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Saul Leiter, biographie et galeries d'images

Publié le 27 décembre 2023 par Thierry Grizard @Artefields
Photographie

Saul Leiter a pratiqué durant toute sa carrière une photographie sensitive, la texture de la lumière ou des couleurs étaient son sujet. Dans In My Room il laisse-courre à l'échange sensuel baigné de lumière

Saul Leiter, biographie galeries d'images

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Saul Leiter, biographie galeries d'images
Saul Leiter, biographie galeries d'images

" Je ne sais pas comment j'ai pris telle photo à tel moment ni pourquoi. Je ne sais pas si j'ai réussi à faire ce que je voulais, je n'ai jamais su ce que je voulais faire ! " - Saul Leiter

Saul Leiter, né en 1923 à Pittsburgh (il décède en 2013 à New York, voir la biographie) est considéré comme l'un des grands initiateurs de la photographie couleur.

Avant d'être photographe il fut peintre, notamment dans le registre de l'expressionnisme abstrait. Ses photographies de rue en couleur évoquent, à dessein, les œuvres de Bonnard, Matisse, Egon Schiele, et Vuillard ou Balthus. Parfois on pourrait y voir une évocation des tableaux de Rothko.

C'est sous l'influence du grand photographe de guerre William Eugene Smith et son ami peintre abstrait Richard Pousette-Dart qu'il bascula définitivement vers la photographie, principalement avec des appareils légers tels que le Leica et Rolleiflex.

Il réalisa également de très nombreuses commandes de photos de mode notamment pour le magazine Harper's Bazaar, Esquire, Elle, Vogue (anglais), Nova ou Life.

In My Room

Dans la série de portraits intimes et de nus réalisés entre 1946 et 1970, qui ont été réunis dans le livre In My Room, Saul Leiter parvient à une exceptionnelle saisie de la délicatesse.

In My Room ( voir ci-dessous) est une publication posthume des photographies de nus prises dans l'atelier de Saul Leiter situé dans l'East Village à New York. Ses modèles étaient presque exclusivement des intimes, amies, amantes. Il n'est pas question ici d'égéries ou de recherches formelles comme chez Edward Weston, Imogen Cunningham, Raoul Hausmann ou Bill Brandt. C'est un journal intime photographique. Il a été tenu dès l'arrivée du photographe à New York en 1952, et même un peu avant, jusqu'au début des années 70.

Dans les années 1970 Saul Leiter envisagea, à l'incitation de Henry Wolf, directeur artistique du Harper's Bazaar, de publier un livre composé de ses nus. Le projet ne vit jamais le jour. Les photographies portées au regard du public sont donc issues des archives pléthoriques de l'artiste. Il reste encore des milliers de négatifs non exploités.

Cet ensemble de clichés n'a donc jamais été destiné à être publié. Ce qui atteste non seulement du caractère privé de ces images mais également de leur authenticité, ainsi que de la spontanéité qui s'en dégage. D'ailleurs Robert Benton, un proche de Saul Leiter, explique l'usage du noir et blanc par le souci du photographe de ne pas passer par un laboratoire et de developper et tirer lui-même ces photographies très personnelles.

A noter que la majorité des clichés publiés, parmi beaucoup d'autres restés inconnus du public, n'est rien d'autre que la saisie photographique d'instants d'intimité et de confiance où le modèle joue/danse/échange avec Le photographe sans poser au sens strict. Évidemment, à moins de clichés à la dérobée, du fait seul de l'appareil porté à l'œil, il y a une interaction qui modifie le contexte intime mais c'est dans le plus grand naturel, une spontanéité totale, une réciprocité évidente, que les protagonistes jouent de la situation, pour eux, d'ailleurs, ordinaire.

On pénètre à pas feutrés dans le jeu, mais sans le moindre artifice même quand on prend la pose. L'un et l'autre, le photographe qui veut retenir ce qui advient, dont il a une conscience diffuse, et le partenaire plus que le modèle, qui se laisse approcher, qui s'abandonne ou joue. L'équilibre est là ! La force du sujet est sa confiance, sa douceur son abandon, sa photogénie en est sublimée.

Sunday Morning

La photographie Sunday Morning (1947), qui fait partie de la série des photographies personnelles de Saul Leiter, est surprenante du point de vue de ce qu'une photographie peut avoir de délicatesse, d'intime, de douceur et de connivence.

En effet, le photographe domine son sujet, ou plutôt l'enjambe, dans un moment d'épiphanie que la situation de surplomb pourrait contredire, voire anéantir. L'équilibre tient à peu de chose, un lien ténu : l'échange de regards.

Ce soleil hivernal au matin dans le parc ; la main que la femme porte à ses yeux pour s'en protéger ; le lit d'herbes grouillant, organique ; la cravate ou la sangle de l'appareil photo qui rentre dans le champ en premier plan, et ce regard intense accompagné d'un léger sourire aux lèvres éclatantes. L'image est paradoxale !

Elle pourrait être celle de la domination du photographe, en extrapolant celle d'un homme réifiant un objet désirable. Pourtant l'échange renverse tout. Le photographe est " à terre ", subjugué, la femme au sol l'enveloppe, elle occupe toute la scène. Avec douceur et force, délicatesse.

Le " modèle " pourrait être Jean Pearson, une comédienne de théâtre, la compagne de l'artiste à l'époque. Ou une autre ? Kim peut-être ? Mais qu'importe, l'épiphanie est là. L'intimité confiante éclate d'évidence. Elle est éblouissante !

Concernant Saul Leiter et Jean Pearson il est a noté que celle-ci a été également photographiée par Eugene Smith qui a beaucoup inspiré Saul Leiter, au même titre que Robert Frank. Pourtant la magie n'opère pas avec autant d'efficacité. Jean Pearson parait avant tout fragile et mélancolique, sa délicatesse naturelle n'est pas la même. La douceur demeure la force et la communion sont absentes. Cela prouve bien que la délicatesse est naturellement présente chez Jean Pearson mais que la saisir dans son plein épanouissement est une affaire complexe de connivence.

Intimacy

La majorité des images du livre In My Room témoignent soit d'une connivence similaire à Sunday Morning soit d'une saisie de moments d'abandon, sans le souci du regard de l'autre tout en étant bien conscient que cet autre est photographe, qu'il ne cessera de porter son attention à tel ou tel détail. Le regard des photographes est pénétrant. C'est intimidant ou enveloppant. Il est évident que dans In My Room ce regard porte, il conforte.

L'appareil se fait oublier ou il devient alors l'occasion d'un jeu. Les modèles ou plutôt les compagnes fument, somnolent, se déshabillent ou prennent un bain, certains clichés sont plus explicitement sexuels mais sans afféterie, d'autres sont simplement alanguis, ou ludiques.

La ligne continue qui octroie à l'ensemble une délicatesse fascinante repose sur l'absence d'écart, et si l'objectif est là, il est intégré, voire ignoré. Il y a une offrande à deux, une prière sous forme de regard, un relâchement, un repos, un échange. Ces compagnes d'intimité ne sont pas offertes, chosifiées. Il y a de l'humanité sensuelle et du jeu. Les nus intimistes de Sault Leiter sont avant tout des portraits de femmes en situation, mais aussi, pour un Street Photographer compulsif, un désir attentif de retenir des épiphanies de la vie ordinaire.

Il y a un mot simple pour dire ce confort, la complicité affective, physique : "Intimacy" pour emprunter à Patrice Chéreau le titre d'un de ses films qui semble tout droit issu de l'univers de Saul Leiter. Un temps où il y a un abri, un refuge, où la sensibilité et l'intelligence sensible, l'humour, le repli et le secret peuvent s'intriquer étroitement. " In my room ".

Saul Leiter et la tentation picturale

" En photo on trouve quelque chose, en peinture on fait quelque chose. " - Saul Leiter


Il est évident que la première passion de Saul Leiter, la peinture, ne le quitta jamais. Non seulement on trouve de très nombreuses réminiscences de Pierre Bonnard, quand celui-ci, fixait sur la toile Marthe Boursin-Bonnard sa femme éternellement jeune, mais aussi dans les quelques photos intimes que l'on connait de Pierre de Bonnard.

Pierre Bonnard à fait habiter sa peinture de Marthe ( voir ci-dessous) jusqu'à la toute fin. Elle apparait fréquemment dans des reflets, des entrebâillements de portes, elle est peinte comme s'il s'agissait d'une capture photographique, à la dérobée, décadrée, étagée, soumise à la profondeur de champ.

Chez Saul Leiter on retrouve les mêmes décadrages, méplats, plans qui focalisent l'attention ou au contraire installent le sujet dans une scène, une ambiance, un intérieur. In My Room.

Il y a donc un paradoxe celui d'une peinture qui, à la suite Edgar Degas, empruntait au caractère instantané de la photographie et une photographie qui tente de composer selon des modèles picturaux déstructurés.


On trouve également dans les poses des modèles, y compris dans les photographies intimistes des figures qui semblent inspirées de Balthus, notamment dans l'usage des plans renversés, celui des perspectives à la ligne d'horizon qui bascule, comme ce que l'on obtient en contre-plongée ou plongée accentuées.

Quant à l'usage de la couleur les similitudes avec Bonnard et Vuillard sont innombrables. C'est alors une sorte de Street Photographie de l'impression sensible ( voir ci-dessous).

Le "faire" de la peinture obsède le photographe, dans l'instant photographique il tente de dépasser l'anecdote de "l'instant décisif" pour parvenir à la fluidité du sensible. De "l'impression" (au double sens) photographique.

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