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Etroits sont les vaisseaux

Publié le 30 août 2008 par Bonamangangu
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" ... Mes dents sont pures sous ta langue. Tu pèses sur mon cœur et gouvernes mes membres. Maître du lit, ô mon amour, comme le Maître du navire. Douce la barre à la pression du Maître, douce la vague en sa puissance. Et c'est une autre, en moi, qui geint avec le gréement... Une même vague par le monde, une même vague jusqu'à nous, au très lointain du monde et de son âge... Et tant de houle, et de partout, qui monte et fraye jusqu'en nous...

" Ah! ne me soyez pas un maître dur par le silence et par l'absence : pilote très habile, trop soucieux amant Ayez, ayez de moi plus que don de vous-même. Aimant, n'aimerez-vous aussi d'être l'aimé ?... J'ai crainte, et l'inquiétude habite sous mon sein. Parfois, le cœur de l'homme au loin s'égare, et sous l'arc de son oeil il y a, comme aux grandes arches solitaires, ce très grand pan de Mer debout aux portes du Désert...

" Ô toi hanté, comme la mer, de choses lointaines et majeures, j'ai vu tes sourcils joints tendre plus loin que femme. La nuit où tu navigues n'aura-t-elle point son île, son rivage ? Qui donc en toi toujours s'aliène et se renie ? - Mais non, tu as souri, c'est toi, tu viens à mon visage, avec toute cette grande clarté d'ombrage comme d'un grand destin en marche sur les eaux (ô mer soudain frappée d'éclat entre ses grandes emblavures de limon jaune et vert!). Et moi, couchée sur mon flanc droit, j'entends battre ton sang nomade contre ma gorge de femme nue.

" Tu es là, mon amour, et je n'ai lieu qu'en toi. J'élèverai vers toi la source de mon être, et t'ouvrirai ma nuit de femme, plus claire que ta nuit d'homme; et la grandeur en moi d'aimer t'enseignera peut-être la grâce d'être aimé. Licence alors aux jeux du corps! Offrande, offrande, et faveur d'être! La nuit t'ouvre une femme : son corps, ses havres, son rivage; et sa nuit antérieure où gît toute mémoire. L'amour en fasse son repaire!

" ... Etroite ma tête entre tes mains, étroit mon front cerclé de fer. Et mon visage à consommer comme fruit d'outre-mer : la mangue ovale et jaune, rose feu, que les coureurs d'Asie sur les dalles d'empire déposent un soir, avant minuit, au pied du Trône taciturne... Ta langue est dans ma bouche comme sauvagerie de mer, le goût de cuivre est dans ma bouche. Et notre nourriture dans la nuit n'est point nourriture de ténèbres, ni notre breuvage, dans la nuit, n'est boisson de citerne.

" Tu resserreras l'étreinte de tes mains à mes poignets d'amante, et mes poignets seront, entre tes mains, comme poignets d'athlète sous leur bande de cuir. Tu porteras mes bras noués au-delà de mon front; et nous joindrons aussi nos fronts, comme pour l'accomplissement ensemble de grandes choses sur l'arène, de grandes choses en vue de mer, et je serai moi-même ta foule sur l'arène, parmi la faune de tes dieux.

" Ou bien libres mes bras!... et mes mains ont licence parmi l'attelage de tes muscles : sur tout ce haut relief du dos, sur tout ce nœud mouvant des reins, quadrige en marche de ta force comme la musculature même des eaux. Je te louerai des mains, puissance! et toi noblesse du flanc d'homme, paroi d'honneur et de fierté qui garde encore, dévêtue, comme l'empreinte de l'armure."

Saint John Perse. Amers. Etroits sont les vaisseaux. La Pléiade. 1972

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Bona. Huile sur toile. 30P. Collection particulière.

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Lucille Chung, pianiste canadienne, joue Scriabine. 3 préludes. Le deuxième est mon préféré, sublime...


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