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L’écume des jours, critique

Publié le 23 avril 2013 par Fredp @FredMyscreens

L’écume des jours, critique

Une fois n’est pas coutume, j’accueille Isabelle, une invitée spéciale sur le blog, une véritable fan du roman L’Écume des Jours de Boris Vian et qui va pouvoir parler avec passion de l’adaptation de Michel Gondry.

L’écume des jours, critique
« Colin terminait sa toilette» . Voici la première phrase du roman tant connu de Boris Vian, l’Ecume des jours.

Michel Gondry, dès le départ, semble ne pas prendre de risque puisque son adaptation cinématographique commence de la même manière. Mais en y mettant sa patte : en l’animant. La citation est tapée sur une des nombreuses machines à écrire présentes dans une usine qui ressemble étrangement à un vaisseau spatial (pour l’anecdote, il s’agit de l’ancien siège du parti communiste parisien). Les ouvriers (ouvrières plutôt) y pianotent en chœur les pages du roman. Pas de doute, le phrasé musical est en arrière-fond, la traduction du roman sur grand écran paraît déjà fidèle. Et l’histoire va s’écrire à mesure que le livre se lit, pendant plus de deux heures, en traitant avec cruauté mais délicatesse le destin mélangé de Colin et Chloé. Le spectateur/lecteur retrouvera tout au long du film, par le biais de cette scène de début qui revient à chaque acte, sa condition de témoin d’une histoire d’amour tragique qui lui échappe, qui échappe à nous tous, même au narrateur qui utilise l’imaginaire pour atténuer la souffrance. Et qui d’autre qu’un tel réalisateur pour adapter ce conte ? La poétique de l’un, n’est que l’héritière de l’autre.

L’écume des jours, critique

La Science des rêves, Eternal Sunshine of the Spotless Mind ou encore Soyez sympa, rembobinez : l’univers gondriesque est en lui-même déjà proche de celui de Boris Vian. Si Colin pouvait faire disparaître la mémoire de sa dulcinée comme Clémentine l’a fait par exemple ? Et si nous étions dans une émission télévisée comme l’a choisi Stéphane ?

L’acteur principal, le temps, répète le même refrain. Tantôt en allegro : la rencontre se fait rapide, l’amour voit le jour immédiatement. Tantôt en adagio : le récit est en suspens, le drame s’abat sur ces jeunes adultes coupés dans leurs projets d’avenir (comme dans The We and the I). Le metteur en scène prouve qu’il sait mettre en images la musicalité du trompettiste. Chick joue un morceau sur le pianocktail, Chloé invente une chanson pour Colin. La métaphore se concrétise lorsque le médecin, joué par Gondry lui-même, retranscrit les battements du coeur de Chloé en morceau de jazz.

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Que le connaisseur de Vian soit donc rassuré, les éléments importants du livre sont intacts : la musique et le pianocktail donc, Duke Ellington, mais aussi l’abondance de fleurs pour soigner Chloé, la limousine transparente, le langage soutenu de Nicolas, la sonnette qui se sépare du mur, l’anguille dans le tuyau, le biglemoi, la patinoire tenu par un pigeon, l’addiction de Chick à Jean-Sol Partre (et les contrepetries utilisées pour ce dernier), le nénuphar, hélas…
Mais le metteur en scène sait renouveler. Ce qu’il n’a pas pu mettre dans ses oeuvres précédentes, il en fait des marques-pages pour relire les idées les plus intéressantes plus tard et surtout, ne rien oublier. Une idée pour un clip de Bjork (« Bachelorette»  ?) devient un projet pour le roman de Boris Vian. C’est le cas à propos de l’aquarium et de l’utilisation de l’eau dans le film. Les deux amants, en tenue d’époux et épouse, en lévitation, flottent, portés par l’amour, sans savoir qu’ils sont déjà en train de se noyer. Les lieux vont être écrasés par ce torrent : une bulle d’air comme toit ouvrant dans le carrosse, condensation sur les fenêtres de l’appartement, affaissement des murs… La maison tout au long de l’œuvre s’écroule, s’affaisse, comme le destin des protagonistes démembrés. Les fenêtres se couvrent d’un voile opaque et ne laissent plus transparaître la lumière.

L’écume des jours, critique

Gondry va plus loin : il adapte le récit au monde actuel. Les personnages du livre correspondent aux héros d’aujourd’hui : Omar Sy qui joue Nicolas revient à des expressions plus banlieusardes qu’on lui connaît, le rôle de Colin joué par Romain Duris est plus accentué et tient plus du 1er rôle, la ballade en nuage vole au-dessus des Halles en travaux, des engins technologiques anachroniques viennent s’ajouter comme le téléphone portable ou l’ordinateur avec son moteur de recherche.

Plus qu’un roman, l’Ecume des jours est aussi un essai, un pamphlet existentialiste anti-destin, anti-dogme. Et Gondry aussi s’interroge et respecte la pensée de l’écrivain qui sans doute s’interrogeait sur le devenir de son roman après sa mort. Lu au collège, relu à l’âge adulte, cette oeuvre est intemporelle et jusqu’ici personne n’avait vraiment osé l’adapter à l’écran. Intemporelle du point de vue cinématographique également : Gondry rend hommage à Truffaut lors de la mise à feu de la bibliothèque de Chick, Vian rendait hommage à Ray Bradbury.

L’écume des jours, critique

Gondry, avec son humilité, propose une simplification de l’oeuvre sans la dénaturer. Il rend hommage et continue à apporter ainsi une valeur ajoutée au cinéma français pas assez audacieux et donc pas toujours renouvelé. Gondry ne réécrit pas l’œuvre, il s’en sert comme pour témoigner d’une histoire du cinéma inversée : on passe du clinquant, de l’hollywoodien, de la couleur, à l’animation simple (un dessin animé réalisé par Audrey Tautou) et au 7ème art (presque) muet et noir et blanc. Vian imaginait le 21ème siècle, Gondry revisite le siècle de Vian. On se rémémore Vian en voyant Gondry. On se remémorera aussi Gondry on relisant Vian.


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