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[note de lecture] "Lémistè" de Monchoachi, par Jean-Pascal Dubost

Par Florence Trocmé

[note de lecture] Monchoachi est né en Martinique en 1946, où, comme on dit, il vit et travaille. On remarquera cette évolution, dans ses choix de langues, qu'il publia ses premiers livres en langue créole, puis en français/créole, puis en langue française uniquement, et celui-ci, où se mêlent les deux langues qu'il parle. La langue française, peu flexible, conceptuelle, balayant, depuis les Classiques, tout mystère, exigeant la précision, la clarté, cette langue que Monchoachi maîtrise parfaitement, il l'étire et la malaxe avec celle autre, le créole, sonore, rythmique, fleurie, plus sensible qu'intellectuelle, laissant planer doutes et mystères jusque les entrer dans sa danse verbale. Et les mystères, en ce bel emmêlement de langues, Monchoachi les explore, explore ceux de la création, de la nature, de l'homme, offrant au lecteur une vaste architecture verbale et complexe dans la lignée des grandes cosmogonies ; voici un du Bartas créole, nous proposant sa vision de la création, des créations, sur fond de culture caribéenne (" "disait que les choses ne s'étaient pas/passées ainsi au commencement" ;/"demande-lui comme il le sait/car il n'était pas là au/commencement" "). Ainsi le verbe et le monde furent et sont sous l'effet de la danse et de la parole humaine, effectuée et prononcée devant les dieux, à tout moment, tout moment qu'il faut recréer :
Téléchargement Monchoachi
" Et devant le dieu qui a un genre macher-boeter
qui marche en viéux-papa vini-va
Ont veilleur leur corps le tenir dreit'
Puis ont mété les mains en tête et lancé les chants
[...]
Et sous leurs pieds l'âme tremblait
Et sous leur pieds les senteurs de la terre les escortaient "
( Le dieu maché-boété)
Les hommes dansent et chantent, créent des vertiges de langue pour que le monde soit, et le poète les écoute, et récupère en la sienne ; sa langue mêle deux langues qui ont tout pour ne pas s'entendre, il se fait écho de l'une dans l'autre, et vice-versa, charriant mythes et rituels, ainsi, au " Arma virumque cano " de l' Énéide, Monchoachi répond : " Une nouvelle langue dans la bouche/Des plumes la place pour chanter ", il chante les hommes au cœur d'une nature divine. Sa langue mêlée alors nous fait goûter la saveur du monde, la possible saveur du monde, ce que la civilisation n'a pas encore détruit, c'est un chant de civilisation, qu'il chante, mais d'une civilisation accordée au corps humain, " La terre tremble sous la fougue des hommes-vaillants ", et au moyen de sa langue, il crée de nouveaux mystères, mais enchanteurs, non point alourdis par la peur du divin. Au-delà de la proposition cosmogonique, Monchoachi revendique des langues qui s'entendent entre elles ; des facultés des deux langues qu'il parle, il en rassemble les opposés, voilà bien un dessein farouchement politique, mais sa revendication n'a pas le ton de la colère, mais celui de la joie flamboyante de posséder la faculté de parole,
" Se tenir dans le désordre des choses
sans chercher, avec les mots, les appareiller
Les laisser travèser, s'énivrer
Toujours
en saut
dans la créance encontrer quèque parition
Avec lenvie wouè lans zyé-ou nimpóte quiça
Terribe
Qui parle et ne se refuse
Le signe chaque chose
Qui veut dire
Et veiller à le dédier et à renouveler
le pacte
" vous servirai de guide, vous montrerai le chemin "
La langue ouvrirait, avec Monchoachi, la voie de la réunion des peuples ? Du moins confère-t-il à la poésie cette grande possibilité.
[Jean-Pascal Dubost]

Monchoachi
Lémistè
Obsidiane
180 p., 17 €
On peut lire aussi cet article en PDF (meilleur respect de la disposition du poème dans la page) :


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