Magazine Société

« La Turquie en Europe ? Et pourquoi pas le Zimbabwe ? » (1)

Publié le 07 août 2008 par Hoplite

Encore un serpent de mer. Ca fait un bail que je cogite la dessus.

Quelques réflexions, qui appellent évidemment la réfutation courtoise, bordel!

1/Arguments constamment mis en avant pour justifier l’intégration européenne de la Turquie : la propagande ordinaire.

-prouver que l’Europe n’est pas un club chrétien, montrer que les européens n’ont pas peur de l’islam, ne sont pas islamophobes, racistes, fermés ou crispés sur des notions identitaires suspectes…

Demande t-on à la Turquie, membre de l’Organisation de la Conférence Islamique -OCI- et de la Ligue Arabe, deux clubs musulmans s’il en est, de prouver qu’elle n’est pas un club musulman ? En quoi serait-il méprisable d’être un club chrétien ? La question ne se pose évidemment plus en ces termes dans cette Europe occidentale largement sécularisée, mais cela traduit bien le terrorisme intellectuel qui interdit aux européens de revendiquer une identité religieuse ou ne seraient-ce que des racines culturelles religieuses, par ailleurs évidentes pour ceux qui veulent bien ouvrir les yeux.

L’Europe est sans doute le continent qui accueillent le plus grand nombre de migrants, notamment en provenance du monde musulman et/ou africain et maghrébin. La Turquie, à l’inverse s’est constamment distinguée dans l’histoire par son hostilité à l’existence de toutes communautés non turques et non musulmanes sur son sol : disparition des communautés chrétiennes et juives, en particulier, historiquement antérieures à la présence Turque, et constamment opprimées voire exterminées (génocide Arménien et Assyro chaldéen). Une sorte d’épuration ethnique et religieuse ouvertement revendiquée mais curieusement soigneusement occultée en Occident…

-soutenir le seul état « laïc » du monde musulman, soutenir le réformisme musulman et la modernisation des sociétés musulmanes, ancrer la Turquie dans ces valeurs « laïques », démocratie et laïcité…

Sans doute le plus mauvais argument des Turcophiles. Faut-il alors intégrer Gaza, la Syrie ou l’Egypte pour soutenir le Fatah ou le parti Baas ou pour soutenir les réformateurs au sein du monde musulman ? C’est LEUR problème, pas le nôtre, de toute évidence.

Par ailleurs, les Turcs ne sont pas des Arabes et sont unanimement considérés, au sein de l’oumma, comme le grand pays apostat qui a trahi sa nature profonde islamo ottomane pour s’allier au Satan occidental et à Israël…Istanbul comme Londres ou Washington figurent parmi les ennemis du Jihad globalisé et de Ben Laden.

Si la Turquie doit résister au tropisme fondamentaliste et archaïque de l’islam, c’est en elle-même qu’elle devra trouver la possibilité de le faire et pas dans l’Occident.

-combattre le  « choc des civilisations » Islam /Occident.

Huntington, souvent cité ou vilipendé par des cuistres, a en fait été peu lu. Ceux qui l’on lu savent qu’il ne prône absolument pas un choc des civilisation mais qu’il propose un nouveau paradigme d’interprétation des rapports internationaux rendu nécessaire par la disparition du monde totalitaire communiste et l’obsolescence de la grille de lecture habituelle monde libre/ monde communiste/ pays non alignés. Et propose une analyse basée sur la notion de civilisations. En ce sens, la civilisation Occidentale et la civilisation Islamique (qui ne se confond pas avec l’histoire de la Turquie ou des Arabes) sont évidemment très différentes et antagonistes à de nombreux égards.

Mais on peut se demander si de la Turquie ou de l’union européenne, ce n’est pas la première qui, en mettant constamment en avant cette référence civilisationnelle, ne cherche pas à culpabiliser l’Occident, déjà pétri d’ethno masochisme, pour mieux faire avancer ses intérêts.

-besoin d’immigration/ Europe vieillissante/ assurer équilibres des régimes sociaux et marché du travail…

L’Europe conterait aujourd’hui plus de 50 millions de musulmans, essentiellement originaire d’Afrique sub saharienne, du Maghreb et de la Turquie. L’intégration, l’assimilation, l’acculturation réussie de certains ne doit pas cacher le gâchis phénoménal et la bombe à retardement que constitue cette immigration massive d’hommes et de femmes dont les valeurs culturelles se situent aux antipodes des nôtres. Et contrairement à la doxa bien pensante (l’immigration est une chance), je crois profondément que ce déracinement de populations entières n’est une chance ni pour les européens ni pour les migrants eux-mêmes, qui je pense préféreraient de loin trouver les conditions d’une vie heureuse dans leurs pays. La France est un pays singulier au sein de l’UE, car depuis trente ans elle accueille des populations immigrées pour l’essentiel (plus de 90%) au titre du regroupement familial et non dans une perspective d’intégration par le travail. Ce qui va bien sur à l’encontre non seulement d’une intégration réussie mais aussi du dogme de l’immigré Turc ou Marocain qui va payer les retraites des Occidentaux par son travail.

Je ne crois pas que ce soit en faisant venir 2 ou 20 millions de Turcs d’Anatolie en Europe que l’on résoudra le problème démographique européen ou celui de l’équilibre des comptes sociaux, qui ont par contre toutes les chances d’être un peu plus essorés par des populations fortes consommatrices de biens sociaux.

Quant à l’intérêt -évident et crucial- d’une politique nataliste à l’échelle continentale, européenne, il semble que cela n’intéresse pas nos élites, pour qui l’homme n’est en dernière analyse qu’une variable d’ajustement démographique ou économique, sans la moindre dimension culturelle ou historique.

2/Questions souvent occultées, enjeux bien réels.

-un marché économique potentiel énorme : 75 millions de turcs (100 millions à l’horizon 2025), un pays largement sous développé à la population largement sous équipée en biens de consommation courante. Donc une ouverture économique très significative pour le grand marché européen. Dans le même temps, l’intégration de ce pays à la zone euro coûterait au contribuable européen entre 25 et 30 milliards/an de fonds structurels, dans un pays massivement corrompu (encore plus que la France, c’est dire) dont on sait qu’une bonne partie de ces fonds finirait sur les comptes suisses de la nomenklatura locale et/ ou de quelques réseaux maffieux…

-un intérêt géostratégique majeur

Énergétique d’abord : la Turquie occupe une position stratégique à la charnière des continents européen et asiatique, mais également par sa position centrale vis-à-vis de la mer noire et la mer Caspienne, par ou transitent une grande partie des flux pétroliers et gaziers approvisionnant les pays européens ; la Turquie en Europe serait donc, pour certains, un moyen de sécuriser une partie de nos besoins énergétiques mais aussi de contrôler une partie des flux transitant par ce pays. Parallèlement la Turquie contrôle aussi deux fleuves (Tigre et l’Euphrate) importants pour les besoins en eau du proche et du moyen orient (Irak et Syrie en particulier).

Militaire : l’armée Turque est la deuxième armée de l’OTAN après les USA en terme de personnels (600 000 hommes) et d’équipement, le gendarme du moyen orient par sa situation géographique (interface entre occident et orient, détroits du Bosphore et des Dardanelles, contrôle de la mer caspienne et de la mer noire). Elle est depuis l’après guerre un allié fidèle (sauf pour les deux dernières guerres Américaines au proche orient) de l’Occident et d’Israél (ce qui ne contribue évidemment pas à améliorer ses relations avec les pays arabo musulmans) et donc une pièce clef dans le jeu stratégique Américain en Europe et au proche et au moyen orient. La guerre en Irak et la « guerre contre le terrorisme », la sécurité « non négociable » d’Israël, les projets Américains de « démocratisation » du proche orient, la perspective d’un conflit armé avec l’Iran, rendent ce pays incontournable pour l’Europe, mais aussi et surtout pour les USA et l’OTAN.

-détruire définitivement, en intégrant 75 millions de Turcs musulmans et un pays asiatique, toute approche civilisationnelle ou culturelle de l’Europe, au profit d’un simple zone de libre échange. Ce faisant entraver durablement voire définitivement l’émergence d’une Europe puissance au sens entité politique et militaire en tant que concurrent naturel du leadership américain en Europe et dans le monde.

-protéger les minorités ethniques/religieuses non musulmanes en Turquie : notamment les chrétiens (orthodoxes, arméniens ou assyro chaldéens), mais aussi les quelques juifs rescapés de la politique d’épuration ethnique et religieuse constante depuis l’instauration du califat et poursuivie par le régime laïc d’Atatürk.

-il est possible d’imaginer également une stratégie européenne à la Bat Yéor : intégrer et anticiper l’islamisation progressive du continent Européen, et la dhimmitude programmée des non musulmans en Europe, stratégie à long terme non dénuée de pensées électoralistes à court terme s’appuyant sur le « muslim vote » : ne pas déplaire, voire conquérir le vote musulman de plus en plus significatif et homogène.

-quid de la non reconnaissance de la république chypriote, membre à part entière de l'Union Européenne, par la Turquie. Peut-on demander à être admis dans une communauté dont on refuse de reconnaitre un membre? Quid de l'occupation militaire illégale par la Turquie du nord de Chypre, membre de l'UE, au mépris des injonctions communautaires et des nations unies?

-accessoirement, le "respect des droitdlom", la "reconnaissance du génocide arménien", et la "lutte contre la pratique généralisée de la torture", me paraissent largement secondaires, au regard des considérations précédentes...Mais bon, ce sont quelques uns des critères dits de Copenhague, déterminants dans la négociation en cours.

3/les vraies questions.

-qu’est ce que l’Europe ?

Pour de nombreux responsables politiques de premier plan (Chirac, Monod, Jouyet, Kouchner, Barroso,etc.), l’Europe ne doit pas comporter de dimension identitaire et rester un projet –a minima- d’union basé sur l’économie de marché, la démocratie libérale et le culte des droits de l’homme, ce qui n’est évidemment pas négligeable. Nombreux sont ceux qui considèrent à rebours de cette vision minimaliste et utilitariste, qu’il ne peut y avoir de projet européen sans référence identitaire spécifique : pour Emmanuel Levinas, l’Europe c’était « La bible plus les Grecs », pour Paul Valéry, ne pouvaient prétendre au titre de peuples européens que ceux qui avaient baigné dans l’hellénisme, la Romanité et le christianisme, pour Rémi Brague enfin, de la même façon, la civilisation européenne reste basée sur l’héritage antique philosophique Grec, le droit romain et le christianisme. L’Europe est la résultante de cette filiation unique dans l’histoire de l’humanité.

En définitive, concernant cette question de l’identité européenne, il me parait au minimum léger d’imaginer que nous puissions faire l’économie de cette réflexion sur ce que signifie l’idée même d’Europe et au maximum, suicidaire de nier la singularité et la spécificité de notre culture commune.

Or il ne fait aucun doute que la Turquie ne partage en rien cet héritage culturel européen et la question de son intégration dans l’union européenne ne devrait même pas se poser si l’on met au premier plan l’identité culturelle et non pas des considérations économiques.

-et la Turquie ?

Un grand pays asiatique en voie de développement déchiré (le mot est de Samuel Huntington) entre son identité profonde islamo ottomane et son ouverture –relative et récente- à l’Occident.

Au regard de l’oumma, la Turquie est située dans le dar-al-islam, c’est à dire en terre d’islam comme l’Arabie saoudite, le Maroc ou l’Égypte. Un demi siècle de laïcisation et d’occidentalisation Kémaliste à marche forcée n’a pas changé la nature profonde de ce pays de 80 millions de musulmans.

Nombreux sont ceux qui arguent de cette courte parenthèse Kémaliste, au regard de la longue histoire de ce pays, pour justifier son intégration européenne. En oubliant que la Turquie fut celle qui, après la colonisation arabo-musulmane du pourtour méditerranéen durant le VIIème siècle, instaurât le califat Ottoman durant sept siècles jusqu’en 1923 et qui alors régnait sans partage sur la communauté des croyants.

Sur le plan militaire, il s’agit de la deuxième armée de l’Otan après les USA (plus de 600 000 hommes en activité, sur équipés).

Sur le plan démographique, la Turquie est le pays le plus peuplé d’Europe (les projections démographiques sont de 100 millions de turcs à l’horizon 2025), largement au dessus des piliers de l’union européenne que sont l’Allemagne et la France. Ce qui implique sur le plan politique, une représentation au parlement européen supérieure à celle de ces mêmes pays (100 députés turcs pour 100 millions d’habitants).

Sur le plan géopolitique, il s’agit probablement de la région la plus dangereuse du monde (la « zone des tempêtes » comme disent les spécialistes), avec des frontières communes avec quelques uns des pays les plus instables et les plus menaçants au monde : l’Iran, l’Irak, la Syrie, la Géorgie et l’Azerbaïdjan. Avec potentiellement l’intégration virtuelle de la communauté turcophone forte de plus de 150 millions d’hommes (Azerbaïdjan, Turkménistan, Ouzbékistan, Kirghizistan, Tadjikistan), dont la Turquie serait le cheval de Troie.

Il est effectivement une Turquie moderne (Istanbul, Izmir), occidentalisée, progressiste, laïque, militaire, démocratique, mais cette Turquie est largement minoritaire géographiquement, démographiquement et culturellement, et ne doit pas masquer le reste de ce pays profondément rural, archaïque et sous développé, au tropisme asiatique et musulman.

L’histoire récente de ce pays (chute de l’empire ottoman et du califat au lendemain de la première guerre mondiale, révolution kémaliste, fermeture progressive de la parenthèse kémaliste depuis la fin des années cinquante, accélération de la réislamisation du pays avec l’accession au pouvoir de l’AKP et de son leader charismatique Erdogan, (islamiste revendiqué et grand admirateur de Gubuldin Hekmatyar, chef islamiste afghan et principal allié de Ben Laden et de la mouvance islamiste fondamentaliste révolutionnaire…)) plaide plutôt pour le retour à court ou moyen terme de ce pays singulier dans le monde musulman sous forme d’une théocratie plus ou moins démocratique ou bien d’un régime plus radical, mais certainement pas l’ancrage dans ces valeurs occidentales, superficielles, qui n’ont pas changé l’âme Turque, islamo ottomane par essence.

Alors?

Pourquoi pas le Zimbabwe?

Parce que le Zimbabwe n’est pas européen, comme la Turquie.

Parce que quels que soient les arguments économiques, stratégiques, sociaux, etc ., parfois pertinents, en faveur d’une intégration de ce pays à l’union européenne, les Turcs ne sont pas par essence des européens ni des occidentaux.

Parce que les hommes ne sont pas des objets inertes dépourvus d’identité que l’on peut déplacer et répartir impunément au gré des nécessités économiques ou politiques.

Parce que l’appartenance ethnique, religieuse, culturelle, spirituelle est déterminante dans l’être et l’agir de chacun.

Nos « élites » technocratiques mondialisées, donc anomiques, seraient bien inspirées de ne pas l’oublier.

(1) J Chirac.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Hoplite 212 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine