Mon regard se pose sur le clic-clac du salon. Un tourbillon de bien-être m’envahit. Je souris. Allongé sur le petit clic-clac à rayures, il y a un homme. Mais pas n’importe quel homme. L’homme que j’aime. Mathieu. Mon Mathieu. Et je ne parviens plus à détourner mes yeux de ce prince tout droit sorti d’un conte de fées… De ces cheveux châtains ébouriffés. De cette barbe de deux jours qui borde son visage. De ces lèvres qui, même au repos, semblent encore esquisser un sourire quiet. Qu’il est beau, mon Mathieu ! Que j’en suis dingue, de ce type-là ! J’en crèverais, de l’aimer tant.
Ça n’a pas été toujours simple entre nous. Je ne sais pour quelle raison, il s’est toujours interdit de m’aimer. Alors qu’il l’était déjà, amoureux. Amoureux fou. Dès le premier jour. Ce premier jour où l’on s’est croisé, lui et moi. Dès le premier regard, j’ai senti quelque chose transpercer ma poitrine pour aller se planter dans mon cœur, un souffle chaud m’envahir, mes jambes chanceler sous le poids de ce je ne sais quoi. Il m’a souri. Je lui ai souri. Nous avons échangé quelques mots. Des mots qui, d’ordinaire anodins, résonnaient d’une intensité que je ne leur avais jamais connue. Des mots qui voulaient déjà dire Je t’aime et promettaient des lendemains qui valsent dans ses bras.
Je savais déjà que l’on était fait l’un pour l’autre. Que mon âme sœur, celui que j’avais attendu toute ma vie, ça ne pouvait être que lui. Alors, en sortant de cet ascenseur, je l’ai suivi. Discrètement, jusque chez lui. J’ai pris mon petit carnet et y ai inscrit son nom, son prénom, son adresse. Et puis, j’ai fait demi-tour. Mathieu, il s’appelait Mathieu mon bel Ange ! Mathieu Barendt. Monsieur Barendt Mathieu, acceptez-vous de prendre pour épouse mademoiselle Vindi Ingrid ? Oui ! Vous pouvez embrasser la mariée. Madame Ingrid Barendt, ça sonnait plutôt bien.
M’armant de patience, je me suis ensuite improvisée enquêtrice privée. Grâce à la magie d’Internet, j’ai réécrit l’histoire de sa vie sur mon petit carnet. Sa vie de prince parfait. Presque parfait, du moins. Il était marié. Une pauvre fille dont il avait sûrement eu pitié, ne sachant pas que j’allais enfin entrer dans sa vie. Moi, son âme sœur, son alter ego, son autre lui. Durant des mois, j’ai écrit. Des lettres enflammées à mon bien-aimé. Laissé des messages sur son répondeur aussi. Et puis, j’ai soudain vu sa belle d’un temps prendre le large. De l’argent avait disparu de la caisse du salon de coiffure où elle travaillait. Des lettres anonymes qui la pointaient du doigt ont fait beaucoup de bruit. Elle a été renvoyée. J’ai souri. D’autres lettres ont mis en doute sa fidélité auprès de son cher époux. Des mots. Des photos. Et autres preuves. Il est parti. Encore, j’ai souri. À la vie. À ce miraculeux corbeau, aussi.
Il a ensuite déménagé. Plus près de chez moi, comme fait exprès. De plus, un jour où j’errais devant son immeuble, à attendre je ne sais quoi, il est descendu. On s’est heurté. Moi qui tournais en rond. Lui qui avançait d’un pas pressé. Pardon, a-t-il chanté. Il n’y a pas de mal, ai-je souri. On se connaît, non ? En une course folle, j’ai fui, en lâchant derrière moi un triste Non. Pourquoi me posait-il cette question, mon bel Amour ? Qui j’étais, il le savait pertinemment. Puisque régulièrement il me laissait entendre qu’il avait bien reçu mes lettres, qu’il m’aimait aussi follement, mais que ce n’était pas encore le moment. Ses réponses faussement froides au téléphone, juste parce qu’il n’était pas seul. Une offre de voyage pour Venise déposée dans ma boîte aux lettres. Un livre emprunté à la bibliothèque – dont il était le précédent emprunteur – parsemé de mots qui ne pouvaient être adressés qu’à moi. Une étoile filante dans le ciel une nuit où, accoudée à mon balcon, je ne pensais qu’à lui.
Je l’aimais. Il m’aimait. On le savait. Mais la vie ne nous y autorisait pas. Alors, j’ai décidé de prendre les choses en mains. De bousculer le destin. Puisque le destin, lui-même, n’engageait pas grand-chose pour nous réunir enfin. Alors, la nuit dernière j’ai sonné à sa porte. Il devait être trois, peut-être quatre heures. La porte s’est ouverte. Et son visage m’est enfin apparu. Son doux visage. Son regard profond. Ses délicates fossettes. Ses délicieuses lèvres. Que, vite, j’ai drapées d’une compresse baignée de chloroforme. Et il est tombé dans mes bras et je l’ai rejoint… chez Nous.
Depuis, je l’observe dormir dans Notre clic-clac à rayures, au beau milieu de Notre salon. Mon Mathieu à moi. Un sourire quiet accroché au bout des lèvres. J’ai lié ses poignets. J’ai eu peur. Peur qu’il n’accepte toujours pas. De m’aimer autant que, moi, je l’aime. Peur qu’il s’empêche encore de m’aimer. Alors que Nous ne fait déjà plus qu’un. Que nous ne sommes déjà plus que moitié de l’autre.J’ai peur. Peur qu’il ne se réveille trop tôt. Mais déjà, trop tôt, il se réveille :
— Hmm… Où suis-je ?
— Chez nous, mon bel Amour. Tu es chez Nous.
— Chez nous ? Mais… qui êtes-vous, mademoiselle ?
— Je suis ton bel Amour, mon Ange. Rendors-toi… Demain, tout ne sera que lumière.
— Chez nous ? Partez de chez moi… S’il vous plaît, mademoiselle…
— Chez toi, c’est chez Nous, mon bel Ange. N’aie pas peur, je suis là…
— Je reconnais votre voix… S’il vous plait, laissez-moi enfin tranquille…
— Chut, mon tendre Amour. Chut.
— Mademoiselle…
— Chut…
Et il s’est tu. Mon bel Amour. Quand, en sa poitrine, ma main a planté cette lame qui lui faisait les yeux doux. Il dort, mon bel Amour, il dort paisiblement. Et il m’aime, mon bel Ange adoré, toujours éperdument. Hein, mon Mathieu ? Hein que tu dors ? […] Mathieu ?! Mon doux Mathieu… Tu le sais, hein, que tu dors ? Tu sais, hein, que tu m’aimes ? Respire, mon tendre Mathieu, respire lentement… J’en crèverais, tu sais… J’en crèverais, de t’aimer tant.
Notice biographique
Myriam Ould-Hamouda (alias Maestitia) voit le jour à Belfort (Franche-Comté) en 1987. Elle travaille au sein d’une association pour personnes retraitées où elle anime, entre autres, des ateliers d’écriture.C’est en focalisant son énergie sur le théâtre et le dessin qu’elle a acquis et développé son sens du mouvement, teinté de sonorités, et sa douceur en bataille — autant de fils conducteurs vers sa passion primordiale : l’écriture. Elle écrit comme elle vit, et vit comme elle parle.
Récemment, elle a créé un blogue Un peu d’on mais sans œufs, où elle dévoile sa vision du monde à travers ses mots – oscillant entre prose et poésie – et quelques croquis, au ton humoristique, dans lesquels elle met en scène des tranches de vie : http://blogmaestitia.xawaxx.org/