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My own body

Publié le 29 août 2008 par Marc Lenot

yocheved-weinfeld-sheet.1219999841.jpgLa célébration des 60 ans de la création d’Israël s’est accompagnée de six expositions dans six musées différents, chacune pour une décade. Ce n’est qu’imparfaitement coordonné, les dates de clôture ne sont pas les mêmes (j’ai ainsi manqué l’expo sur les années 88 à 98 à Herzliya, déjà finie) et on ne peut pas trouver les six catalogues en vente ensemble. Mais, ayant vu la dernière décade à Jérusalem (période très intéressante, avec de très bons artistes, mais des pièces un peu trop consensuelles, politiquement correctes pour Israël), je suis aussi allé voir la période 68-78 à Tel Aviv et la décade suivante 78-88 à Haïfa. Après, on tombe dans la lassitude commémorative.

L’exposition du musée d’art de Tel Aviv, titrée ‘My own body’, (jusqu’au 25 Octobre) se compose de trois parties assez inégales. L’essentiel (et le moins bon) traite des rapports des artistes avec le corps, et en particulier de la performance, pendant cette période, et c’est pour l’essentiel une pâle copie de ce qui se faisait déjà en Europe et aux Etats-Unis. Le seul qui m’ait plu est Gideon Gechtman, car l’artiste, réellement malade, va subir une opération et documente les étapes de préparation de son corps avant l’intervention, rasage complet en particulier.

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Les deux autres sections, avec un moindre rapport au corps, sont beaucoup plus intéressantes. L’une expose le travail de quatre compères, Micha Ullman, Dov Or-Ner, Avital Geva et Moshe Gershuni, qui sont un peu les parrains de cette décade. Ils réalisent en particulier en 1972 tous les quatre une performance, titrée ‘Exchange of Earth Metzer-Messer’ (ci-dessus) partant du principe qu’il faut mieux échanger de la terre que des populations dans ces contrées. Dans le kibbutz de Metzer, installé sur les terres du village arabe de Messer, ils creusent un trou dans le sol et chargent la terre sur un camion; les photos documentant la performance (rangée du bas) les montrent travaillant seuls, devant une pelouse bien irriguée sur laquelle passent, indifférents, les habitants du kibbutz. Dans le village de Messer (rangée du haut) , ils font de même, creusent un trou de taille équivalente, dans un désordre rieur au milieu d’enfants curieux, ils y versent la terre en provenance du kibbutz, puis transportent la terre arabe dans le kibbutz juif. Micha Ullman, le leader de cette performance, travaille aussi beaucoup sur le creux, le vide, l’absence.

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Dov Or-Ner réalise, seul, une autre performance tout à fait étonnante en 1979, Cage. Sur une des principales avenues de Tel Aviv, il passe une journée enfermé dans une cage métallique de moins d’un mètre carré, sur laquelle est apposé l’écriteau ‘Peace Trap’, piège pour la paix. Dov est un homme assez frêle, alors de 52 ans, avec de grosses lunettes d’intello et un T-shirt ‘apolitique’ mais pas insignifiant (’The museum of museums’). Les passants l’apostrophent, argumentent avec lui, l’agressent parfois verbalement, s’interpellent entre eux, hommes et femmes, jeunes et vieux, gens du peuple et bourgeois, il y a même un militaire qui s’en mêle. Dov Orner, infatigable, discute avec eux. Au delà d’une performance politique contre l’occupation, c’est aussi une composition de corps, de gestes, de regards tout à fait passionnante, et le spectateur ne comprenant pas l’hébreu s’éloigne du discours et regarde la performance seule (mauvaise capture vidéo, désolé, je n’ai pas trouvé mieux).

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La troisième section de l’exposition présente la contestation des étudiants (en particulier à Bezalel et the HaMidrasha Art School) pendant cette période, leur rébellion artistique, pédagogique et politique, et il y a beaucoup de très bonnes pièces. Je citerai Gabi & Sharon qui marchent dans les rues de Jérusalem avec des cibles de tir dans le dos, ou qui festoient pantagruelliquement face à une manifestation de grévistes de la faim d’extrême-droite devant la résidence du premier ministre, mais aussi Haim Maor et son portrait à l’oreille coupée (1975, sans titre): fils de survivants de la Shoah, il se révolte contre ce qu’il découvre pendant son service militaire et se mutile symboliquement en déclarant ‘J’ai réalisé que j’étais de l’autre côté de la ligne, je n’étais plus la victime ou le fils des victimes, j’étais l’agresseur, l’auteur des sévices’. Cette photo quasi anthropométrique n’évoque pas tant van Gogh que sa tentative de repasser du ‘bon côté’ de la ligne.

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Il y a aussi de belles performances féminines, féministes de Yocheved Weinfeld (en haut de la page, Sheet, 1976, des corps drapés dans un linceul à la Clérambault, des bouches agrafées, des impuretés menstruelles exhibées) et de Michal Na’aman. Pour conclure, de Michael Druks, cette cartographie de son visage, Druksland: sur son front, ‘Occupied territory’; on sait à quel point la cartographie peut ici être un instrument de domination. Cette décade est la première où artistes et intellectuels commencent à remettre en cause le consensus ambiant, c’est le début de l’art rebelle en Israël.  


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