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Le bonheur national brut, roman de François Roux

Par Mpbernet

Voici le second pavé destiné à m'occuper l'esprit pendant ma première phase de convalescence. C'est une des nouveautés de la rentrée littéraire. Bien construit, bien documenté, grinçant et pas très optimiste sur l'avenir de notre société et ses travers ....

Quatre jeunes bretons, quatre amis de terminale en mai 1981. On les retrouve, passablement cabossés, au soir du 6 mai 2012. La boucle est bouclée entre François Mitterrand et François Hollande.

bonheur

Paul Savidan est le narrateur. Mal dans sa peau, écrasé par un père abusif, il assume mal son homosexualité, choisit les planches sur lesquelles il n'aura jamais le succès espéré. Benoît Messager est des quatre le seul qui rate son bac mais devient un photographe mondialement réputé. Tanguy Caron, fils d'un petit industriel, réussit une école de commerce réputée et deviendra Directeur général d'une multinationale de l'industrie chimique, Rodolphe Lescuyer échoue au concours d'entrée à l'ENA et se lance dans la politique, devient député socialiste, puissamment aidé par la fortune de son beau-père, chevalier d'industrie qui l'entraînera dans sa folie.

L'histoire déroule sur 700 pages la chronique d'une époque de renoncements successifs et de chute inexorable des valeurs, de l'économie mondiale, des ambitions mal fondées et des illusions de croissance. Ainsi vit la génération des hommes et des femmes nés au début des années 60, fossoyeurs des Trente Glorieuses, qui ont bénéficié de l'éducation de la République mais qui se heurtent toujours à l'irréductibilité des origines sociales, même lorsqu'on parvient à force de travail à se hausser au sommet de l'affiche, à surmonter les rancœurs familiales, à assouvir les penchants sexuels. Seul Benoît semble taillé à la serpe, avec un talent inné, sans compromis, mais il se consume d'un amour impossible. Tanguy est l'homme qui réussit, mais ne saura pas domestiquer ses démons et vivra un cataclysme professionnel inouï, comme Rodolphe, incapable de maîtriser sa rage intérieure.

Le roman est celui de notre cruelle époque, bien écrit, avec assez de rebondissements pour fournir matière à un scénario aussi cruel que captivant. Les personnages attachent le lecteur par leurs travers. A leurs côtés, seules les femmes sont magnifiées : aimantes, fidèles, puissantes, résignées, compréhensives, ou encore simplement présentes : Alice, Ancha, Emilie, Kelly, Juliette, Monique, Colette … sans oublier Laurent, le compagnon de Paul qui lui permet de trouver l'équilibre. Mais cette actualité elle-même constitue la faiblesse du roman : des ficelles narratives un peu épaisses, trop d'allusions politiques et économiques – même si elles sont finement décrites - des références culturelles appuyées comme autant de chevilles : Corfelia comme anagramme de for Alice, allusion à Rosebud, l'image de Véronika Lake (qui relève carrément du « private joke » aujourd'hui).

Il en émane une angoisse fondamentale qui vous fait fermer le livre avec tristesse, avec cette conclusion en forme de questionnement cruel : « Et si le bonheur était la plus grosse arnaque de ce siècle et de tous ceux qui l'ont précédé ? »

Le bonheur national brut, roman de François Roux, édité chez Albin Michel, 704 p., 22,90€


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