Magazine Dom-Tom

La Guadeloupe

Publié le 17 avril 2007 par Vincent Turquois

Si on nous demandait pourquoi on part, on dirait sans doute que c’est pour le luxe d’avoir chaud quand Paris grelotte et renifle. On dirait que c’est pour le plaisir de se baigner dans le sel bien avant l’été qui paraît si loin. On dirait que ce départ en Guadeloupe n’est qu’un alibi pour boire du rhum midi et soir, fumer quelques cigares et porter un chapeau de paille, pour se la jouer un peu et vivre son fantasme tropical sans quitter la France administrative. On sentirait alors que ces raisons semblent bien minces à qui pose la question. Il faudrait expliquer qu’un voyage aux Antilles est fait de multiples instants très différents les uns des autres, d’heures qui ne se ressemblent pas, de sentiments très variés.

On parlerait de cette vendeuse de légumes à Sainte-Rose, qui fait la circulation le temps que l’on se gare. Puis qui nous engueule d’avoir apporté la pluie dans nos valises. Cette vendeuse à qui l’on achète quelques cristophines après les courses, et qui explique comment en faire un gratin, avant de préciser que c’est une recette trop compliquée pour les vacances. Cette femme qui finit par nous offrir un régime de bananes légumes – « deux à trois minutes dans l’eau bouillante » – pour être sûre que l’on se repose. Inhospitaliers les Guadeloupéens ? Parfois un peu bourrus ou indifférents, c’est vrai, mais aussi rieurs et courtois. A chacun de faire l’effort de tomber sur les bonnes personnes, ce n’est pas interdit. A Deshaies, pendant que les pizzas cuisent, les pompiers de garde sont ravis de montrer les camions aux enfants.

On dirait la beauté, très ordonnée, du Jardin Botanique de Deshaies, « ex-propriété Coluche », terrain sur lequel ce dernier voulait que tous ses amis disposent un jour de leur maison. Il souhaitait y créer une communauté, ouvrir un restaurant et un atelier de cordonnier. A l’époque, la plage de Grande-Anse était toujours déserte, que les colonies de méduses soient là ou pas. C’était au début des années 80. Aujourd’hui, dans le Jardin, les plantations de marijuana ont disparu et le circuit est goudronné. Est-ce meilleur pour la santé ? Le site est magnifique et l’on rêve à chaque fois de pouvoir se payer un jour une petite semaine dans la villa qui domine la baie. Les cris des perroquets ? On s’habituerait. Ceux des flamants roses ne gêneront plus personne, ils ont été tués par des chiens errants.

Si on nous demandait, on dirait qu’on va en Guadeloupe en avril parce qu’à Pâques, tout le monde déboule sur les plages. Ces dernières retrouvent enfin leurs couleurs locales. Sous les arbres, l’enchevêtrement des tentes, des bâches et des serviettes qui sèchent ajoute de nouvelles teintes au décor. Les installations sont hasardeuses mais confortables, alimentées par des groupes électrogènes dont le bruit est largement couvert par le zouk que dégueulent des enceintes fatiguées. Ceux qui travaillent quittent le campement au lever du jour et reviennent en fin d’après-midi. Les enfants, en vacances, prennent possession de la mer et du sable, passant leurs journées entre balles et plongeons.

On va aussi en Guadeloupe pour Ferry. Il faudra qu’on s’y arrête un jour à Ferry. Vraiment. Il faudra qu’on prenne le temps de se promener sur le remblai une fois la nuit tombée. Deux cents mètres tout au plus, ce n’est pas le Malecon bien sûr mais la protection qu’il offre aux cases, de l’autre côté de la rue, contre la houle de mer, sert aussi à s’asseoir pour discuter sous les lampadaires démesurés. On va en Guadeloupe pour Pointe-Noire, son bois et sa Caféière Beauséjour, pour Basse-Terre, ses doudous malcommodes et sa Soufrière miraculeusement sans nuage. On y va pour Saint-Claude, un peu plus haut, qui semble plongé dans une sieste éternelle. On y va pour Deshaies.

On va en Guadeloupe puis un jour, il faut en revenir. Sur la plage de Sainte-Anne, le vendeur de beignets psalmodie : « Faut consommer local, Arrêter McDonald, C’est bon pour le moral ». Mais il n’est de bonne compagnie, fut-elle créole, qui ne se quitte. C’est d’un con les proverbes.

Turquois


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