LITTERATURE MAURICIENNE (comptes-rendus)4

Sedley Richard Assonne : "Le désespoir bleuté de la rue solitaire", Editions de la Tour (Ile Maurice), 2002.

Sedley Richard Assonne est l'une des figures de la poésie mauricienne actuelle. C'est une poète issu de la communauté créole (descendante des esclaves déportés de Madagascar et de l'Afrique vers l'Ile Maurice).
Dans un style sans fioritures, direct et intense, parfois riche en mots franchement crus, il exprime l'indignation que lui inspirent toutes les formes de l'injustice sociale (en particulier, à Maurice). Tempérament manifestement vibrant, bouillant et passionné, il apparaît comme un poète de l'engagement sans réserve aux côtés des exclus, de toutes les catégories de réprouvés (à l'hypocrisie bourgeoise et élitiste de la société mauricienne, en manière de défi, il oppose l'exaltation des marginaux : prostituées, clochards, sidéens,toxicomanes, prisonniers et, surtout, ces laissés pour compte du dynamisme économique de l'île que sont ses frêres, les créoles), un poète qui leur donne, en quelque sorte, une voix pour dénoncer, en terme très durs, une île devenue affairiste, saisie par la fièvre de l'argent et du business mondialisé, et si avide de s'hyper-moderniser qu'elle est, peut-être, en train de perdre son âme et tout ce qui faisait sa réelle valeur.
Sa poésie sait mettre en relief toutes les tensions ethniques et sociales qui traversent l'espace mauricien, l'espace de l'arc-en-ciel fait île dont il cherche à casser l'image de paradis pour touristes et de "dragon de l'Océan Indien". Très marqué par les valeurs du christianisme catholique , il magnifie, au nom de Jésus, les miséreux et les souffrants, mais aussi l'innocence première de la nature humaine ("innocents comme des enfants"). Son hypersensiblité et son idéalisme s'extériorisent dans des poèmes fréquemment lyriques et pétris de bons sentiments, où il fait passer son aspiration à un monde meilleur, plus pur (symbolisé par le "bleu du ciel"). Mais, à côté de cela, le plus souvent, son écriture s'avère marquée par l'exaspération, la révolte, une colère parfois grondante, ou bien une sensualité audacieuse, si ce n'est torride.
La poésie de S.R Assonne est, sans nul doute, une poésie qui crie, qui grince;elle célèbre Maurice comme l'île qui "s'accouple à la mer", cette patrie tout à la fois aimée jusqu'à l'ivresse et détestée, haïe au point de pousser à l'exil ingrat vers la froidure, l'indifférence glacée, l'ennui des bords de Seine, cette patrie à l'identité encore si dure à cimenter. Elle rêve d'une île "où la peur de l'autre n'existera pas /[...] habillée de la seule certitude de faire un". Comment lui donner tort ? Comment ne pas trouver attachant son livre ?
Patricia Laranco.
in JOINTURE, N°85,avril 2007.