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(Anthologie permanente) Dominique Fourcade, "Deuil"

Par Florence Trocmé

Dominique Fourcade deuilDominique Fourcade publie deuil aux éditions P.O.L. A la toute fin du livre, ces mots : non sans une pensée, non sans la pensée la plus respectueuse et la plus affectueuse pour les siens, deuil est dédié à tous ceux qui ont connu Paul Otchakovsky-Laurens et en garderont à jamais le souvenir. 3 janvier – 23 mars 2018
Dickinson pour toi maintenant :
There's a certain Slant of light
Winter Afternoons
That oppresses, like the Heft
Of Cathedral Tunes —
Heavenly Hurt, it gives us —
We can find no scar,
But internal difference —
Where the Meanings are —
None may teach it — Any —
`Tis the Seal Despair —
An imperial affliction
Sent us of the Air —
When it comes, the Landscape listens —
Shadows — hold their breath —
When it goes, 'tis like the Distance
on the look of Death
ainsi se parle-t-elle ainsi te parle-t-elle du plus profond du neutre
elle n'a pas à crier tu es si proche
essentiellement, elle te déclare sa profession :
je suis écrivain, je participe du même neutre que le neutre d'éditeur dont vous êtes l'incarnation, je me rallie à l'honnêteté impérieuse de ce mot, nous sommes très peu nombreuses, nous les femmes, à nous y rallier, et les hommes guère plus, Rilke mis à part. mais Rilke est une femme, et le grand poète, français je crois, qui s'appelle Baudelaire-Mallarmé-Rimbaud est également une femme. le neutre est plus ou moins strident à l'approche de la mort, qui ne sait pas qu'il sait qu'elle approche
Paul where the meanings are we do find a scar
maintenant c'est à moi qu'elle parle : pourquoi diffères-tu ? en quoi diffères-tu ? je ne diffère en rien
je travaille instamment le neutre de toutes choses. tout frein de langue ôté (tu te trompes- dit-elle, c'est le neutre qui te travaille. toi tu ne fais rien)
le neutre et autre chose. cet autre chose est le mortel. au double sens de ce qui tue et de ce qui doit mourir
le neutre est un besoin éperdu et central
pas trop de toutes mes forces ma tendresse pour comprendre et faire mien l'être pour la mort, ayant pour guides Cézanne, Rilke, Heidegger
mais l'une des conditions du moderne est que j’annule toute métrique en moi, même la métrique de la mort
toi qui m'as donné mes livres, et en échange moi jamais rien. aujourd'hui voici quelque chose, le plus beau qui se puisse donner : a certain slant of light. il est bien temps, je le lis dans tes yeux, ce n'est pas de moi, et c'est justement ce qui rend possible de te l'offrir. cependant, j'ai tellement intégré ce poème dans l'élaboration du mien improvisée sur tant d'années ou arrangée dans l'instant même que c'est comme s'il était de moi. si tu veux je te donne aussi de mon chocolat amer, du Puerto Cabello. pardon de m'être permis ce dialogue que rien dans la mort n'autorise. je dois revenir au il par quoi tout a commencé, ce il qui seul convient à l'évocation de toi qui est mon angoisse
les narcisses des bois, éléments de février
dans certaines phases, on écrit vingt-quatre heures sur vingt-quatre, les écrivains ont l'expérience de ça, et lui connaissait le travail autant que tout éditeur au monde. à l'aube, en fait bien avant l'aube, il faut faire le tri de l'arrivage de la nuit, avec une obéissance démonique à plusieurs registres du texte en cours, registres de nous-mêmes auxquels l’écriture nous plaque, tout indique qu’il savait ça
ces nuits où l'on s'enfile un tampax luisant de lune
je ne puis m'ôter de la tête que c'est nous, les deux cent cinquante-six, qui sommes responsables de ce qui est arrivé. nous ne l'avons pas assez protégé. nos livres auraient dû faire rempart, ils ne l'ont pas fait cette idée m'est insupportable. j'en viens à me demander si ce n'est pas de les avoir publiés qui l'a exposé à la mort. qu'un livre expose son auteur, il est fait pour ça. mais nos livres sont censés protéger ceux qu'on aime, autrement ce sont des petits salauds d'égoïsme
l'existentiel de l'écriture, les mots carotide, aorte
à la base du ventricule gauche du cœur
cherchent une rime dans l’après-midi
trouvée morte
Dominique Fourcade, deuil, éditions P.O.L., 2018, 64 p., 9€, pp. 27 à 32.
On peut lire ici dans Poezibao deux traductions du poème d’Emily Dickinson.
Dominique Fourcade publie également improvisations et arrangements, aux éditions P.O.L.
Dans Poezibao :
présentation du numéro spécial (n° 11) du CCP, extrait 1, in notes sur la poésie, extrait 2, Citizen Do (par A. Malaprade), extrait 3, Eux deux fées (par A. Malaprade), ext. 4, ext. 5, "manque" (par Claude Pérez), "manque" (par Anne Malaprade), notes création, (archive) Dominique Fourcade, (Archive) Dominique Fourcade, "Manque"


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