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La Révolution orange malgache voit rouge (1/2)

Publié le 11 février 2009 par Sylvainrakotoarison
Une foule massacrée par l’armée le 7 février 2009, des dizaines corps calcinés retrouvés lors des émeutes du 26 janvier 2009… Un paysage de désolation dans un pays à l’excitation politique récurrente mais avant tout en quête d’une démocratie adulte. Première partie.
Il y a quinze jours, j’avais évoqué ma profonde inquiétude sur le déroulement des événements politiques à Madagascar. Hélas, après deux journées meurtrières, une centaine de personnes ont déjà perdu la vie lors de l’une des graves tensions politiques qui secouent le pays régulièrement.
La peur a laissé la place à la tristesse pour les disparus et, surtout, à la colère.
Colère contre deux leaders avides de pouvoir
Colère contre une situation très mal gérée dans les deux camps. Lesquels ?
1. Celui du Président de la République actuel, Marc Ravalomanana, 59 ans, élu une première fois en décembre 2001, reconnu après cinq mois d’enlisement économique et le départ en exil de son prédécesseur, l’ancien dirigeant communiste Didier Ratsiraka, 72 ans (exil en France où il séjourne encore), réélu sans contestation en décembre 2006 face (entre autres) à Roland Ratsiraka, 42 ans, neveu de Didier Ratsiraka et maire de Tamatave (destitué le 15 février 2007), et avant tout, chef du plus grand groupe industriel du pays Tiko (un Berlusconi malgache en somme).
2. Et celui du maire de Tananarive, Andry Rajoelina, 34 ans, ancien disc jockey qui a fait fortune dans la vie économique et qui s’est lancé en politique lors de l’élection du premier maire de Tananarive depuis l’arrivée au pouvoir de Marc Ravalomanana (maire de Tananarive lui aussi avant d’avoir été élu Président).
Parmi les leaders de l’opposition, Roland Ratsiraka, proche d’Andry Rajoelina, semblerait vouloir le concurrencer. Il aurait été contacté par téléphone par le Ministre français des Affaires Étrangères, Bernard Kouchner, au sujet du conflit actuel (information non confirmée et le quai d’Orsay a démenti le fait que Bernard Kouchner l’aurait dénoncé auprès de Marc Ravalomanana).
Le trait commun entre les deux protagonistes du conflit actuel, Marc Ravalomanana et Andry Rajoelina, tous les deux issus de l’ethnie merina, c’est qu’ils ont commencé leur vie active en créant des entreprises et sont devenus très riches. Ils ont été maires de Tananarive, soutenus par la population au cours de grandes manifestations populaires et ont voulu renverser le pouvoir présidentiel en place.
En quelques sortes, le destin inverse des siamois malgaches qu’on a heureusement réussi à séparer le 5 février 2009.
Rajoelina surfe sur les graves défaillances de Ravalomanana
Andry Rajoelina a été élu maire de Tananarive le 12 décembre 2007 avec 63% des voix et une participation de 40%. Très charismatique, riche, jeune, Andry Rajoelina a suscité immédiatement l’adhésion et l’espoir de ceux qui considèrent que le pouvoir de Marc Ravalomanana est de plus en plus contestable.
En effet, les critiques ne manquent pas, sans compter la grande misère que n’aide pas la crise financière mondiale : une gestion très personnelle et affairiste de l’État par un homme qui veut impliquer ses intérêts personnels dans les projets nationaux. Niels Marquardt, l’ambassadeur des États-Unis à Madagascar, affirmait même le 5 février 2009 : « On voit bien qu’il y a beaucoup d’entreprises qui dépendent du Président dans le pays et là, c’est plus difficile d’assurer la libre concurrence dans ces conditions. »
Les Malgaches lui reconnaissent cependant une réelle vision économique du pays (absente chez ses prédécesseurs) qui l’a conduit à refaire de nombreuses routes (il n’existait que deux ou trois routes goudronnées dans un pays plus grand que la France) et le fait aussi qu’il n’aurait plus besoin de s’enrichir puisqu’il était déjà riche avant d’arriver au pouvoir. Mais beaucoup d’habitants pensent en revanche qu’il est très mal entouré et que sa famille et ses amis veulent absolument en profiter (notamment en forçant des expropriations de manière complètement illégales).
Trois "gouttes d’eau" à faire déborder le "vase"
La manière très personnelle de gouverner de Marc Ravalomanana, si elle ne change pas vraiment par rapport à celle de ses prédécesseurs, a récemment heurté de front les Malgaches sur trois sujets très sensibles :
1. Le 13 décembre 2008, la fermeture de la télévision Viva TV, dont Andry Rajoelina est le propriétaire, pour avoir diffusé dans son intégralité une interview de Didier Ratsiraka. Cette interdiction donnait un exemple supplémentaire d’une liberté d’expression souvent bafouée.
2. Les négociations d’un contrat entre l’État malgache et la Corée du Sud (via Daewoo Logistics) sur l’exploitation agricole de terres qui remet en cause le principe de la "terre des ancêtres" (la levée de boucliers est telle qu’un représentant sud-coréen avoue que le contrat se trouve désormais bien compromis).
3. Plus symbolique mais très symptomatique, l’achat par Marc Ravalomanana, pour imiter le Président américain, d’un avion Boeing Air Force One qui correspond, avec son coût de 60 millions de dollars, à un montant proche des versements d’aides internationales (la Banque mondiale devrait délivrer en avril 80 millions de dollars et d’autres bailleurs de fonds ont gelé 35 millions de dollars en décembre 2008).
Vient ensuite s’ajouter le 13e sommet de l’Union Africaine prévu du 1erau 3 juillet 2009 à Ivato, au nord de Tananarive (près de l’aéroport international), ce qui constitue une première pour Madagascar, celle d’organiser une manifestation internationale de grande ampleur, mais aussi, au même titre que pour les jeux olympiques de Pékin, un haut parleur médiatique sans égal pour l’opposition malgache. La date et le lieu ont été confirmés le 4 février 2009 à Addis-Abeba par le Premier Ministre Charles Rabemananjara et le Ministre des Affaires Étrangères Marcel Ranjeva.
Deux mois qui ont ébranlé la légitimité de Marc Ravalomanana
La chronologie politique de ces deux derniers mois a donc considérablement accéléré le cours de l’histoire malgache.
Le 17 décembre 2008, soit quatre jours après la fermeture de sa chaîne de télévision, Andry Rajoelina fédéra l’opposition (ses partisans, ceux de l’ancien Président Didier Ratsiraka, des partisans de Marc Ravalomanana disgraciés, des apolitiques) et lança un peu légèrement un ultimatum à Marc Ravalomanana pour lui ordonner plus de démocratie et plus de liberté d’expression, à expiration le 14 janvier 2009. Le 13 janvier 2009, Marc Ravalomanana refusait ce diktat mais l’avait invité à la cérémonie de ses vœux.
Le 17 janvier 2009, Andry Rajoelina organisa alors une grande manifestation et inaugura la place de la Démocratie devant 30 à 50 000 opposants. Il se montra en leader de l’opposition et demanda la démission de deux ministres.
Le 24 janvier 2009, une nouvelle manifestation permettait à Andry Rajoelina de lui donner une incontestable légitimité populaire avec la participation de près de 500 000 personnes pour une ville qui compte un peu plus de 1,6 millions d’habitants (le nombre de 500 000 est cependant à prendre avec précaution et réserve, puisqu’il est revendiqué par les partisans d’Andry Rajoelina qui ont aussi revendiqués 750 000 participants à la journée du 7 février 2009 alors que les sites de presse malgaches et françaises parlent de 20 000).
Le lundi 26 janvier 2009, les autorités se cantonnèrent près des émetteurs de radio et télévision dans la ville haute pour fermer aussi la station de radio Viva d’Andry Rajoelina. Les partisans de ce dernier se rassemblèrent alors place du 13-Mai.
C’est ce jour-là que tout dégénéra : parmi les manifestants, des casseurs et des pilleurs. Les locaux de la radio et télévision nationales ont été incendiés. Des magasins appartenant au groupe Tiko de Marc Ravalomanana pillés et incendiés aussi. Environ soixante-dix victimes auraient été comptabilisées, certaines carbonisées dans les incendies.
Pendant les émeutes du 26 janvier 2009, les forces de l’ordre ne sont pas intervenues. Marc Ravalomanana a déclaré lui-même avoir donné l’ordre de ne pas intervenir.
Le samedi 31 janvier 2009, lors d’une nouvelle manifestation sur la place du 13-Mai, Andry Rajoelina s’autoproclama « en charge de la République malgache », seul capable de donner des ordres à la police et à l’armée et demanda la fermeture de tous les ministères le lundi 2 février 2009. Parmi les raisons de son autoproclamation, le Président actuel Marc Ravalomanana aurait violé la Constitution malgache et devrait comparaître devant un tribunal pour répondre de ses actes. Mais sur le fait accompli, il s’est mis contre lui l’Union Européenne et l’Union Africaine.
Cette déclaration très irresponsable n’a suscité de la part de Marc Ravalomanana qu’une conférence de presse où il ironisait sur le fait que les mille cinq cents maires de Madagascar ne pouvaient pas tous s’autoproclamer Président. Et il s’est montré plutôt tolérant en n’ordonnant pas l’arrestation immédiate d’Andry Rajoelina.
Le lundi 2 février 2009, les ministères étaient ouverts sans avoir suivi la consigne d’Andry Rajoelina et un nouveau rassemblement place du 13-Mai fut très peu suivi, quelques milliers de personnes à peine.
Andry Rajoelina, ce 31 janvier, a perdu la légitimité qu’il venait de gagner les week-ends précédents. Rien ne pouvait lui faire contester constitutionnellement le pouvoir du Président Marc Ravalomanana et lui opposer la rue hors période électorale semble être, de sa part, non seulement un acte totalement irresponsable, mais aussi anticonstitutionnel.
Andry Rajoelina avait réussi à unifier l’opposition, était populaire et charismatique, jeune et riche (donc pouvait durer et se payer sa communication politique). Il aurait donc dû préparer la prochaine élection présidentielle (en principe en décembre 2011 ; toutefois, la Constitution impose aux candidats d’avoir au moins 40 ans). Les deux années et demi lui auraient permis de structurer un véritable parti, d’étoffer son réseau auprès d’investisseurs étrangers (et les rassurer), bref, de crédibiliser sa démarche politique.
Au lieu de ça, il a voulu le pouvoir tout de suite. Au prix du sang.
Son autoproclamation aurait été risible si elle n’avait pas abouti à la mort de nombreux Malgaches.
La suite dans la seconde partie de l’article.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (11 février 2009)
Pour aller plus loin :
Inquiétude malgache (27 janvier 2009).
Blanc bonnet et bonnet blanc ?
Informations sur la situation à Madagascar.


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