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Le nounours et la mort

Publié le 29 août 2008 par Magda

Photo de la collection d’Ydessa Hendeles

Les bibliothèques municipales, à Paris, regorgent de trésors. Et notamment lorsqu’elles sont aussi médiathèques. C’est à la formidable Médiathèque Georges Brassens, dans le 14e, que j’ai dégotté le double DVD Varda tous courts. Il s’agit de l’intégrale des courts-métrages réalisés par la géniale bidouilleuse Agnès Varda, qui tient encore boutique rue Daguerre, comme un petit artisan du cinéma, humble et toujours bricoleuse, en dépit des honneurs qui jonchent sa longue carrière.

Sur ces deux DVD se niche une perle : un reportage très créatif, intitulé Ydessa, les ours et etc… sur une exposition de la plasticienne canadienne Ydessa Hendeles à Munich en 2004. Lors de cette exposition, l’artiste a présenté des milliers de clichés en noir et blanc réalisés au début du siècle dernier, représentant des gens posant avec un ours en peluche. Drôle d’idée! Varda nous emmène de photo en photo, interroge les visiteurs (bouleversés, séduits, agacés), questionne Ydessa. Le propos, image d’ours après image d’ours, se dessine. Comment raconter la mort, l’absence et la nostalgie mieux que par ce symbole d’enfance passée, glané pendant dix ans par la plasticienne dans le monde occidental?

Car au-delà de ces images d’enfants aux costumes de marin et aux boucles sages, jouant avec leur nounours préféré, au-delà de ces équipes sportives posant fièrement avec leur mascotte en peluche, au-delà de ces femmes nues alanguies sur un sofa et accompagnées d’un ours bien innocent, la collection d’Ydessa Hendeles exprime une très violente mélancolie. Le flou, la photo abîmée par le temps, le noir et blanc, les costumes d’une époque révolue, l’opposition de l’ours tendre à des images choquantes (tout petits gamins jouant avec de vrais fusils, femmes nues, jeunes militaires) provoque chez le spectateur une tristesse profonde : c’est la chute de l’innocence, c’est l’enfance passée. Un temps auquel nous, visiteurs de l’exposition, n’aurons jamais accès. D’ailleurs, presque toutes les personnes posant sur ces photos appartiennent aujourd’hui à l’autre monde. Les parents de la plasticienne sont juifs, ils ont survécu à l’Holocauste, mais de la famille toute entière, il ne reste plus qu’un seul cliché : celui d’une grand-mère. Cette collection, c’est peut-être la volonté de recréer un album de famille géant, souligne-t-elle.

Dans le film, Ydessa Hendeles, envoûtante sorcière rousse à la beauté très dérangeante, raconte son œuvre et déterre des racines communes à tous - juifs et non-juifs. Devant la caméra d’Agnès Varda, qui ne s’embarrasse pas de chichis et de réflexions métaphysiques sur l’usage de la pellicule ou du numérique, son image nous apparaît brute, soignée dans le cadrage mais filmée à l’épaule, négligeant le son et la qualité de la photographie. Peu de moyens peut-être, mais comme d’habitude chez Varda, le discours et le contenu emportent tout sur leur passage, laissant sur notre écran la trace indélébile d’un cinéma en recherche constante.

Bravo Ydessa, bravo Varda, deux sacrées bonnes femmes qui se produisent elles-mêmes, osent bousculer les cadres avec patience et honnêteté intellectuelle.

Varda tous courts, double DVD produit par Ciné-Tamaris.


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