La réédition des « Souvenirs Littéraires » de Léon Daudet
Je me demande ce que font nos sages et raisonnables élites, critiques et autres qui font dans le culturel, pour laisser passer la réédition aux « Cahiers rouges » chez Grasset des souvenirs littéraires de Léon, monarchiste, catholique et cultivé. Quoi que Léon ne fut pas sectaire, il milite pour la création des syndicats à l'abrogation de la Loi le Chapelier (loi révolutionnaire de 1791 qui interdisait les associations ouvrières), en 1898, et défile avec les anarchistes en 1923 ; et comme il le rappelle : on pouvait très bien faire le coup de poing contre les communistes pour se réconcilier ensuite au café dans une même détestation des bourgeois, leur morale étroite, et leur hypocrisie majeure. A l'époque, certains de ses contempteurs l'appelaient « Gros Léon » car il était lui aussi doté de rondeurs voluptueuses. On a oublié la plupart de leurs noms tandis qu'on le lit encore. Proust le comparait à Saint Simon et lui dédie le premier tome de « la Recherche » que Daudet s'était employé à défendre becs et ongles au jury du Goncourt qui préféra une quelconque connerie. Il avait du nez en matière littéraire, un nez très fin quitte à porter aux nues des écrivains qui étaient ses ennemis politiques sans jamais faire preuve d'aucun sectarisme, dont Céline, d'abord réputé anarchiste, ou Proust, dreyfusard.
Bien sûr, on ne peut que désapprouver sa défense de Drumont, antisémite obsessionnel jusqu'à la pathologie. C'est une des rares nuances que l'on peut apporter à cette lecture car les portraits des littérateurs éxécutés par Léon sont tous remarquables. Cela peut aller jusqu'à la jubilation, de celui de Barbey, que l'on a l'impression de voir revivre sous nos yeux, ce « vieux viking au verbe sifflant et édenté », que je connais par coeur, à celui de Debussy « génie au front de taureau » ou de Maupassant, malade, imbécile et génial en même temps, en passant par Proust, Puck et feu-follet assis sur les banquettes de cuir du Café Weber, Forain, Caran d'Ache, petit gros et séducteur qui « déshabille les femmes du regard en un quart de seconde comme l'experte nounou le poupon » et feint l'attention d'un bon apôtre (personnage donc légendaire chez les petits gros), José Maria de Heredia et Oscar Wilde à la fois beau et atroce, expert en argot londonien et qui savait s'élever aux cimes pour parler de beauté. Daudet les a tous fréquenté gràce à son père et son premier mariage avec une petite-fille Hugo.
Ce qui domine chez Léon, c'est de toutes façons la lucidité : sur son époque et ses grands personnages, voire ses mythes, comme Victor Hugo, grand-père débonnaire de toute la Troisième République et saint laïc, ou Aristide Briand, ancien indic dont il conserve les habitudes très longtemps (à savoir avoir des dossiers sur tout le monde), ivre de rage quand Léon le coince sur ses hypocrisies. Le récit des funérailles nationales de Victor Hugo trouve encore, à mon avis, des résonnances dans l'actualité. La bourgeoisie prétentieuse et bien parée, y cotoie la canaille la plus vile, et bientôt le vernis craque et tous de se laisser aller à la joie malsaine du troupeau content de communier dans l'instinct grégaire, les marlous mettent la louche au cul des rombières, que ça fait rire de la gorge, pendant les notables pactisent avec les apaches. On ne songe plus vraiment à « Booz endormi », ou aux tribulations de Quasimodo. C'est la lie qui déborde tout. Concevoir le peuple comme forcément bel et bon était déjà à la mode, ce qui permet aux nantis et à leurs séides de conservers privilèges et honneurs, honneurs douteux il est vrai.
Et cerise sur le gâteau, il n'est jamais didactique, il ne cherche pas à vendre sa camelote idéologique, ou à se faire missionnaire pour telle ou telle cause en oubliant le style ou la valeur littéraire réel d'un auteur. En homme du XVIème siècle qu'il est, véritable humaniste, c'est-à-dire cet humanisme qui contient tout ce qui est humain, et beau. Justement, quant à la beauté, Léon n'est pas dans le relativisme qui voudrait que « tous les goûts, y soyent dans la nature ». Il est parfois injuste, parfois dans l'erreur, mais lui saurait encore l'admettre, contrairement aux porteurs de causes qui, eux, ne se trompent jamais, n'étant sans doute pas de la même planète. Daudet est beaucoup moins sec et aride que Maurras qui se laisse parfois aller au cynisme, on comprend mal que ces deux personnages aient réussi à s'entendre. C'est une sorte d'ogre qui aurait voulu tout recevoir, tout ressentir, tout goûté et que rien de qui est humain ne lui échappe.
LES COMMENTAIRES (2)
posté le 10 mars à 09:13
Léon Daudet a assité aux obsèques de Jules Guérin le 12 février 1910: (http://www.youtube.com/watch?v=0FrREFV21zk "centenaire jules guérin")
posté le 25 janvier à 21:18
Dans mon édition dédicacée des Souvenirs Littéraires, des signets me conduisent là ou là.
Un signet m’installe au restaurant Weber à la table de Léon Daudet.
Plaisir de s’y retrouver en compagnie des deux nègres de Willy. Deux potes : les inséparables Curnonsky, alias Curne et, Toulet.
Tous les ans, je descends à Caresse-Cassabers, le village natal de Toulet. Hôtel Tissier, comme au temps de Toulet.
Je termine mon voyage en déposant des coquillages sur la tombe de Jean-Paul Toulet dans le petit cimetière de Guéthary, à gauche après la grille.
Entre deux je m’achète un béret basque à la coopérative sur le port de Saint Jean de Luz.
C’est dire que la réédition des Souvenirs me fait plaisir. Je lis souvent Daudet. Surtout pour le pittoresque d’une époque passionnante.
Sur Jean-Paul Toulet, poète maniant la langue, avec plus de souplesse encore que Mallarmé :
« Nous l’aimions pour son horreur de la foule, des préjugés démocratiques, de la niaiserie diffuse et des gens importants. Un monsieur, dont le nom est une tare, célébrait devant lui l’innocence plus que problématique d’un autre taré : « noblesse oblige » dit Toulet, se levant à demi comme pour saluer. »
On connaît l’un des chefs-d’œuvre de Curne, co-écrit avec Bienstock, dans la collection joyeusetés et facéties : T.S.V.P. Ce recueil d’anecdotes et de bons mots, me fait toujours bicher. Veinard de Daudet qui se tapait la cloche avec lui !...
Sur Curnonsky :
« Curne joint à l’esprit d’observation le don de la cascade des mots et des éblouissants à-peu-près. Cette facilité prodigieuse, renversante… »
Autre signet.
Nous voilà au ballon avec un Daudet découvrant à ses côtés le sens de l’honneur des taulards :
« la seule faute impardonnable, et qui mérite, selon la loi de la jungle, le coup de surin ou de « rigolo » mortel, c’est de « donner » le copain aux bourriques ou aux « bourres ».
Il s’est pas trop attardé à la Santé, le Daudet. Treize jours après, le 26 juin 1927, les Camelots du roi le font évader.
Les images de Daudet surgissent de signet en signet.
Des images fortes et rudes. Rien de musqué, ça pue la sueur, le sang, les parfums puissants. Comme chez Céline, ça vit frénétiquement. Etre venu du fond des âges, homme rayonnant d’audace et de joie.
Mais qui donc aujourd’hui ressemble le plus à Daudet ?