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Tibet (15) Monastère Tsurphu

Publié le 08 avril 2008 par Argoul

Le ruisseau se transforme peu à peu en rivière, quittant les 4900 m de l’enclos des yacks pour les 4400 m du monastère de Tsurphu. La descente est interminable parmi les mottes de tourbe, puis les pierriers. Le sentier se fait un peu plus net sur la fin. Lors d’un passage de ruisseau à gué, sur des pierres lisses, Sophie en profite pour s’étaler de tout son long dans l’eau. Tout le monde avait vu qu’une motte de tourbe, sur une pierre du gué, était fragile ; pas Sophie. Elle a mis justement le pied dessus. Tel était son karma.

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Le monastère de Tsurphu est tout neuf. Comme les autres il a été entièrement reconstruit après la tornade rouge. Heureusement, l’abbé supérieur a réussi à s’enfuir au Sikkim en emportant beaucoup de trésors du culte. Le site est le siège de l’école Karmapa fondée au XIIème siècle et que l’on reconnaît par le chapeau noir brodé d’or. Le premier Karmapa fut disciple des deux disciples de Milarepa, c’est dire ! Ce fut cette école qui instaura la première le principe des réincarnations successives des abbés sous forme de « Toulkous ». Adopté par les Gelugpas, ce système conduit désormais le choix des dalaï-lamas et des panchen-lamas. Dalaï est un terme mongol conféré en 1578 par l’Altan Khan à l’abbé gelugpa de Drepung qui signifie « océan ». Le premier dalaï-lama est numéroté troisième car, par modestie, il attaribué rétrspectivement le titre à ses deux prédécesseurs. Les Tibétains croient que, lorsque survient la mort physique, la conscience d’un être contient l’empreinte (ou karma) de toutes ses expériences et impressions passées, dans cette vie et dans les vies antérieures. Conscience et karma renaissent dans un nouveau corps, animal, humain ou divin. S’efforcer d’élever sa conscience dans chaque vie permet de se réincarner dans un être plus conscient encore, jusqu’à la Libération du cycle des vies. Le dalaï-lama est la manifestation d’Avalokiteshvara, le bodhisattva de compassion, porteur du lotus blanc.

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Tsurphu fut autrefois l’un des plus impressionnants monastères du Tibet central. La reconstruction de ce que l’on visite a débuté en 1983. Le monastère actuel a en lui-même peu d’intérêt. Nous le trouvons vide et désert, les moines préparant une grande fête sous une tente un peu plus haut. Les peintures murales des bâtiments sont trop fraîches. Les ruines des cinq niveaux du précédent palais sont encore visibles sur la colline au-dessus des bâtiments actuels. Nous pouvons admirer les « mille » bouddhas dans leurs niches. J’en compte neuf rangées de 27 sur chacun des deux murs, plus neuf fois 33 sur un autre. Au total cela n’en fait guère que 783… mais mille est un chiffre symbolique. Le gigantesque serpent roulé le long d’un mur du hall d’assemblée du Zhiwa Tratsang est une Tangkha. Une fois l’an, en février, elle est portée en grande cérémonie au-dehors et déroulée sur la colline aménagée en face du monastère. Elle est d’inspiration chinoise. Au centre de la grande salle un trône est réservé au Karmapa, ou supérieur du monastère et directeur de l’École. L’une des statues autour est celle de Nugu Rinpotché, le tuteur du 8ème Karmapa, les autres sont les statues des précédents Karmapas.

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Nous errons une heure ou deux parmi les pèlerins venus des villages alentours, et des moines. Une maîtresse femme du pays de Kham arbore une épaisse coiffure ornée, du front à l’extrémité des nattes, de plaques de turquoise naturelle. Ces plaques sont grosses comme des boites d’allumettes grand format, mais moitié moins épaisses ; deux rangées de cinq pendent de chaque côté de son visage, tandis que deux grosses pierres jaunes surmontées de petites pierres rouge corail surmontent sa tête. Le Kham se situe dans l’est du Tibet, autour du Mékong. Elle porte la tunique de poils de yacks traditionnelle et de lourds bijoux d’argent. Son mari – ou son frère – tient dans ses bras un bébé et arbore au cou un gros reliquaire barbare contenant la photo du jeune homme en 17ème Réincarnation. Mais c’était des années plus tôt lorsque le Maître était encore bien enfant. Pour les photos, c’est chacun pour soi. Je ne déteste rien tant que ces touristes qui viennent s’agglutiner autour de celui d’entre eux qui a pensé le premier à prendre une scène, pour prendre la même. Je me tiens volontairement à l’écart des autres pour éviter ces manifestations de voyeurisme éhonté. Je cherche plutôt à me fondre dans le décor, à me faire oublier pour capter le sujet. Restez assis plusieurs minutes sans faire autre chose que regarder et, bientôt, la curiosité que l’on aura à votre égard s’émoussera ; vous ferez partie du paysage, accepté comme tel. Ou bien souriez, parlez même si l’on ne vous comprend pas, paraissez heureux d’être là et de goûter la beauté du monde. Si vous êtes le seul touriste, vous ferez des portraits spontanés des gens, des vieilles femmes, des enfants. Personne ne vous en voudra car vous ne « prendrez » pas, vous laisserez venir à vous les êtres au travers de l’appareil photo.

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Je m’y suis employé avec les novices qui jouent autour de la tente de réception cléricale. Certains moines adultes palabraient, d’autres se restauraient, assis en tailleur et doigts en pleine action, d’autres enfin surveillaient les danses de moines dans le pré alentour. Certains répétaient en effet des danses sacrées à exécuter plus tard en costumes. L’atmosphère m’a rappelé un peu les jubilés catholiques de mon enfance où les prêtres vaquaient à leurs affaires officielles, tout pénétrés de leur importance, tandis que les acteurs répétaient par groupes et que nous, les enfants fraîchement catéchisés courrions et nous amusions entre les jambes de tout le monde. J’ai photographié de jeunes visages grimaçant comme de vieilles tronches immobiles. J’ai aimé cette capture au millième, cette occasion de bref contact lorsque la vieille ou l’enfant vous gratifient d’un sourire d’indulgence reconnaissante. Faire une photo ainsi, lorsqu’il y a contact humain par le regard, le sourire ou la parole, ce n’est pas un vol à la sauvette mais une rencontre, un échange de sentiments ; pour moi la reconnaissance d’une beauté humaine, pour l’autre la fierté de l’offrir. Certains font signe que non. Pas de photo, indifférence. Et l’on passe à autre chose.

Justement l’orage gronde dans la gorge. Il nous est prétexte à reprendre le long, l’obsédant chemin du retour. Nous devons remonter tout ce que nous avons descendu ce matin et déjà, à la descente, cela nous paraissait sans fin ! L’échauffement physique est long. Je me sens comme un petit vieux, tous mes entraînements passés envolés. Mais je résiste, j’arrive dans le premier pack. Pasang, le sherpa népalais nous attend dans la pente au dernier quart du parcours, avec une moque de thé chaud. Attention bienvenue, gentillesse native. Nous apprécions ce geste.


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