingue. Et c’est le grand bazar et dans ce capharnaüm de bons sentiments, ayant acquis un peu d’épaisseur, on trouve en vrac de vrais charlatans, de faux artistes, de vrais décorateurs, de prétentieux designers, des fumistes de haut vol, des branleurs qui s’ignorent, parfois des artistes sincères, mais ça on verra plus tard…
Van Gogh est un con parce que même mort et enterré avec son frère, le marchand, il pense encore qu’il est totalement étranger à tout ça, à ces fatras réducteurs et pédants. Le pire c’est que même vivant, il ne se serait rendu compte de rien ! Van gogh est décidément un vrai con.
Van Gogh est un con parce qu’il peint des crabes sur le dos, des pommes oubliées juste comme ça, non parce que ça l’inspire mais juste pour s’entraîner à dessiner (!?). Il fait se tordre des tas de soleils jaunes dans des ciels biscornus. Il fait tournoyer des corbeaux imbéciles et grossiers au-dessus de champs de blé où dorment des hommes écroulés sous des meules, et qui donnent du grain à moudre, facilement aux profs en mal de pédagogie. Ils sont alors à l’aise pour expliquer, raconter l’art contemporain à leurs élèves, qui ne comprennent pas ce qu’il y a d’intéressant dans ces couleurs vives et ces formes simples que l’artiste tord, torture et qu’il ne parvient qu’à rendre décoratives (justement pour les boîtes de chocolat). Heureusement et c’est peut-être là le secret de sa réussite c’est que Van Gogh, qu’il peigne des ponts romains des meules de foins, des auberges ou des églises d’Auvers-sur-Oise, nous les arrange toujours comme des décors de disney-land. Il peint la vie en multicolores, y ajoutant des étoiles dans des ciels bleu nuit, rendant assez guillerettes et légères les vues qu’il a données à voir à la postérité.
Van gogh est un con parce qu’il n’est pas parvenu tout à fait à nous faire croire à l’intérêt de ses errances et de ses recherches de couleurs ou de graphisme. À ce propos, de graphisme, Van Gogh dessinait très mal, et n’avait aucune technique. Il faut voir les visages des deux fillettes, peintes en 1890, pour comprendre, ou les arrières trains de chevaux qu’il crobarda à la façon de son ami Toulouse Lautrec, mais qui, loin de la légèreté et la délicatesse de l’infirme, s’apparentent plus au trait de René Pellarin dit Pellos, artiste qui s’illustra quelques années plus tard en dessinant les Pieds Nickelés, mais qui mort à 97 ans n’a jamais pété plus haut que son critérium.
Van Gogh est un con parce que le 30 mars 1987 la compagnie d’assurances japonaise « Yasuda Fire & Marine Insurance » a acheté pour 210 millions de francs français de l’époque un des nombreux tableaux intitulé « les tournesols », donnant le signal d’une explosion artificielle des côtes du Belge et dans la foulée spéculative de tous les autres peintres.
Van Gogh est un con parce que la côte de tous les peintres étant depuis largement surévaluée, cela a donné le signal d’une spéculation effrénée et sans vergogne. Cela a donné le signal, en leur donnant une légitimité et une sorte de caution, à tous les industriels et autres grands distributeurs d’afficher leurs goûts, d’en faire un commerce estimé plus noble que leurs têtes de gondoles, et sans doute de nous donner à voir des œuvres qu’ils auraient gardées au secret. Et ça n’est pas si mal.
Et Van Gogh est un con parce qu’évidemment et encore une fois, il n’y est pour rien, parce que lorsqu’il s’est suicidé, il a emmerdé tout le monde avec son agonie pendant plusieurs jours.
Van Gogh est définitivement un con parce qu’aujourd’hui on l’entend encore gémir.
Frédéric Moreau
Ex artiste peintre amateur (sic)

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