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Raozy Pellerin : Bibiche

Par Gangoueus @lareus
Raozy Pellerin Bibiche

Voici un texte qui axe son propos sur la demande d’asile d’une plaignante congolaise auprès de l’administration française. Elle se nomme Bibiche. Dans le cadre de cette demande d’asile s'immiscent des thèmes sous-jacents à cette action comme l’attente de la plaignante, la répétition des rendez-vous, les témoignages à produire, dire et redire ou encore la sororité…


L’histoire commence avec une femme au pair dans une famille, celle de Marguerite qui la recueillie dans la rue. Elle s'appelle Bibiche. Elle reste prostrée. Son esprit vagabonde ou sommeille, c’est selon son humeur.

“Bibiche, chez Marguerite, était un nourrisson en plein éveil. Un nourrisson qui, déjà, ne vagissait plus, mais adoptait le regard placide de celui qui observe.” (p.13).

Le lecteur peut penser sans trop se tromper qu’elle passe par une vague de dépression, à l’écoute des sons de la ville. Elle est finalement logée dans un foyer pour femmes… Pourquoi ? Qui est-elle ?


En introduction, j’évoquais les potentiels impacts de la mécanique de l’administration sur Bibiche qui demande l'asile en France. On évolue d’un point A vers un point B, le chemin aléatoire du demandeur d’asile du dépôt du dossier jusqu'à l'hypothétique délivrance du sésame par l’administration d'un grand pays européen. Entre ces deux événements, il y a l’instruction du dossier, l’accompagnement des acteurs sociaux (associations, assistance sociale), les avocats de la plaignante, la confrontation aux fonctionnaires de l’administration, l'entraide de ces personnes ayant fui leur terre d'origine. Il y a, en parallèle, la narration de l’histoire de Bibiche, son parcours d’une vie qui justifierait sa demande.


À partir de là, Raozy Pellerin nous propose deux discours. Celui qui peut-être exprimé librement et celui qui porte les non-dits liés aux traumatismes de violences subies ailleurs laisse des traces indélébiles que Bibiche enterre, tait dans les geôles obscures de sa mémoire. Les deux discours se doivent d’être concordants pour que le témoignage puisse être recevable pour des fonctionnaires tatillons et plus froid que le stream de l'IA. Seulement les choses ne sont pas aussi simples. Aucune victime d’un outrage, d’une violence d’un niveau insoupçonné, ne souhaite se remémorer constamment cette épreuve, mieux, s’avilir à la ressasser, la répéter face à des individus peu concernés ou blasés. Du moins peuvent-ils être perçus ainsi par Bibiche : un mur. Or c’est exactement ce à quoi doit faire face Bibiche. Ses avocats lui recommandent de parfaire encore et encore son témoignage.


Cette remémoration douloureuse nous conduit à Kinshasa où Bibiche fut une militante active de l’UDPS de feu Etienne Tshisékédi. Une manifestation, une chute, une incarcération puis la nuit qui s’abat sur Bibiche…


Raozy Pellerin prend à contre pied le discours actuel sur la RDC. Le personnage aurait pu être une femme violentée dans l’est de la République Démocratique du Congo, fuyant les affres d'une guerre qure depuis 25 ans. Mais la violence politique prévaut aussi à Kinshasa, la capitale mastodonte de ce pays. La violence, c’est la projection. C’est aussi une violence mâle qui va initier les mécanismes d’une sororité. Dynah est aussi congolaise. Elle a 18 ans, est scolarisée et elle attend aussi le sésame pour vivre en France. Elles se sont rencontrées dans ce foyer qui les héberge. Elles reprennent ensemble goût à la vie. Là encore, les drames vécus sont lourds. La nécessité de parler, de dire, de partager est vitale.


Raozy Pellerin a fait du droit des étrangers et elle a accompagné beaucoup de demandeurs d'asile. Elle a officié comme avocate en travaillant sur de nombreux dossiers de clients d’origine congolaise. Ceci explique cela. Ce regard est riche d’enseignement. Il prend une tournure dramatique qui saisit le lecteur aux tripes parce que l'auteure sait amener des rebondissements. Je trouve intéressante cette empathie, riche pour dire ces témoignages de femmes. En littérature, les gens parlent tellement de leur nombril qu'il est rafraîchissant de lire une auteure comme Raozy Pellerin.

Bibiche sourit. Deviendrai-je un jour comme eux, une véritable Française, la tête dans un journal distribué gratuitement près des bouches de métro ? Oui, il fallait bien que Bibiche finisse par se choisir une langue, une identité, une appartenance (p.20)

C'est un roman sur la fragilité de l'Homme aux abois, soumis au diktat d'une sentence. Les voix qui s'expriment sont principalement féminines, mais des hommes comme des femmes tentent de rebondir, tentent de prendre appui au fond du cours d'eau avant de remonter à la surface et vivre. Implicitement, ce roman s'autorise à critiquer une administration insensible, factuelle. Mais quand ces faits sont extrêmement douloureux, comment les restitue-t-on à une fréquence insoutenable ? Bibiche nous raconte cela.

Raozy Pellerin, Bibiche

Éditions Plon, 2022


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