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Lettres d'Iwo Jima

Par Julien Peltier


Lettres d'Iwo Jima

Lettres d’Iwo Jima
L’île Noire

Le grand océan n’a rien de pacifique en ce mois de février maussade de 1945. Résigné, le général Tadamichi Kuribayashi débarque sur un austère caillou bientôt promis au feu d’enfer des bombes américaines. C’est à travers son regard mêlant sens du devoir et sensibilité à l’absurde que Clint Eastwood peint l’autre versant de la guerre, celui que trop peu ont su explorer sans sombrer dans la caricature : celui de l’ennemi, un homme, lui aussi.


Article : Lettres d’Iwo Jima

La vogue des épopées héroïques ayant pour toile de fond les engagements sanglants de la seconde guerre mondiale était tombée en désuétude depuis plusieurs décennies, notamment au profit du conflit vietnamien, lorsque Steven Spielberg, avec son « Il faut sauver le soldat Ryan », et le toujours brillant Terrence Malick avec sa bouleversante « Ligne rouge », redonnèrent au genre ses lettres de noblesse. Le second apportait une dimension narrative nouvelle, tandis que le premier bouleversait définitivement les codes du film de guerre grâce à une puissance graphique inégalée, qui a depuis largement fait école. Eastwood puise aux deux sources, tout en insufflant à son œuvre un humanisme tout de nuances et d’humilité. Et c’est bien là l’un des grands mérites de ces « Lettres d’Iwo Jima », que d’anéantir le mythe du soldat japonais fanatisé, dénué d’état d’âme, insensible à la peur, érigeant la loyauté aveugle en vertu suprême. Loin de l’image d’Epinal, l’auteur filme des scènes absolument inédites, telle cette patrouille inquiétante de la police militaire par les rues nocturnes de quelque mégapole en devenir, et rappelle ainsi que le gouvernement nippon du temps, tout aux mains de généraux irréductibles, a asservi son peuple. Le cinéaste saisit, tel Rembrandt, les clairs-obscurs qui éclairent ces jeunes visages terrifiés à l’idée d’une mort prochaine, ensevelis sous les gravats ou pire, pulvérisés lors de l’un de ces « suicides collectifs » qui n’ont rien de volontaire. Il dessine ces fragiles silhouettes, terrées au fond de grottes fortifiées qui ressemblent davantage, à chaque jour qui passe, à de macabres mausolées écrasés sous les bombes.
Article : Lettres d’Iwo Jima

Réalisé en 2006, dans la foulée de « Mémoires de nos pères », « Lettres d’Iwo Jima » a toutefois bénéficié d’un bien moindre battage médiatique. Le film est pourtant supérieur, à bien des égards, à son prédécesseur contant l’expérience militaire des vétérans américains et leur singulier périple publicitaire. L’accent de ce volet du diptyque est très nettement mis sur la vision japonaise de la bataille d’Iwo Jima*, fait rare pour une œuvre occidentale, puisque les derniers à s’être livrés à une telle recherche n’étaient autres que Richard Fleischer et Kinji Fukasaku, auteurs de l’anthologique « Tora, tora, tora ! ». Le casting, superbe, est dominé par un Ken Watanabe impérial, qui s’impose de lui-même dans le rôle-titre du général Kuribayashi, deux ans après « Le dernier samouraï », d’Edward Zwick**. Réussite complète, les « Lettres d’Iwo Jima » balancent intelligemment entre des plans extérieurs d’une clarté aveuglante et des huis clos troglodytes dont le contraste évoque bien ce Japon crépusculaire s’acheminant vers l’issue funeste que sera Hiroshima. C’est sans doute le message que l’on retiendra de ces deux films frères : la guerre n’oppose pas les bons aux méchants, mais des hommes, faibles, fragiles, faillibles, et plus mortels que jamais, à d’autres hommes, jamais si différents.
Ujisato
Article : Lettres d’Iwo Jima

Réalisé par Clint Eastwood
Avec Ken Watanabe, Kazunari Ninomiya, Shido
Durée : 2h 19min.
Titre original : « Letters from Iwo Jima »
* Lire à ce sujet l’article consacré à la bataille d'Iwo Jima.
** Lire à ce sujet l’article consacré à ce film.
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Article : Lettres d’Iwo Jima


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LES COMMENTAIRES (1)

Par MichCiné
posté le 14 août à 17:00
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Bravo!

Article très bien écrit, très bien présenté et surtout très bien documenté.

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