J'ai visité avec une cohorte de journalistes les coulisses du Mémorial de Falaise, dédié aux Civils dans la Guerre dont l'ouverture officielle aura lieu le 9 mai prochain.Dédié aux victimes civiles des guerres son emblème est un grand C et ce musée est assez particulier, pour autant que j'ai pu en juger car il restait beaucoup d'installations à terminer, en toute logique.
Plus tard dans la journée j'ai effectué un pas en arrière dans l'Histoire avec le château de Guillaume le Conquérant, qui fut roi d'Angleterre ... mais qui fera l'objet d'un autre article.
Cet imposant édifice ne risque pas de passer inaperçu car il est visible depuis le Memorial, en particulier lorsqu'on sort sur la terrasse, ce qui permet d'en faire des photos inédites jusqu'à présent.
Même empoussiéré et bâché, le Mémorial dégage, à 12 jours de son ouverture officielle, une émotion tout à fait palpable et suscite abondance de questions. Le "chantier" grouille de partout. On positionne dans le hall les vitrophanies qui mettront le public dans l'ambiance. Je peux lire cette phrase de Fénelon qui rappelle le tribu des populations : toutes les guerres sont civiles.
La tranche d'histoire évoquée est suffisamment récente pour que chacun d'entre nous en ait une connaissance familiale mais paradoxalement suffisamment ancienne (la Seconde Guerre Mondiale s'est achevée il y a soixante-dix ans) pour que très peu de témoins puissent encore s'exprimer.Toutes les réponses ne seront pas données. Une part de mystère subsistera ...
Le Mémorial est situé en face de l'Office de tourisme, juste à coté de la Mairie, sur le bord de cette place où se dresse la statue triomphante de Guillaume le Conquérant, dans ce qu'on appelle "un bâtiment de la reconstruction" datant donc des années 50-60. Ce fut un Tribunal avant d'abriter des services administratifs.
Sur la droite, dans une sorte de vitrine surélevée on découvre une Simca 5 chargée à bloc, à l'instar de celles qui ont permis de fuir ... C'est une automobile franco-italienne conçue par Fiat et produite de 1936 à 1949 qui a été achetée par le Mémorial de Caen en 2013. Cet objet symbolique sera sans doute photographié et circulera comme un symbole dans le monde entier. Il ne faudrait pas croire que l'exode a été facile.Ma mère m'a raconté qu'elle avait quitté la maison avec une bicyclette trop grande pour elle. On avait sanglé des cales de bois aux pédales pour que ses jambes puissent actionner les roues. Elle a roulé plus de 300 kilomètres pour échapper aux bombardements. Ses parents ont fait le trajet en carriole tirée par un cheval. On verra à l'étage des photographies d'époque montrant les routes investies par les civils en déroute. Et je serai émue d'y découvrir celle d'une jeune fille endormie au pied de son vélo.

La Seconde Guerre mondiale a tué plus de civils que de militairesEric Macé, maire de la ville et premier Vice-président à la Communauté de Communes du Pays de Falaise rappelle que l'objectif n'était pas de créer un musée de plus. Le projet a été porté par les collectivités locales du territoire de Falaise parce que cette ville figure parmi les villes normandes très durement éprouvées par les bombardements de l’été 1944 : dans les décombres fumants de Falaise détruite à 80%, morts et blessés se comptent alors par centaines.
Son nom reste également attaché à l’épisode militaire décisif d’août 1944 qui voit les troupes allemandes prises en étau dans la fameuse poche de Falaise-Chambois. La Libération ne se résume pas au débarquement des Américains.
La Bataille de Normandie a continué pendant les cent jours qui suivirent le Débarquement allié. Elle opposa deux millions de soldats au milieu desquels tentaient de survivre un million de civils.
Pendant ces trois mois interminables, pas moins de 150 000 Normands furent contraints de quitter leurs habitations à cause des combats et on estime que près de 20 000 d’entre eux y ont trouvé la mort.
Il est important de comprendre qu'à l'inverse de la Première Guerre mondiale la seconde a tué plus de civils que de militaires. 35 millions de civils ont perdu la vie dont 15 millions de Chinois (tués par les Japonais), 8 millions de Russes, plus de 5 millions de Polonais et 3 millions d'Allemands. Les chiffres sont terrifiants, mais rigoureusement exacts. Apprendre qu'il y a eu beaucoup plus de tués à l'Est de l'Europe est une révélation pour plusieurs d'entre nous. Le nombre de blessés et estropiés est estimé à 100 millions de personnes supplémentaires.
Une démarche avant tout pédagogique
Il s'agit comme le dit Stéphane Grimaldi, d'ouvrir des fenêtres, en d'autres termes de faire réfléchir. La scénographie a été conçue pour que l'endroit permette d'abord l'apprentissage d'une histoire avant d'être un lieu de mémoire. D'autant que les témoignages peuvent être conflictuels, y compris au sein d'une même famille.
Il avait lui-même 20 ans en 1944 et a travaillé dans des équipes d'urgence. Et il semble particulièrement impliqué dans la démarche.
Le témoin n'est pas un historien. Il faut apprendre aux visiteurs et au public scolaire (à partir du CM1) à critiquer. La tâche est devenue plus difficile à mettre en oeuvre puisque l'Education nationale a supprimé les postes des 4 ou 5 enseignants détachés pour cette mission, mais elle sera pilotée par les équipes du Mémorial de Caen qui ont un grand savoir-faire en la matière.

On s'est d'abord interrogé sur la faisabilité d'installer un mémorial dans un ancien tribunal.
Les civils et l'occupation
Le parcours commencera par le 2ème étage pour présenter la spécificité de la France occupée, à la fois du fait de la pesante administration militaire allemande mais aussi de la présence de ce qu'on désigne sous le terme de "Etat français".
Le public y est invité à comprendre ce qu'était la vie quotidienne, sous la répression et l'ampleur des persécutions, principalement des populations juives et comment a fonctionné la propagande.

Chaque panneau d'information, chaque cartel est lisible en français, en anglais et en allemand. La figure de l'occupant est clairement représentée. On remarque le portrait d'Hitler derrière la cloison métallique qui, métaphoriquement illustre la pesante administration militaire allemande, renforcée par la présence de l'"Etat français".
Il faut avoir conscience qu'Hitler avait pour principal objectif de piller la France et sa réserve en or.
C'est Dominique Paolini (ci-dessous à droite) qui a oeuvré à la scénographie des trois plateaux de 800 m2. Au bout de 23 mois, ce qui est un temps record, le résultat devrait être à la hauteur des objectifs pour ce qu'on peut juger à l'heure actuelle.





Des écrans feront parler des témoins, survivants de la bataille. Car elle ne s'est pas terminée le jour de la libération. C'est Pascal Vannier, ancien journaliste de France 3 qui a recueilli les témoignages. Ils sont pour le moment 45 mais la tâche sera poursuivie, avec naturel, sans héroïsme ou emphase.




Les salles de cinéma ont aussi une fonction sociale : on y va pour avoir chaud.
















- le décollage de l'avion et son survol de la Manche
- les premières alertes
- les premiers tirs de DCA pour tenter d'arrêter cet avion
- l'ouverture des soutes
- le lâchage des bombes, et pour ne pas stigmatiser un pays plus qu'un autre les bombes proviendront de plusieurs pays différents.
Il a fallu accepter que la mémoire ne soit pas identique ... pour que soit enfin raconté ce "martyre silencieux", parfois tragique et violent (les bombardements, la déportation), le plus souvent trivial (le rationnement, la propagande…), qui, bien que longtemps occulté, fait intimement partie de la mémoire collective.

Un site remarquable à visiter ainsi que le château.
Memorial des Civils dans La Guerre12 Place Guillaume le Conquérant, 14700 FalaiseOuvert de 10 heures à 18 heures (19 heures en juillet et août) jusqu'au 3 novembre 2016.

