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Cinéma : « Läif a Séil » de Loïc Tanson

Publié le 01 octobre 2023 par Paulo Lobo
Cinéma : « Läif a Séil » de Loïc TansonUn grand réalisateur est né !

Les premières 25 minutes sont éblouissantes. Dans tous les sens. 

Un exercice de mise en scène extraordinaire, sur le plan formel et narratif.

Le montage, le noir et blanc granuleux, les cadrages qui chavirent, la caméra hyper fluide qui nous immerge dans un univers rude et barbare. 

C’est un flux visuel qu’on n’oubliera pas de sitôt. 

Âpre, surprenant et terrifiant. 

On est au 19e siècle, mais les hommes sont barbares.

Cette séquence d'ouverture, tournée en 16mm dans un format carré, nous raconte le drame qui bouleverse la jeune Hélène (Sophie Mousel) et déclenche en elle une soif de vengeance implacable. 

L’action se déroule au Luxembourg, en 1838, la population est pauvre et misérable, elle a souffert de plusieurs vagues de famine et de maladie. 

Dans une bourgade isolée dans le nord du pays, la famille Graff, le père et ses fils, règne sur les habitants du village, leur offrant pain et protection, mais les soumettant à un régime tyrannique et féroce. 

Le père (Jules Werner) se pose en véritable seigneur féodal tout-puissant, s’accordant également un droit de cuissage sur les jeunes filles du hameau.

C’est ce clan des Graff et ses acolytes qui vont devenir l’objet de la vengeance d’Hélène quand elle reviendra au village sous une identité nouvelle.

Après ce prélude fulgurant, 15 ans passent, et le film change radicalement de forme et de rythme. On passe en mode widescreen et en couleur; la narration se fait plus lente, pendant 1h30 nous allons suivre comment Hélène, devenue Oona, met en œuvre son plan pour se venger des Graff.

Cette deuxième partie, plus intimiste et réflexive que les 25 premières minutes, est étrange et envoûtante.

La vengeance est un plat qui se mange froid, et Oona prend son temps. 

Elle s’infiltre dans la famille des Graff et sonde leur pouvoir de l’intérieur.

(Cette confrontation avec le mal m’a fait penser à Willard qui va à la rencontre de Kurtz au fin fond de la jungle dans « Apocalypse Now ». Il y a d’ailleurs un face-à-face nocturne entre Hélène et le père Graff qui m’a immédiatement fait penser au film de Coppola).

Pendant une bonne heure, « Läif a Séil » se donne le temps d’exposer la psychologie des personnages, leurs peurs, leurs émotions et leur noirceur. 

Puis, dans sa dernière demi-heure, le film nous amène vers un final explosif, de nouveau riche en bruit et en fureur.

Ce qui m’a impressionné le plus dans ce film, c’est la mise en scène, rigoureuse et inspirée de bout en bout et donnant lieu à quelques séquences époustouflantes.

La photographie est un autre point fort du film, à la fois dans la partie noir et blanc et dans la partie en couleurs. 

J’admire le brio avec lequel les scènes nocturnes en basse lumière ont été tournées, le travail millimétré sur l’ombre et la lumière, le travail sur les cadrages et la composition, le travail sur la suggestion de ce qui se passe hors-champ. 

Le film bénéficie également d’une excellente bande-son, composée par Thorunn et Mike Koster (when ‘airy met Fairy), qui concourt aux ambiances mystérieuses et inquiétantes du récit. 

Il y a aussi l’interprétation formidable. Loïc Tanson est visiblement un très bon directeur d’acteurs. 

Tous les acteurs créent des personnages remplis de vie et de véracité. 

Pour moi, les rôles les plus percutants sont tenus par Jules Werner (Le père Graff) et Luc Schiltz (Graff fils). 

On dit souvent que quand les méchants sont réussis dans un film, alors le film est réussi. C’est le cas dans Läif a Séil, Jules Werner et Luc Schiltz composent des figures monstrueuses qu’on adore détester. 

Alors voilà, c’est un film luxembourgeois, parlé en luxembourgeois, et c’est très réussi, spectaculaire et intelligent, on ne s’ennuie pas.

Je pense que c’est la première fois que je vois un film luxembourgeois aussi puissant et intense. Et techniquement irréprochable. 

Je pense qu’il aura certainement un succès populaire important, et que cela sera tout à fait mérité.

Loïc Tanson se révèle incontestablement comme un réalisateur de grand talent, maîtrisant avec brio tous les aspects techniques de la mise en scène. Surtout, il sait narrer une histoire de manière captivante, offrant une expérience cinématographique de grande envergure.

Maintenant que ce film existe, tout est possible dans le cinéma luxembourgeois, le champ est grand ouvert pour mille nouvelles histoires!

« Läif a Séil » réalisé par Loïc Tanson, produit par Samsa Film. En salles au Luxembourg à partir du 25 octobre.


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