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L'homnivore

Publié le 21 avril 2008 par Matt
Pour tous ceux que la cuisine intéresse, les travaux de Claude Fischler s'imposent comme passage obligé. Au coeur de tous ces travaux, l'idée centrale selon laquelle nous ne mangeons pas seulement des nutriments, mais également des représentations et de l'imaginaire. Nous ne mangeons pas tout ce qui est effectivement comestible, et notre relation à la nourriture dépend de systèmes de pensée, d'interdits alimentaires, variables selon les cultures. Pour une nourriture soit "bonne à manger, elle doit aussi être bonne à penser".
Dans l'homnivore, Claude Fishler identifie (au moins) trois problèmes clés qui aident à structurer notre rapport à la nourriture :
1) D'abord, nous sommes omnivores : contrairement au Koala, qui peut trouver tous les nutriments dont il a besoin à partir d'une seule plante, l'homme doit varier son alimentation. C'est une liberté et une force (car il est possible de se reporter sur un aliment lorsqu'un autre fait défaut), mais c'est aussi un problème, car il faut être très prudent avant d'intégrer tout nouvel aliment au régime alimentaire. De là l'importance cruciale de l'éducation alimentaire, et les difficutlés à changer nos habitudes une fois établies.
2) Ensuite, l'alimentation est une incorporation : on ne réalise pas toujours que manger cela consiste finalement à mettre à l'intérieur de son corps des choses dont nous ignorons la plupart du temps à peu près tout (à la cantine, au restaurant, et même chez soi). Bien que ce soit un acte quotidien, ce n'est pas un acte anodin. Il est donc normal qu'il ait suscité pas mal de de projection imaginaires et les expressions du type : t'as bouffé du lion, du cheval, etc. Le mangeur imagine facilement qu'il ingurgite non seulement les qualités nutritives, mais également "l'esprit" de l'animal ou des plantes qu'il incorpore.
3) Enfin, l'alimentation est une affaire d'identité, une question de frontière entre soi et le non-soi. Le régime alimentaire définit Sur ce point, l'alimentation a quelques traits communs avec la sexualité : de même que l'on ne couche ni avec les individus considérés comme très proches (père, mère, frère ou soeur) ou très lointains (les inconnus), on ne mange ni les aliments trop "lointains" (les insectes) ni les aliments trop proches (l'animal domestique), bien que la frontière du proche et du lointain puisse varier selon les cultures (l'interdit du porc en est un exemple, des tribus amazoniennes se régalent de serpents ou d'insectes). De là aussi tous les artifices mis en oeuvre à l'égard de la viande, issue d'un animal vivant (et en cela très proche de nous), dont on s'efforce de faire oublier par toute une série de procédés l'origine naturelle (tabou sur les abbatoirs, exigences spécifiques de cuisson, etc).
Il est impossible de resituer dans le cadre de ce petit post la très grande diversité des chemins tracés dans ces deux livres, depuis les travaux de Levi Strauss sur le Cuit et le Cru, le triptique Cru/ Bouilli/Roti, jusqu'à la mode de la nouvelle cuisine ou la renommée du guide Michelin. La confrontation des habitudes hexagonales et américaines reste particulièrement éclairante, entre une approche hédoniste ou fonctionnelle de la nourriture. Mais c'est peu dire qu'ils sont essentiels, et modifient en profondeur la façon dont on appréhende après coup ce qui se trouve dans son assiette.

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