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Mittenwald - Les bézoards et une groupe de mendiants baladins dans le Voyage d'Italie de Maximilien Misson (1695)

Publié le 01 octobre 2023 par Luc-Henri Roger @munichandco

En 1687-1688 Maximilien Misson, un protestant qui a quitté la France à la suite de la révocation de l'Édit de Nantes (1685), accompagne un lord anglais, Charles Butler, dans un voyage en Italie. C'est ce voyage qu'il raconte en 41 lettres, adressées à un destinataire anglais anonyme, et publiées en 1691. La 12ème lettre mentionne le passage des voyageurs par le village de Mittenwald.

Après avoir suivi quelque temps les bords de l'Iser [Isar] qui est la rivière de Munich, nous sommes entrés dans une forêt au sortir de laquelle on voit distinctement le commencement des Alpes. Leurs cimes chargées de neige se confondent avec les nues et ressemblent assez aux vagues enflées et écumantes d'une mer extraordinairement courroucée. Si l'on admire le courage de ceux qui se sont exposés les premiers sur les flots de cet élément , il y a sans doute aussi de quoi s'étonner, qu'on ait osé s'engager parmi tous les écueils de ces affreuses montagnes.

Nous sommes arrivés le même jour de notre départ de Munich., dans un village appelé Lagrem [Lengries ?], qui est au pied de ces monts et proche d'un petit lac, dont l'eau est extrêmement vive : on nous en a servi du poisson que nous ne connaissons point. La première chose dont notre hôte nous a régalés, c'a été d'un réchaud plein d'encens, dont il a parfumé nos chambres : nous avons trouvé plus de propreté dans cette petite retraite écartée, que dans plusieurs assez bonnes villes de notre route.

Après avoir côtoyé les montagnes, pendant près de deux heures, enfin nous y sommes entrés et nous avons longtemps monté entre les rochers, les sapins , les pins, les neiges. Rien n'est plus sombre ni plus sauvage que ces endroits-là. Cependant on trouve quelques petites maisons de pêcheurs sur le bord de deux ou trois lacs qui font entre ces montagnes. Mais il n'y paraît aucun endroit de terre cultivé , et vraisemblablement un peu de fromage de chèvre avec quelque poisson fait la principale nourriture de ces pauvres gens-là. Leurs cabanes sont fabriquées de troncs de sapins fort serrés ensemble, et leurs bateaux ne sont que d'arbres creusés.

Mittenwald - Les bézoards et une groupe de mendiants baladins  dans le Voyage d'Italie de Maximilien Misson (1695)

Le Bezoard est représenté sous l'animal

On nous a donné du chevreuil et de fort grandes truites saumonées, dans le village de Mittenwald, qui est à deux ou trois lieues de là. Ce village est au milieu d'une petite plaine assez agréable, et les rochers qui l'environnent sont d'une extraordinaire hauteur. Notre hôte nous a fait voir de certaines boulettes, ou masses brunes, de la grosseur d'un œuf de poule, ou peu moins qui font une espèce de bézoard (1) tendre et imparfait, et qui se trouvent communément en ce pays-là, dans l'estomac des chevreuils. Le bonhomme nous a assurés que cela avait de grandes vertus, et qu'il en vendait souvent aux étrangers. II les estimait dix écus la pièce. Je crois que nous lui aurions fait plaisir d'en prendre à ce prix là, cinq ou six qu'il avait.

Nous avons rencontré prés de là une assez plaisante troupe de gueux. De tout loin qu'ils nous ont aperçus, l'un deux qui portait un petit arbre chargé de fruits rouges l'a planté au milieu du chemin, et s'est assis à côté. Un petit Diablotin en figure de crocodile s'est attaché à l'arbre, et une fille, qui avait les cheveux longs et épars, s'en est aussi approchée. Un vieillard habillé de noir, avec une perruque et une barbe de moufle, se tenait debout un peu loin ; et il y avait auprès de lui, un jeune garçon habillé de blanc, qui tenait une. épée. Quand ils ont jugé que nous étions assez prés, le petit Diable a fait l'ouverture de la pièce, par une assez vilaine chanson ; et nous n'avons pas eu beaucoup de peine à deviner que tout cela voulait représenter l'histoire de la Séduction. L'un de nous a demandé en passant au vieillard, qui se tenait éloigné, s'il était aussi de la bande, et le pauvre /misérable a répondu, froidement, qu'il était Dieu le Père, et que si on voulait attendre, on le verrait bientôt jouer aussi son personnage , avec son petit qui était S. Michel l'Archange. Voilà ce que produisent les représentations que l'on fait de la Divinité.

Un quart d'heure après cette belle rencontre, nous avons passé au fort de Chernitz [Scharnitz] qui est entre deux rochers inaccessibles, et , qui sépare. le Comté de Tirol d'avec l'Évêché de Freising (2). Cet Évêché est en Bavière, et le Tirol est une des Provinces héréditaires de l'Empereur. Nous sommes arrivés fort tard au village de Seefeld, après avoir fait mille tours et détours entre les montagnes. [...]

(1) Il n'y a personne qui ne sache combien le bézoard est vanté par les naturalistes de tout ordre, comme un contrepoison assuré. Mais on trouvera dans les leçons de Monsieur Nauche Guyon [Louis Guyon, seigneur de la Nauche], conseiller du roi Charles IX une histoire très bien attestée, qui fait voir le peu de fond qu'il y a à faire sur ce remède ; et sur quantité d'autres de pareille nature. (Note de l'auteur).

(2) À l'époque du livre, Mittenwald faisait partie du Wedenfelser Land (le pays du Werdenfels).Le Werdenfelser Land est une région de Haute-Bavière qui s'étend de Mittenwald, au sud, à Farchant, au nord. Il comprend des parties des Alpes bavaroises. Du Moyen-Âge jusqu'à la Guerre de Trente Ans, le Werdenfelser Land dépendait du Prince-Archevêque de Freising et non pas du Duc de Bavière. (Ndlr).


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