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In the name of love

Publié le 02 août 2010 par Francisbf

Ca y était. Il avait réussi. Après des années de recherche, il y était enfin parvenu. Antoine essuya machinalement la sueur qui lui coulait sur le front d'un revers de main, et poussa un « Merde ! » étouffé en se rendant compte qu'il venait de se maculer le front de sang. Il se rassit sur sa chaise métallique, posa les mains sur ses genoux tremblants, et soupira devant la dépouille de Nicolas. Il se releva, lui ferma les yeux, et entreprit de recoudre son thorax béant. Puis il le prit entre ses bras, avec précautions, comme il eut fait d'un enfant endormi, remonta les escaliers de la cave, et le jeta dans la cheminée qui engloutit le cadavre avec un appétit vorace.

Il s'y était attaché, avec le temps, à ce singe. Mais il y avait des choses plus importantes. En l'occurrence, célébrer. Il se soûla gaiement en mémoire de Nicolas, son ultime expérience, celle qui avait confirmé que son philtre d'amour était enfin au point.

Assis devant la cheminée, il porta la main à sa poche de chemise, en sortit la photo de Julie, tenta de faire le point malgré les deux verres de vodka (à laquelle il ne touchait jamais d'habitude), et sourit. Elle était si belle. Il embrassa la photo, et la remit avec précaution dans sa poche. Bientôt, elle serait sienne, enfin.

Pour la première fois depuis bien longtemps, il n'eut pas de mal à s'endormir.

Le lendemain se leva sur une migraine lancinante et une question qu'il ne s'était pas encore posée, obnubilé qu'il était par la préparation de son plan.

Comment allait-il faire absorber son philtre par Julie ? Il n'oserait jamais lui adresser la parole. La dernière fois avait été trop blessante.

Et pourtant, malgré sa cruauté, elle lui avait laissé un espoir. Une porte ouverte. Quelque chose était possible entre eux. Mais pour cela, elle devait boire son philtre. Sans ça, c'était inutile. Mais il ne pouvait pas aller la voir et lui donner. Elle ne voudrait jamais. Il allait devoir être malin.

Lui envoyer une bouteille de vin assaisonnée était trop risqué, elle pourrait en faire boire à d'autres. Jouer à Cupidon avec une carabine à fléchettes était symboliquement magnifique, mais elle allait se rendre compte qu'elle était canardée, et ce n'est pas le genre d'attention qui met dans de bonnes dispositions. L'idée de la bouteille était plus réaliste. Mais comment s'assurer que personne d'autre n'y touche ? Qu'y avait-il qu'elle ne partagerait avec personne ?.. Ha oui ! Les macarons ! Elle adorait les macarons. Avec ça, aucun risque !

Le lendemain, des macarons soigneusement imprégnés étaient livrés chez Julie, accueillis avec enthousiasme et gobés avec un entrain assez peu féminin.

Il allait pouvoir passer à la phase deux de son plan. Et pour ça, il devait aller à New-York. L'Amérique, le carrefour où des gens de partout se retrouvent, avant de se disperser dans le monde entier. L'endroit idéal pour répondre au défi de Julie.

Deux mois plus tard, cinquante millions de personnes étaient mortes sur les cinq continents. Au bout de trois mois, on annonçait huit cent millions, sans savoir que c'était le triple. Deux semaines plus tard, on n'annonçait plus rien, les médias n'existaient plus.

Les premières semaines, les scientifiques survivants tentèrent pendant quelques semaines de trouver un remède, mais ils succombèrent au virus d'Antoine avant d'y arriver. Il ne leur avait laissé aucune chance. Il ne pouvait pas se permettre de leur en laisser.

Cependant, dans le plan d'Antoine médité depuis des années, il n'avait pas prévu une chose. Julie n'était pas restée chez elle. Aux débuts de l'épidémie, comme beaucoup de monde, elle avait quitté Paris pour la campagne, et il n'avait aucune idée de l'endroit où elle pouvait se trouver.

Il passa quelques semaines à hurler de désespoir dans les rues vides de Paris, avec pour seules réponses les glapissements des chiens qui se disputaient les charognes que nul ne ramasserait jamais. Puis il se reprit, et partit à la recherche de Julie.

Il savait qu'elle avait de la famille du côté de la Lozère. Il emprunta une voiture, chargea des bidons d'essence dedans, et prit l'autoroute du Sud.

Deux ans plus tard, ayant exploré la moindre ferme en ruines, il abandonna la piste lozérienne. Il se rappela l'avoir entendue mentionner des origines bretonnes, dans la cour du lycée. Il décida de tenter sa chance. Il ne pouvait imaginer faire autre chose.

Un an plus tard, le destin décida enfin d'être clément. Comment pouvait-il ne pas l'être avec le dernier homme sur terre ?

Alors qu'Antoine déambulait sur ce qui restait des routes armoricaines, il passa devant un supermarché, dans ce qui avait été la ville de Lamballe. Il commençait à manquer de vivres, et décida d'y faire un tour. C'est ainsi qu'il avait survécu depuis ce temps, pillant les rayons céréales et conserves, dévalisant les stocks de biscuits qui avaient résisté au temps et aux émeutes du début de son oeuvre de conquête de Julie.

Il dépassait le rayon cosmétiques, quand il entendit le bruit caractéristique d'un sachet de chips qu'on éventre.

Lentement, osant à peine respirer, il s'approcha du rayon apéritif. Caché derrière l'angle des étagères, il risqua un regard, le coeur battant à cent à l'heure.

C'était Julie. Un peu échevelée, certes, sentant le fauve à cinq mètres de distance, mais Julie tout de même, toujours aussi belle, même avalant des poignées de chips périmées en poussant des grognements.

Il fit un pas hésitant, qui résonna entre les murs du magasin. Julie se tourna. Ses sourcils se haussèrent, elle ouvrit la bouche et poussa un rugissement en se précipitant sur Antoine.

Commentc'estpossiblej'ycroispasilrestedeshumainsjesuispastouteseulel'humanitéexisteencorehojesuiscontentedevousvoirc'estpaspossiblec'estpaspossible et elle pleurait et elle toussait des miettes de chips et elle le serrait contre elle comme il en avait toujours rêvé et sa poitrine se pressait contre la sienne, et de gros sanglots entrecoupaient ses paroles inintelligibles.

Antoine prit une grande inspiration.

-Alors... Tu veux bien sortir avec moi, maintenant ?

-Pardon ?

Julie l'avait lâché, et avait reculé d'un pas.

-Tu veux bien ? Tu avais promis !

-Hein ?

-Mais... tu te souviens pas ?

Le monde d'Antoine s'écroula autour de lui.

Il bégaya :

-En troisième... je t'avais demandé...tu avais rigolé et dit « ouais, si t'es le dernier mec sur la terre ! », tu te souviens pas ?

Julie le fixait, l'air ahurie.

-Julie... Je suis le dernier homme sur la terre, maintenant. Tu... tu veux bien sortir avec moi, alors ?

-Putain... Antoine ? Le petit bigleux à boutons toujours au premier rang ? C'est toi ?

Elle se souvenait de lui ! Antoine crut défaillir de joie, mais n'en laissa rien paraître.

-C'est moi, Julie. Je... Je t'aime. Je t'ai toujours aimée. Tu es la plus belle fille de la terre. Je veux dire, tu l'as toujours été, même avant que tu ne soies la dernière, hein !

-Putain, mais c'est dingue, ça ! Il reste peut-être deux personnes sur la terre, et il fallait qu'on se connaisse ? Putain, mais quelles étaient les probabilités ?

-En fait... C'est moi qui ai fait ça.

-Hein ?

-Oui. Tu m'avais dit qu'il fallait qu'il n'y ait plus un homme sur terre pour que j'ai une chance avec toi, hé bien... Si c'est ce qu'il fallait pour que tu soies à moi, il le fallait. J'ai fait des études de génétique, d'épidémiologie. J'avais accès aux laboratoires top-secrets, aux souches des virus les plus dangereux... J'ai mis au point la recette de notre amour ! Je n'avais préparé que deux doses d'antidote, et je t'en ai transmis une. Nous sommes seuls sur terre, ensemble. Alors... tu sors avec moi ?

Julie continuait de le dévisager, bouche ouverte. Une grosse miette de chips adhérait au coin de ses lèvres. Elle n'avait jamais été plus belle.

-Je... continua Antoine, commençant à paniquer... tu ne comprends pas ? Nous sommes comme Roméo et Juliette, juste à l'envers. En plus beau. Nous vivons, et le monde qui ne nous permettait pas d'être ensemble n'est plus là ! S'il te plaît, Julie, dis-moi oui !

Julie continuait de le dévisager, bouche ouverte. Elle n'avais pas bougé. Les pensées se bousculaient dans sa tête. Ce type a tué le monde entier ! Mais il l'a fait par amour pour toi ! Mais tout le monde, quoi ! C'est un fou ! Un dingue ! C'était un petit boutonneux, au collège ! Il veut sortir avec toi ! Il a tué tes parents ! Il a fait de toi la plus belle fille du monde ! Plus que Vanessa ! Il a toujours des traces de boutons sur la tronche ! Et il a tué tout le monde !

-Et heu. J'ai une grosse bite.

-Ha ? Ben d'accord, alors.

Ils vécurent heureux (surtout Antoine), mais ne parvinrent pas à repeupler la terre. Trois générations incestueuses plus tard, c'en était fini de l'humanité. Mais les ours blancs étaient sauvés.

(Total editing time : 02:04:22. Le défi était d'écrire une histoire d'amour en moins de deux heures. Comme j'ai passé cinq minutes au téléphone, j'estime avoir tenu ma part du contrat. Par contre, j'ai eu du mal sur la fin)

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