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Comment explique-t-on un succès éditorial à l’étranger?

Par Albrizzi
Interview d'Héloïse d'Ormesson avec l'exemple du roman de Tatiana de Rosnay "Elle s’appelait Sarah"
C’est un conte de noël. Le manuscrit, plusieurs fois refusé par des maisons d’édition, dormait dans le tiroir du bureau de Tatiana de Rosnay, au point de la faire douter : et si elle n’était plus faite pour écrire ? Jusqu’au jour où l’histoire arrive aux oreilles de Gilles Cohen Solal qui donne le livre à sa compagne, l’éditrice Héloïse d’Ormesson. Emballés par ce roman aux allures de thriller — sur la destin d’une petite fille juive victime de la rafle du Vél d'Hiv' le 16 juillet 1942 —, les deux fondateurs de la maison EHO en achètent les droits. Deux ans après sa parution dans l’hexagone, les ventes frisent le million d’exemplaires dans le monde.
Par quel extraordinaire hasard le manuscrit Elle s’appelait Sarah est arrivé entre vos mains?

Héloïse d’Ormesson : Après que son manuscrit eut été refusé par la maison qui l’avait publiée jusque-là (Plon, NDLR), Tatiana de Rosnay était venue me voir pour me demander conseil. Elle savait que j’avais longtemps travaillé aux Etats-Unis, or elle avait écrit la première version de son roman en langue anglaise. Je lui ai conseillé de prendre un agent anglo-saxon afin de viser d’abord les maisons d’éditon en Angleterre et aux Etats-Unis. Six mois plus tard, je l’ai recroisée, elle était totalement déprimée car toutes les tentatives avaient échoué. Gilles Cohen Solal, avec qui j’ai créé les éditions Héloïse d’Ormesson, a voulu savoir l’histoire du livre. Tatiana nous a alors parlé de la rafle du Vel d’Hiv’, de son héroïne américaine qui vit en France, mène l’enquête sur cette période sombre et méconnue de la seconde guerre mondiale. Gilles s’est mis en tête de lire absolument le manuscrit, ce que Tatiana a d’abord refusé. Elle avait peur de refuser d’essuyer un énième échec. Quand je l’ai eu entre les mains, j’ai été immédiatement séduite.
Pourquoi a-t-il été refusé par les maisons d’édition, en particulier anglo-saxonnes ?
En Angleterre et aux Etats-Unis, personne ne sait ce qu’est la rafle du Vel d’Hiv’. Quand on parle de la seconde guerre mondiale, on pense tout de suite à la Shoah, aux camps de concentration, aux bombardements, à l’invasion de l’Europe par les Allemands et au débarquement. Ici, il s’agit d’un épisode où des Français ont envoyé à la mort d’autres Français. Cette image ne colle pas avec ce que les Anglo-saxons apprennent à l’école. Cette vision de l’Histoire en a déconcertés plus d’un.
Le succès a-t-il été immédiat et comment la sauce a-t-elle prise ?
Avant même que le livre ne paraisse en France (en mars 2007), j’avais déjà vendu les droits dans quatorze pays, dont l’Italie, qui fut le premier, en mars ou avril 2006. Puis j’ai eu un moment de flottement, dans beaucoup de pays, j’ai d’abord commencé sur des échecs qui se sont transformés plus tard en succès. En Allemagne, par exemple, le sujet les désorientait, tout ce qui touche à cette période est très sensible, le livre a été refusé par une quinzaine d’éditeurs et finalement, j’ai récolté de très bonnes enchères. En Espagne, cela était difficile, car dès 1936, ils ont eu leur propre guerre, et que leur pays, à travers la voie de Franco, était allié à Hitler. Aujourd’hui, nous en sommes à 90 000 exemplaires vendus. En Angleterre, Bloomsbury Publishing l’a laissé filer, c’est John Murray qui remporté la mise. Plus étonnant encore, le destin du livre aux Etats-Unis : il a été publié en octobre 2008 en poche par St Martin's Press, avec un tirage de 150 000 exemplaires, et s’est retrouvé quatre semaines consécutives sur la liste des best-sellers du New-York Times.
Par ailleurs, nous venons de vendre Boomerang et La mémoire des murs, deux rééditions de Tatiana de Rosnay, en Allemagne (Berlin Verlag), et allons commencer à avoir des offres pour ces titres que nous avons envoyés après la Foire du livre de Francfort 2008. En tout, nous avons atteint les 28 cessions de droits et j’attends bientôt Taïwan.
A posterio, pouvez-vous identifier les clefs du succès ?
Tout d’abord, indiscutablement, le fait que le manuscrit ait été écrit en anglais. Cet élément technique a favorisé sa diffusion, la prise de connaissance. Même un collaborateur junior dans une grande maison pouvait le défendre plus facilement. Il ne faut pas se leurrer, peu d’éditeurs étrangers parlent français, quand on veut vendre un roman francophone dont l’auteur n’est pas très connu, il faut attendre généralement les traductions ou tomber sur la bonne personne qui a eu un coup de cœur et va le transmettre autour de lui, et en parler. Ensuite, c’est une histoire construite autour de deux enfants, ce qui est toujours porteur. Elle s’appelait Sarah fonctionne un peu comme un roman policier, il y a plusieurs énigmes à résoudre, des mystères autour des personnages, qui meurt, qui a survécu, enfin, l’aller-retour entre la période de la guerre et l’époque actuelle est une excellente construction. A travers Julia Jarmond, l’enquêtrice américaine, le lecteur peut s’identifier facilement. Comme elle, il apprend l’Histoire. Enfin, en France comme à l'étranger, Tatiana de Rosnay assure une promotion sans faille de son livre, grâce à des rencontres avec ses lecteurs, ou en leur répondant sur le site Internet bilingue du livre (I). A l’automne dernier, elle a fait une tournée aux Etats-Unis en partenariat avec le lewish Book Council.
Aujourd’hui en France, à combien s’élèvent les ventes ?
En novembre 2008, les éditions Héloïse d’Ormesson avaient vendu 45 000 volumes en grand format, 80 000 ont été vendus en clubs et 170 000 exemplaires de l'édition poche (Le Livre de poche) depuis sa parution en mai 2008. Un film est en préparation, les droits ont été acquis par Stéphane Marsil (Hugo Films et Expériences films), le scénario devrait être écrit par Serge Joncour et réalisé par Gilles Paquet-Brenner.
Propos recueillis par Nathalie Six pour Vient de Paraître (N°34 mars-avril 2009)
368 p., 22 euros.
( I ) www.sarahskey.com
Liste des 28 cessions de Sarah's Key à l'étranger : Total en novembre 2008 : 758 000 exemplaires
France : 265 000 exemplaires
45 000 ex. en grand format chez EHO
80 000 ex. France Loisirs
130 000 ex. en Livre de Poche
10 000 ex. en Clubs.
Etranger : 484 000 exemplaires
- Espagne (Suma de Letras) : 75 000 ex.
- US (St. Martin’s Press) : environ 5 000 ex. grand format, + 5 000 ex. en club de lecture, Poches : 250 000 ex.
- Russie (Family Leisure Club) : 25 000 ex.
- UK (John Murray) : 15 000 ex ;
- Pays bas (Artemis/AmboAnthos) : 5 000 ex. Poches à venir.
- Italie (Mondadori) : 15 000 ex. grand format + 5 000 poches + 5 000 en club
- Suède (Bazar) : 3 000 ex.
- Germany (Berlin Verlag) : 56 000 ex.
Colombie : 3 000 ex.
Venezuela : 3 000 ex
Équateur : 200 ex
Chili : 5 000 ex
Mexique : 7 000 ex

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