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Chien de faïence

Publié le 17 mai 2024 par Adtraviata
Chien faïence

Quatrième de couverture :

Tano u grecu, important mafieux menacé par ses pairs, décide de se livrer au commissaire Montalbano, mais il est abattu par ses anciens complices en même temps que deux policiers. Avant de mourir, il a révélé l’existence d’une importante cache d’armes dans une grotte aux environs de Vigàta. Bientôt le cadavre d’un employé municipal vient s’ajouter à la liste. L’affaire ne s’arrête pas là : dans l’arrière-fond de la grotte, on trouve les corps de deux amants s’étreignant dans la mort. Touchant ! Troublant, surtout, ce chien de faïence qui semble monter la garde devant les défunts…

Montalbano est quand même un personnage !mafieux Il lit Faulkner, dévore sans grossir les petits plats typiques que sa femme de ménage lui concocte amoureusement (et quand Livia débarque chez Salvo, plus question de cuisine ni de plats en réserve) et se fait contacter par un mafieux bien connu qui veut se ranger des voitures. Las ! La mise en scène préparée par les deux hommes va certes permettre de découvrir aussi une importante cache d’armes de la mafia mais quand celle-ci se sent menacée, elle exécute froidement les maillons faibles de la chaîne. Ce seront au total cinq morts qui empoisonneront la vie du commissaire, sans compter les cadavres presque momifiés découverts derrière la cache d’armes, deux jeunes gens figés dans la mort dans une étrange mise en scène. Tandis qu’il est au repos suite aux rebondissements de l’enquête sur la mafia, Montalbano va tout faire pour percer le secret de ces jeunes amants, un secret qui remonte à la deuxième guerre mondiale.

C’est le deuxième opus « Montalbano » que je lis et j’apprécie de plus en plus le personnage, son intelligence, son style de vie, son humour, la gestion de son équipe (même s’il leur distribue gros mots et coups de pied au c… symboliques), son opiniâtreté et sa modestie. Je savoure en pensée (hélas seulement en pensée) les plats d’Adelina, je marche avec lui le long de la plage dans ses longues déambulations pour mettre ses idées en ordre, je me rafraîchis grâce à lui dans ses baignades. La partie contemporaine de l’enquête, en lien avec la mafia, laisse sans voix quant à l’étendue de ses ramifications, la violence de ses règlements de comptes. La partie liée aux jeunes gens conservés dans la grotte est très émouvante : malgré le peu d’indices, Montalbano ne lâche pas l’affaire et met tout en oeuvre pour trouver la clé de l’énigme.

L’intérêt de ce deuxième roman est que le traducteur a poussé plus loin (voir la préface de La forme de l’eau) la traduction de la langue particulière d’Andrea Camilleri : usage du passé simple dans le langage courant, constructions de phrases bousculées, vocabulaire et prononciation siciliens (sans parler du « talien » de l’inénarrable agent Catarella), le tout surprend, voire choque mais respecte le texte original.

Je connaissais le commissaire Montalbano par la série télé

« Tandis qu’il descendait ventre à terre le sentier entre les vignes, Montalbano se rappela qu’au commissariat il devait y avoir Agatino Catarella de garde et que, donc, la conversation téléphonique qu’il s’apprêtait à entamer serait au minimum difficile, sinon source de malheurs et de dangers équivoques. Ce Catarella n’était pas vraiment l’homme de la situation. Lent à comprendre, lent à agir, il avait certainement été pris dans la police grâce à une lointaine parenté avec l’ex-omnipotent député Cusumano….
Avec Catarella, les choses s’embrouillaient encore plus s’il lui venait la lubie, et elle lui venait souvent, de se mettre à parler dans ce qu’il appelait le « talien ».
Un jour il s’était présenté avec une tête de circonstance.
-Dottori, est-ce que, par hasard, vous pussiez porter à ma connaissance le nom d’un de ces médecins, ceux qui sont spécialistes ?
– Spécialistes de quoi, Catarè ?
-De maladies vénériennes.
La bouche de Montalbano en avait béé de stupeur.
Toi ? une maladie vénérienne ? Et quand est-ce que tu te l’es attrapée ?
-Moi, je me souviens que cette maladie, elle m’est venue quand j’étais encore minot, j’avais juste six ou sept ans.
-Mais qu’est ce que tu me racontes, Catarè ? Tu es sûr qu’il s’agit d’une maladie vénérienne ?
– Très très sûr, docteur. J’ai les veines toutes gonflées. Une maladie vénérienne. »

« Au frigo, il trouva des pâtes froides avec des tomates, du basilic et des olives noires, qui diffusaient un parfum à réveiller un mort, et un deuxième plat d’anchois à l’oignon et au vinaigre : Montalbano avait l’habitude de se fier entièrement à la fantaisie culinaire et goûteusement populaire d’Adelina, qui une fois par jour venait s’occuper de lui. De ses deux fils irrémédiablement délinquants, l’un se trouvait encore en prison grâce au commissaire. Donc, aujourd’hui encore, Adelina ne l’avait pas déçu ; chaque fois qu’il allait rouvrir le four ou le frigo, il éprouvait la même trépidation intérieure que lorsque, enfant, au petit matin du 2 novembre, il cherchait la corbeille d’osier dans laquelle durant la nuit, les morts avaient déposé leurs cadeaux. »

« Dans l’homme aux abois, balbutiant, hésitant, effaré, éberlué, éperdu, mais aux yeux toujours possédés, que les caméras de Retelibera cadraient impitoyablement en gros plan, Montalbano, se reconnut difficilement, sous l’avalanche de questions de ces pédés de fils de putes de journalistes. La partie des explications sur la tabisca, celle où il s’en était le mieux sorti, ne fut pas diffusée. Peut-être ne cadrait-elle pas parfaitement avec le sujet principal, la capture de Tano.
Les aubergines au parmesan que la bonne lui avait laissées dans le four lui parurent tout à coup insipides, mais c’était impossible, ce n’était pas vrai, il s’agissait d’un effet psychologique, c’était de se voir avec une telle tête de con à la télé.
Sans crier gare, il lui vint une envie de pleurer, de se pelotonner sur le lit en s’enveloppant dans un drap comme une momie. »

« Il retourna au bureau en se sentant plus tranquille…
– Du neuf ? demanda-t-il en entrant.
– Il y a une lettre pirsonnelle pour vous que la poste apporta juste maintenant à l’instant, dit Catarella, et il souligna en appuyant sur les syllabes : Pir-son-nel-le.
Sur sa table, le commissaire trouva une carte postale de son père et quelques communications de service.
– Catarè, où tu me l’as mise, la lettre ?
– Et si je vous dis qu’elle était pirsonnelle ! se récria l’agent.
– Ca veut dire ?
– Ca veut dire qu’étant donné du fait qu’elle était pirsonnelle, il fallait vous la faire avoir en pirsonne.
– C’est bon, la pirsonne est là, devant toi, mais lettre, où elle est ?
– Elle est là où il fallait qu’elle alla. Là où la pirsonne pirsonnellement habite. Je dis au facteur de la porter à votre maison à vous, dottori, à Marinella. »

« – Nous avons dû vous opérer d’urgence. La balle a traversé le colon.
Le colon ? Eh, putain, qu’est ce que le colon faisait dans sa hanche ? Le colon n’avait rien à voir avec les hanches, il devait se trouver dans le ventre. Mais si sa blessure avait un rapport avec le ventre, cela signifiait-il – et il sursauta si fort que les médecins s’en aperçurent – qu’à partir de maintenant et pour le reste de sa vie, il devrait se nourrir de potages ?
– … potages ? articula finalement la voix de Montalbano, à qui l’horreur de cette perspective avait réactivé les cordes vocales.
– Qu’est-ce qu’il a dit ? demanda le médecin-chef en se tournant vers ses subordonnés.
– Il me semble qu’il a dit « carnage », suggéra l’un.
– Non, non, il a dit « braquage », soutint un autre.
Ils sortirent en débattant de la question. »

Andrea CAMILLERI, Chien de faïence, traduit de l’italien par Serge Quadruppani, Pocket, 2001 (Fleuve noir, 1999)

Encore une enquête de plus pour mon travail d’italien et une participation au Mois italien.


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