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Notre-Dame de Paris – Le premier des monstres

Par Le7cafe @le7cafe

Asile ! Asile !

Ah, Notre-Dame de Paris ! Non content d'être un triomphe littéraire de plein droit, le roman de Victor Hugo paru en 1831 a aussi, très tôt, débordé dans les autres arts pour être adapté à l'opéra, en comédie musicale ou, évidemment, au cinéma. Dès 1905, Alice Guy signe une adaptation titrée La Esmeralda, première de nombreuses autres qui mèneront jusqu'au Bossu de Notre-Dame de Disney en 1996. Entre les deux, Quasimodo, bossu éponyme, a porté les traits de grands noms comme Charles Laughton ou Anthony Quinn, mais surtout Lon Chaney dans la version qui nous intéresse aujourd'hui ; celle, muette, de 1923 : Notre-Dame de Paris.

Notre-Dame Paris premier monstres

HISTOIRE ÉTERNELLE

Au début des années 20, Chaney s'est déjà bâti une solide réputation de character actor, habitué de rôles secondaires marquants où il s'illustre grâce à sa gestuelle et son art du maquillage. Celui qu'on appelle " l'homme aux milles visages " rêve depuis longtemps déjà d'adapter le roman français et d'incarner l'illustre bossu, un rôle difficile dont le défi est à la hauteur de son talent. Il acquiert les droits en 1921 et envisage même un temps de produire lui-même le projet auprès d'un studio allemand, mais c'est finalement chez Universal, sous l'égide du producteur Irving Thalberg, que se concrétise le projet.

On connaît tous l'histoire de Quasimodo (Lon Chaney), ancêtre spirituel de l'Elephant Man, homme difforme et meurtri, abandonné dans son enfance sur les marches du parvis de la cathédrale de Paris. Les clochers de Notre-Dame deviennent son sanctuaire, caché aux yeux d'un monde qui ne le comprend pas et le honnit. Il fera là la rencontre de la belle Esméralda (Patsy Ruth Miller), bohémienne au grand cœur et plus magnifique danseuse de la cour des miracles. Au centre de toutes les attentions, elle séduit en outre le capitaine Phoebus de la garde royale (Norman Kerry), mais aussi le vicieux et sournois... Jehan (Brandon Hurst) ?

Mœurs américaines obligent, impensable de dépeindre un homme d'église comme un antagoniste. Claude Frollo, le prêtre diabolique du roman, est donc renvoyé à un rôle anecdotique d'archidiacre bienveillant - et tant pis pour le sous-texte réquisitoire de Hugo contre l'hypocrisie ecclésiastique. C'est d'ailleurs une tendance qui se poursuivra dans toutes les adaptations outre-Atlantique jusqu'à celle de Disney, et encore là, Frollo - bien que fortement connoté religieusement - est reconverti en juge. C'est donc son frère Jehan, laïc, qui reprend le manteau de vilain, et malgré la perte d'une certaine nuance, Hurst convainc dans le rôle de ce parjure dont les actions malfaisantes causeront les malheurs du bossu et sa propre perte, ainsi que celle d'une partie de la capitale.

En dépit de cette substitution, il n'y a aucun doute sur le profond respect que portent Chaney et ses scénaristes à l'œuvre originale. C'est tout à leur honneur, même si la lourde tâche de résumer un pavé de 940 pages en deux heures de film les fait parfois se disperser entre les différents personnages. Cela crée notamment un ventre mou au milieu du film lors de la séquence chez Madame de Gondelaurier, pendant laquelle Quasimodo disparaît complètement pendant 30 minutes et qui aurait gagné à être tronquée. Au delà de ça, on peut saluer le temps consacré aux interactions entre les différents personnages et au suivi de la majorité des jalons du roman ; une fidélité de texte dont la richesse est transmise également par certains intertitres particulièrement bien écrits.

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MONSTRES ET GARGOUILLES

Irving Thalberg, tel un Hammond avant l'heure, a dépensé sans compter. Du haut de ses 1,25 millions de dollars de budget, Notre-Dame de Paris s'inscrit parmi les films muets les plus chers de l'Histoire, rivalisant - entre autres - avec Les Dix Commandements du studio concurrent Paramount sorti la même année. Le moins que l'on puisse dire, c'est que ça se voit.

Rares sont les décors de l'époque qui peuvent prétendre à la grandeur et la profusion de ceux du film de 1923. La reconstitution du Paris moyenâgeux est tout bonnement impressionnante : maisons à colombages, caves lugubres, rues pavées, cour des miracles grivoise et insalubre... Chaque lieu a une atmosphère qui lui est propre, complimentée par la coloration bienvenue de la pellicule. Et surtout il y a, au cœur de tout, cette cathédrale immense, majestueuse, de rosaces et de colonnes, de statues et de gargouilles, si bien ornementée que l'on ne croirait jamais à un décor de carton-pâte, sur laquelle danse et escalade le bossu.

Le réalisateur Wallace Worsley et Chaney savent qu'ils ont de l'or entre les mains et en font bon usage. La caméra enchaîne les plans larges, panoramiques, rapprochés, pour prendre toute l'ampleur de ces ouvrages et leurs détails, offrant à tout plan une richesse renforcée par un montage adroit. La cinématographie met en valeur, au delà des décors monumentaux, les costumes travaillés et le jeu des foules et des acteurs, tous parfaitement choisis dans leurs rôles (à la rare exception de certains personnages secondaires de passage bref, en surjeu, comme l'interprète du roi Louis XI).

Notre-Dame de Paris culmine avec la séquence intense d'assaut de la cathédrale par le peuple en colère, armes et torches enflammées au poing, prêt à mettre Paris à feu et à sang pour libérer sa reine bohémienne réfugiée dans les clochers. Des milliers de figurants s'agitent dans les rues et sur le parvis, foule innombrable et enragée qui préfigure celle qui assiégera quelques années plus tard le monstre de Frankenstein. La révolte est bientôt contrée par les armées royales qui pourfendent la masse à dos de canassons, plongeant la capitale dans un chaos incendiaire spectaculaire.

Du haut de ses tours, Quasimodo observe de son seul œil valide le tumulte des fourmis humaines qui l'abhorrent. Ces êtres misérables qui l'ont toujours rejeté, et prêts désormais à détruire son seul sanctuaire. Pris d'une folie inextinguible, le bossu renvoie aux Hommes leur propre monstruosité et fait pleuvoir sur eux son châtiment, comme la justice divine de cet ange au faciès de démon. Dans un déferlement de fureur, il projette sur les assaillants pierres, poutres et plomb en fusion, sous les yeux horrifiés d'une Esméralda impuissante.

C'est une histoire qui ne peut finir qu'en tragédie. Lon Chaney tient là peut-être son meilleur rôle, sa véritable consécration, insufflant son héros d'un juste (mais périlleux) équilibre entre une bestialité terrifiante et un pathos prenant, sous le poids d'un maquillage difforme. Loin de la version de Disney, ce Quasimodo est indéniablement un monstre, mais un monstre qui a été façonné ; par le rejet, la solitude, la répulsion. Rongé par une haine qu'on lui a inculqué malgré lui. Lorsque son glas résonne, il devient le premier d'entre eux : celui qui ouvre la porte au Fantôme de l'Opéra, à Frankenstein, à Dracula. Le monstre est mort, vive le monstre.

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LE MOT DE LA FIN

Production majeure de l'ère du muet, Notre-Dame de Paris s'illustre comme le triomphe de Lon Chaney. Inscrivant son Quasimodo comme le tout premier des grands monstres de cinéma, l'acteur se donne corps et âme pour ressusciter l'œuvre de Victor Hugo dans un remarquable pantomime. Malgré quelques longueurs et digressions, des décors monumentaux, des personnages marquants, des foules de figurants par milliers et une cinématographie hors pair font du film de 1923 un immanquable de son époque, ne serait-ce que pour son dantesque dernier acte.

Note : 8 / 10

Notre-Dame Paris premier monstres

- Arthur

Tous les gifs et images utilisés dans cet article appartiennent à leurs ayants-droits respectifs, et c'est très bien comme ça.

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