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Le verbe expliqué aux dindes

Publié le 10 septembre 2008 par Transhumain
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« Et puis de glaive à glaviot, il n'y a qu'un pas qu'on ne saurait franchir. »

Ubik (membre du forum du Cafard Cosmique).

Ce matin, réveillé en sursaut par Marc-Olivier Fogiel annonçant qu’un chien allait être « cité comme témoin devant la justice française pour une affaire de meurtre », je me suis levé d’un bond pour le faire taire, mais trop tard, hélas. Le mal était fait. Un chien ?!? Fichtre. Cette nouvelle de la plus haute importance allait sans doute me hanter jusqu’au soir. Et puis, par chance, je me suis souvenu que certains gallinacés sévissaient bien sur les forums…

Hier en effet, sur l’un d’entre eux, une sotte qui, chaque fois que je me présente aux environs, se met à battre de l’aile et à caqueter furieusement (le spectacle est assez drôle), m’a une nouvelle fois donné une nouvelle preuve de son inénarrable sagesse aviaire en m’ironifiant encore de « Glaive du Verbe Ahuri » en croisade contre la « décadence de l’esprit humain ». Rien de moins. Misère de misère… Qu’elle ne pige rien et n’ait pas le sens de l’humour n’est en soi pas étonnant ; si Albert Einstein et Coluche avaient été d’authentiques volatiles, j’imagine que ça se serait su. Mais, euh, comment faire comprendre à une dinde – dont chaque message est ponctué par la signature suivante : « Moâ, Toâ, Loâ et leur cousin Tagada, de son prénom Tsoin-Tsoin » – que j’aimerais désormais, si possible, qu’elle cesse de me suivre partout comme si j’avais les mains pleines de délicieuses farines animales ? Pour être tout à fait franc, ça devient gênant.

Mais puisqu’elle tient absolument à répéter ses niaiseries jusqu’à ce qu’une bonne âme daigne enfin s’y intéresser, je me dois de lui expliquer deux ou trois choses à propos du verbe. Une partie de ce qui suit était à l’origine adressé à quelques groupies fanatiques de l’auteur de Grande Jonction, mais il n’est pas impossible qu’une poignée d’entre vous y trouve malgré tout un peu d’intérêt. Pourquoi pas ?

Première leçon : la grippe aviaire

Indifférent à la douleur de ses naïves et consentantes victimes, l’écrivain, être pervers s’il en est, viole les esprits des foules anonymes, s’immisce en ondulant dans les cortex pour y planter ses crochets et y éjacule son poison. Osée, la métaphore ? Pas tant que ça. En effet la littérature ressemble foutrement à une attaque télépathique – ou à une caresse, c’est selon –, à faisceau unique mais aux conséquences totalement imprévisibles. Dans votre chair, l’écrivain grave des mots qui sitôt tatoués s’animent d’une vie propre, indépendante, sans le moindre égard pour leur géniteur dont ils portent pourtant les gènes. Ces mots, broyés par l’inconscient, investissent votre imaginaire, altèrent vos perceptions et, au terme du processus, vous métamorphosent. Pour peu qu’ils soient justes – et non point vrais, comme nous allons le voir –, ils vous ébranlent au point, parfois, d’infléchir votre destin. L’écrivain est un idiot, au sens dostoïevskien – innocemment il propulse ses images-cristaux à travers le temps, à travers l’espace, sans jamais savoir comment celles-ci lui reviendront (si elles reviennent).

Deuxième leçon : les logocrates

Cette dimension christique de l’écriture, les soldats autoproclamés du verbe la connaissent, plus que les autres. Ces coqs savent que le verbe n’est pas qu’un anodin moyen de communication. Mais vautrés dans leur délire logocratique, ces fous gnostiques (ces gnous ?...) sont convaincus de participer glaive au poing à une communauté d'esprits résistants, nobles et éclairés, en guerre sainte avec le reste du monde (qui donc se fourvoie et doit être libéré – par le feu peut-être ?). Chevaliers des profondeurs, prophètes hallucinés, poètes des catacombes et apôtres maudits d’une parole qu’ils qualifient volontiers de vraie (corollaire : la parole qui n’est pas leur est donc fausse), ils ne font, du haut de leur probité d’apparat, qu’ajouter leur folie à celle que dans leurs rêves mégalomaniaques ils pourfendent héroïquement. La vie et la littérature proposent, à qui sait voir, à qui sait entendre, bien plus que les vociférations de quelques fanatiques velléitaires et béotiens qui dansent une passacaille avant l’apocalypse – celle-là même qui dans leurs rêves de grandeur s’abat sans pitié sur les humbles (rebaptisés « faibles » à la lueur verdâtre de leurs illuminations artificielles). Leur Weltanschauung grand-guignolesque, où le verbe n’est majusculé que pour en occulter l’inanité, ressemble à celui de Mel Gibson, qui dans sa stupide Passion faisait s'affronter un Christ-Terminator et un Satan-Marilyn Manson ; ou à celui de 300, le navet hollywoodo-spartiate dont certaines plumes kakis nous ont, la main sur le cœur, loué les occidentales valeurs. Aveuglés par un orgueil suicidaire, nos Templiers du verbe oublient cependant que violer l’imaginaire d’autrui, c’est pénétrer en enfer. À chaque cercle franchi, les idées, les métaphores, les mots eux-mêmes sont violemment tordus selon des lois absolument singulières – et imprévisibles –, totalement et immanquablement trahis passé le neuvième cercle. Ainsi naissent de nouvelles idées, de nouvelles métaphores – obscurément.

Troisième leçon : les coprocrates

D’autres, drapés dans leurs rictus vulgaires, brandissant leur second degré comme un étendard (ou comme une crête), dilapident leur âme galliforme et pourchassent vainement (en pérorant, cela va sans dire) toute trace de transcendance, même infinitésimale, par pur réflexe, sans même y penser. C’est leur nature. Pour ces pintades, le verbe, qui ne saurait qu’être cloacal, n’est qu’un moyen comme un autre de tuer le temps (s’ils s’en nourrissent, ce n’est manifestement que pour l’évacuer bruyamment). Méfiez-vous d’eux ! Ils paraissent inoffensifs, avec leurs plumes, leurs glougloutements, leur rock and roll et leurs barbillons, mais leur nombre fait leur force. Leur but avoué ? Pondre des œufs et de leurs fientes recouvrir tout.

Morale

Il est en ce monde, à la ville comme en littérature, certaines choses infiniment plus justes que le verbe flamboyant des uns ou cloacal des autres.


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