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Deux ports dans la guerre du Caucase : les grands tests de Poti et de Sébastopol

Publié le 23 août 2008 par Danielriot - Www.relatio-Europe.com
Samedi, 23 Août 2008 21:36 Deux ports dans la guerre du Caucase : les grands tests de Poti et de Sébastopol


Par Jacques DEHAIRE
La situation reste confuse sur le terrain, mais il est clair que bien des événements prochains vont dépendre en particulier du sort que le Kremlin réserve au port de POTI. Et de sa stratégie en Mer Noire où le port de Sébastopol a un statut très conflictuel...

Deux ports dans la guerre du Caucase : les grands tests de Poti et de Sébastopol

Poti, ' c'est plus qu'une ville portuaire de 50 000 habitants situées dans la province de Mingrélie-Basse Svanétie (Samegrelo-Zemo Svaneti), sur la côte est de la mer Noire, à peu de distance de l'Abkhazie qui réclame son indépendance et se dit prête , comme l'Ossérie sud, à recevoir des armements russes.
Fondée au VIIe siècle avant Jésus-Christ en tant que colonie grecque, nommée Phasis, à l'endroit où le fleuve Rioni, un des plus grands cours d'eau de l'ouest de la Géorgie, se jette dans la mer Noire, cette villes est (ou était) le QG de la marine géorgienne. C'est à Poti, surtout, que se situe l'extrémité ouest du pipeline Bakou-Supsa ! Les frappes menées ces derniers jours sur le port géorgien de Poti ont dejà eu de graves conséquences. Et ce n'est sans doute pas terminé...
C'est à Poti également que la Russie a démontré qu'il fallait se montrer méfiant envers les informations données par le Kremlin ou l'état major russe sur les événements en Géorgie. Bombardements (8août), occupation (11aout) et destructions de navires avaient fait l'objet des démentis qui se sont avérés faux.
C'est à Poti aujourd'hui que les Russes disent vouloir rester après la fin de leur retrait du sol géorgien La ville est située bien au-delà de la zone tampon dans laquelle l'armée de Moscou est autorisée à se trouver.

Mais le général Anatoli Nogovitsine, chef d'état-major adjoint, a affirmé que les soldats russes, qui ont pris position dans les environs de Poti, ne s'en iraient pas et patrouilleraient la ville. "Poti n'est pas dans la zone de sécurité. Mais cela ne signifie pas que nous allons rester derrière la barrière et les regarder circuler en Humvee", a-t-il souligné en référence aux quatre véhicules blindés américains saisis par les Russes la semaine dernière dans ce port stratégique. Ces véhicules avaient été utilisés lors d'exercices militaires conjoints des armées américaine et géorgienne.

Deux ports dans la guerre du Caucase : les grands tests de Poti et de Sébastopol


Officiellement, « Poti n'est pas un objectif de la Russie ». Mais il reste un site essentiel pour les Géorgiens et les Occidentaux. Et un pôle stratégique en Mer Noire, surtout que bien des incertitudes demeurent sur l'avenir de Sébastopol, en Crimée
Fondée par Catherine II, sur un site particulièrement favorable à l'implantation d'un port ( huit baies en eau profonde, dont celle de Balaklava), Sébastopol compte aujourd'hui 379 200 habitants
Sébastopol est probablement la citadelle navale la plus connue au monde.
Durant la Guerre de Crimée, Sébastopol est assiégée par les Français et les Britanniques, tombant après 11 mois. Durant la Seconde Guerre mondiale, les troupes allemandes et roumaines avancèrent dans les environs de la ville par le nord et lancèrent leur attaque le 30 octobre 1941. L'attaque ayant échoué, les forces de l'Axe débutèrent le siège de Sébastopol et lancèrent d'importants bombardements. Une seconde offensive terrestre échoua en décembre 1941. Sébastopol résista très fortement à plus de 250 jours de siège de 1941 à juin 1942. La ville fut libérée après un combat sanglant en mai 1944.En 1945, la ville se vit attribuer le statut de Ville Héros. La médaille d'or l'accompagnant se retrouve sur le blason de la ville. Un monument a été inauguré en plein centre ville, lors de la commémoration du 60e anniversaire de la victoire des forces alliées sur les nazis. Le monument célèbre la résistance héroïque de la ville ainsi que des onze autres villes de l'Union soviétique qui possèdent le statut de Ville Héros.
Depuis le traité de 1997, la base navale de la marine russe est située à Sébastopol, grâce à un bail signé entre entre la Russie et la nouvelle nation indépendante d'Ukraine. Au tout début, Moscou refusa de reconnaître la souveraineté ukrainienne sur Sébastopol ainsi que sur toute la région environnante de Crimée, prétextant que la ville n'avait pratiquement jamais intégré la République socialiste soviétique ukrainienne du fait qu'elle avait un statut spécial de base militaire. C'est par la suite, grâce aux clauses bilatérales du traité « Paix et Amitié » que l'appartenance de Sébastopol à l'Ukraine sera confirmée.

Deux ports dans la guerre du Caucase : les grands tests de Poti et de Sébastopol

Cependant, le commandement de la base navale et les organisations russes contrôlent la ville, dominant le commerce et la vie culturelle. En effet, le transfert de Sébastopol à l'Ukraine n'a jamais vraiment été accepté par la société russe (ainsi que certains hommes d'État), considérant le transfert comme temporaire. Les autorités moscovites, sous la gouvernance du maire Luzhkov continuent à sponsoriser le tissu social pro-russe, ainsi que l'éducation (écoles, universités) et les activités culturelles de Sébastopol (particulièrement celles en faveur des employés de la Marine russe et de leurs familles). Ces activités dénotent une certaine indépendance vis-à-vis du reste de l'Ukraine. Les autorités ukrainiennes ne contrôlent que les activités formelles telles que les impôts et la police.Et encore...
L'ancienne Flotte soviétique de la mer Noire ainsi que toutes les installations ont été divisées entre la Flotte russe de la mer Noire et la Marine ukrainienne. Ainsi, deux forces marines partagent quelques uns des ports et quais le long des côtes de Sébastopol et de sa région, tandis que certaines zones sont démilitarisées ou contrôlées par une seule nation. Sébastopol demeure le quartier général tant de la Flotte russe de la mer Noire que celui de la Marine ukrainienne. Une querelle se poursuit entre les deux parties, portant sur les infrastructures hydrographiques de Sébastopol ainsi que sur les phares le long de la côte de Crimée.
Sébastopol est l'un des dossiers les plus épineux des relations tendues entre l'Ukraine et la Russie
L'occasion de l'actuelle guerre du Caucase, l'Ukraine a tenté de contrôler les mouvements des navires russes. Sans succès. La Russie a aujourd'hui encore fait revenir au port un navire sans se préoccuper de ce que pourraient ou ne pourraient pas faire la marine ukrainienne.

Jacques Déhaire

Deux ports dans la guerre du Caucase : les grands tests de Poti et de Sébastopol

Vu de Moscou: Quel avenir pour Sébastopol ?
Par Alexandre Khramtchikhine,
La situation en Crimée, et en particulier autour de Sébastopol, s'aggrave régulièrement depuis le démembrement de l'URSS. Et les événements survenus en Ossétie du Sud s'accompagnent à ce titre d'une nouvelle aggravation. Le président ukrainien s'est rallié à son homologue géorgien. A présent, il souhaite contrôler totalement les activités de la Flotte russe de la mer Noire, ce qui les priverait de tout sens, à partir du moment où l'on considère la flotte comme une force militaire.
On ne peut pas négliger le fait qu'un pays contrôle fatalement les activités des bases militaires étrangères présentes sur son territoire. Telle est la pratique mondiale. Par exemple, en 2003, la Turquie avait interdit aux Etats-Unis d'utiliser sa base aérienne d'Incirlik pour effectuer des frappes sur l'Irak. Donc, si l'Ukraine n'autorise pas la Russie à utiliser la base de Sébastopol, la Russie ne pourra effectivement pas le faire.
Il faut comprendre par ailleurs que la seule mission qui incombe à la Flotte russe de la mer Noire dans une perspective à court terme consiste à couvrir le littoral russe, qui n'est pas très étendu, jusqu'au Caucase du Nord ainsi que la zone économique russe en mer Noire. Assurer des tâches de plus grande envergure n'est pas possible, ni d'ailleurs nécessaire. Qui plus est, en raison de la dégradation des navires, construits à l'époque soviétique, le nombre de bâtiments de la Flotte russe de la mer Noire ne cesse de diminuer, sans que de nouveaux navires soient mis en exploitation pour les remplacer. Donc, du point de vue militaire, Sébastopol en tant que base navale devient petit à petit inutile et même superflue pour la Flotte russe de la mer Noire.
Il est évident que dans le futur, cette flotte pourrait compter entre 3 et 5 sous-marins diesel et entre 20 et 30 patrouilleurs et dragueurs de mines qui seraient capables, en temps de paix, de protéger la zone économique et en temps de guerre, d'utiliser leurs capacités d'attaque et de destruction de sous-marins pour lutter contre la flotte ennemie en mer Noire. Cette flotte russe doit, bien entendu, être basée en Russie. En 1997, lorsque la Russie a signé le contrat de location en vigueur aujourd'hui, elle ne pouvait pas renoncer à Sébastopol, ne serait-ce que parce que Novorossiïsk était alors incapable d'accueillir tous les navires et les effectifs que comptait à l'époque la Flotte russe de la mer Noire. Aujourd'hui, le problème se règle de lui-même en raison de la diminution du nombre de bâtiments et de missions que doit remplir la flotte.
Il faut reconnaître par ailleurs que du point de vue des conditions climatiques et naturelles, Novorossiïsk n'est pas très propice au déploiement d'une base navale, en particulier à cause des vents forts en hiver (bien qu'aujourd'hui, une partie considérable des forces légères de la Flotte russe de la mer Noire y soit déjà déployée). Il se peut qu'il faille construire une nouvelle base. Certes, cela reviendra cher, mais pas plus que la location de Sébastopol, qui contribue, de fait, à financer les ambitions antirusses de Kiev (qui existaient déjà bien avant Iouchtchenko).
Ainsi, sur le plan militaire, le problème de Sébastopol semble pour beaucoup avoir été inventé et ne pas correspondre à la réalité d'aujourd'hui.
En revanche, le facteur psychologique revêt une très grande importance pour la Russie.
On a l'habitude de désigner Sébastopol comme "la ville de la gloire militaire russe". Elle est réputée pour l'héroïsme massif de ses défenseurs pendant la guerre de Crimée et la Grande Guerre patriotique de 1941-1945. Le facteur politique s'y ajoute également. La Crimée faisait partie de la République socialiste fédérative soviétique de Russie (RSFSR) jusqu'en 1954, et le processus de transmission de la presqu'île à l'Ukraine avait des fondements juridiques extrêmement douteux, même du point de vue de la législation soviétique. De nos jours encore, la majorité de la population slave de la Crimée en général et de Sébastopol en particulier revendique une identité russe (ou même soviétique) et non ukrainienne, alors que les Tatars de Crimée s'alignent plutôt sur la Turquie.
En fait, les frontières de l'Ukraine contemporaine, délimitées à l'époque soviétique, sont loin de correspondre aux réalités historiques, ethniques et politiques d'aujourd'hui. L'Etat ukrainien a été formé artificiellement. C'est en grande partie pour cette raison que, depuis 1992, son développement se fonde sur l'idée de négation absolue de toute communauté avec la Russie. Aussi serait-il naïf de parler d'une alliance politique ou - encore moins - militaire avec l'Ukraine dans un proche avenir. En conservant sa base à Sébastopol, Moscou s'est fait de son propre gré l'otage de Kiev.
D'autre part, la présence de la Flotte russe de la mer Noire à Sébastopol constitue un facteur politique et psychologique très puissant, qui irrite les autorités centrales actuelles en Ukraine et nourrit l'identité russo-soviétique susmentionnée de la plupart des habitants de la Crimée. En outre, Moscou a l'habitude de croire que la présence même de la flotte russe à Sébastopol peut empêcher l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN (ce qui peut sans doute être considéré comme l'incarnation russe de la théorie anglo-saxonne du "fleet in being").
L'évolution ultérieure de la situation pour la Flotte russe de la mer Noire, Sébastopol et la Crimée dépend d'une multitude de facteurs. Il est très peu probable que la Flotte russe de la mer Noire reste à Sébastopol après l'expiration du délai de location, laquelle surviendra en 2017. Si l'on observe la logique des événements, on peut en conclure que soit la flotte s'installera exclusivement en Russie (et ce, peut-être même avant l'expiration du contrat en question), soit la situation politique en Crimée et en Ukraine en général changera considérablement.
En raison de la nature artificielle de l'Etat ukrainien, celui-ci risque constamment de se retrouver scindé en deux parties: le Centre-Ouest et le Sud-Est. Chaque penchant trop prononcé des autorités centrales ukrainiennes pour la Russie ou pour l'Occident ne fait que renforcer cette menace. C'est pourquoi les démarches actuelles de Kiev vis-à-vis de la flotte russe porteront un coup au moins aussi important à la stabilité intérieure du pays qu'à la capacité de défense de la Russie voisine au niveau de ses frontières méridionales.
Alexandre Khramtchikhine

Chef du service analytique de l'Institut russe d'analyse politique et militaire de Moscou.
(Sélection Relatio-Europe sur RIA Novosti)
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