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« Toi, moi, Tituba… » : Dorothée Munyaneza donne voix et corps aux oublié.e.s de l’histoire

Publié le 12 janvier 2024 par Africultures @africultures

C’était le festival actoral de Marseille. La chorégraphe britannico-rwandaise Dorothée Munyaneza, associée au Théâtre National de Chaillot et à la Maison de la Danse à Lyon, a proposé une performance vibrante composée à partir du roman de Maryse Condé.

Le festival international des arts et des écritures contemporaines actoral propose depuis 2014 une programmation pluridisciplinaire qui mêle théâtre, danse, littérature, arts visuels.  Son but ? Cherche à offrir un espace à des « voix singulières ». Pour cette édition 2023, l’équipe dirigée par Hubert Colas a collaboré avec des artistes de tous horizons qui permettent un (nouveau) regard sur les « corps oubliés ».  

Avec sa performance intitulée « Toi, moi, Tituba… », Dorothée Munyaneza, fondatrice de la compagnie Kadidi, a démontré une fois de plus ses qualités de danseuse, mais aussi de chanteuse et de comédienne. Cette artiste complète dialogue avec la création musicale de Khyam Allami rythmée par le son du oud et un jeu de lumières particulièrement réussi, signé Marine Le Vey. Le spectacle s’ouvre avec l’entrée majestueuse de la danseuse, au milieu d’une dizaine de néons blancs verticaux disposés autour de la scène, ainsi que d’un unique néon violet, proche du centre du décor et qui, comme le comprend le spectateur, représente l’âme de Tituba, la sorcière. 

Pour cette performance, Dorothée Munyaneza s’est en effet appuyée sur le roman de Maryse Condé et notamment sur l’analyse qu’en a proposé la philosophe Elsa Dorlin, spécialiste des études de genre, dans son texte « Moi, toi, nous… : Tituba ou l’ontologie de la trace », écrit pour la revue Yale French Studies en 2022. En résonance avec la vision de la philosophe, qui considère le corps comme « archive vivante », Dorothée Munyaneza se saisit d’épisodes du roman de Maryse Condé, parfois qualifié (de manière problématique) de féministe pour donner voix et corps à une femme invisibilisée dans l’histoire officielle. La vie de Tituba, esclave noire originaire de la Barbade et condamnée en 1692 pour sorcellerie à Salem, dans le Massachusetts, n’est connue qu’à travers de rares archives judiciaires. C’est à partir de celles-ci que l’écrivaine guadeloupéenne a imaginé son roman, dont la deuxième partie est entièrement fictionnelle, la vie de Tituba après sa libération de prison étant inconnue. Dans ce roman, Maryse Condé a souhaité donner la parole à cette femme oubliée de l’histoire, qui fait le récit de sa vie à la première personne depuis l’au-delà et confie qu’elle voudrait que son nom demeure dans les mémoires. De fait, les multiples interprétations qu’a connues le roman de Maryse Condé témoignent de la voix de Tituba, tout comme, à la fin du livre, dans un passage justement repris par Dorothée Munyaneza, la « chanson de Tituba », portée par les habitants de la Barbade, se transmet de génération en génération, c’est la trace de son passage et de son combat contre les rapports de domination raciale, sexuelle et sociale. 

C’est avec une subtilité et une puissance remarquables que Dorothée Munyaneza s’empare de moments clés de la vie de Tituba : la traversée de la Barbade aux États-Unis, le refus de la maternité, l’emprisonnement, la proximité de la folie. La grande salle de l’espace Montévideo, avec sa disposition en U, a permis un échange exceptionnel avec le public : la danseuse attrape notre regard, nous oblige à la voir, à regarder Tituba, à l’empêcher de sombrer dans l’oubli, tandis que son ombre démultipliée et projetée sur les murs semble laisser apparaître les esprits des « invisibles » : Abena, Man Yaya et Yao, qui accompagnent la sorcière tout au long de sa vie.

Gabrielle Bonnet

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