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Les aventures du Prince Lexomil : XXVIII

Publié le 12 septembre 2008 par Porky

Episode 29

Déprime-sur-Boulot : arrivée

A force de ne rien faire et de laisser le temps passer, le Prince Lexomil vit donc sa cheville désenfler, son entorse se résorber et une ceinture de bourrelets disgracieux apparaître autour de ses hanches. Un matin, après s’être douché, il se regarda dans un miroir et poussa un tel barrissement d’effroi que le médecin-femme-de-ménage-infirmière, pourtant très occupée à laver le carrelage, sursauta si violemment qu’il/elle faillit en renverser son seau. « J’ai grossi ! se lamenta le Prince. Je suis un donjon de graisse et de cholestérol ! Ma bien-aimée ne voudra plus de moi ! »

En fait, notre Prince exagérait beaucoup l’importance du problème. Certes, il avait le teint blafard d’une endive, la musculature de la gélatine et l’estomac d’un buveur de bière, mais son élégance naturelle n’avait nullement été touchée par ces attaques traîtresses de son anatomie. Et il suffisait de quelques jours d’exercice physique pour remettre d’aplomb une séduction qui s’était légèrement affaissée.

Ce fut le discours que lui infligea La lorsqu’elle vint le voir pour prendre de ses nouvelles et qu’elle eut ouï les terribles désagréments dont souffrait Lexomil. D’ailleurs, elle ne fit pas que parler, elle passa à l’acte : obligeant Lexomil à quitter son lit, elle lui fit faire dix tours de jardin en courant, cinquante pompes, ciseaux, pédalages sur le dos de manière à muscler un peu des abdominaux absents. Lorsqu’elle partit, notre fringant Prince ressemblait à un paillasson mouillé mais la graisse commençait à fondre à vue d’œil.

Une semaine plus tard, Lexomil était prêt à reprendre la route de Déprime-sur-Boulot. Alors qu’il préparait son sac, il vit passer devant la fenêtre une silhouette qui ne lui était pas inconnue. Où avait-il déjà vu cette façon de marcher penché en avant ?... Il souleva le rideau crasseux, jeta un coup d’œil à l’extérieur : personne en vue. « J’ai dû rêver, pensa-t-il. Ou avoir une hallucination. Peu importe. » Et il retourna à ses occupations.

Il n’avait pas eu d’hallucination. La silhouette n’était autre que le pauvre Atarax, épuisé par ces longues journées d’espionnage et de guet, épuisé surtout par les quotidiennes engueulades que sa Majesté Xanaxa déversait téléphoniquement dans ses oreilles, en le traitant d’incapable et de mou. « Qu’est-ce que j’y peux si cet idiot s’est flanqué par terre ? bougonnait Atarax. Et s’il s’est fait une entorse ? Encore heureux qu’il y ait eu un hôpital dans cette ville où l’on crève d’ennui. »

La guérison du Prince avait été accueillie avec un immense soulagement pas sa mère, son père, la cour de Coup-Dur, et bien sûr, Atarax lui-même, ravi de pouvoir annoncer à leurs Majestés que le royal rejeton allait enfin repartir de cet endroit malsain. « Et tâchez désormais d’être plus efficace, Atarax, avait dit sévèrement Xanaxa. Il est inconcevable que ce voyage ait dû s’arrêter tant de jours. Je vous en tiens pour responsable. » « Evidemment, avait pensé Atarax. Il ne peut pas en être autrement. » Mais en bon courtisan, il s’était abstenu de faire remarquer à la Reine qu’elle était aussi illogique que délirante.

Par un beau matin ensoleillé, Lexomil quitta donc Congédiement, non sans être allé remercier La toujours assise sur son banc, dans le même square. Atarax le suivait en essayant de ne pas être vu, ce qui était relativement facile, le prince n’ayant jamais l’idée de se retourner. « Bon voyage, dit La à Lexomil. Soyez prudent, levez les pieds quand vous devrez monter un escalier. » « Je vous le promets », dit Lexomil. Et il partit.

La route qui reliait Congédiement à Déprime-sur-Boulot traversait une campagne quasiment déserte, et le paysage n’était que champs où poussait une herbe folle, arbres plus ou moins rabougris et buissons qui n’avaient certainement pas été taillés depuis la création du royaume de Déprime. Lexomil avait pensé que la route se rapprocherait peut-être du fleuve Génétique, ce qui aurait rendu le parcours un peu plus intéressant, mais il fut très déçu de constater qu’il s’en éloignait encore davantage. Pas de rivière, pas même de rigodon pour égayer le paysage. « Comme tout cela est triste, pensait Lexomil en marchant. Heureusement qu’il y a l’écho de mes pas pour me distraire. Bon, le bruit est un peu décalé et pas très fidèle. Mais ce n’est pas grave. »

En fait d’écho, il s’agissait d’Atarax, marchant loin derrière le Prince, et passant son temps à zigzaguer d’un bord à l’autre de la route pour éviter d’être surpris au cas où l’idée saugrenue viendrait à Lexomil de s’arrêter, et pire, de se retourner. C’est ainsi que l’espion de la cour se jetait dans les prés, derrière les taillis, se cachait derrière les arbres, bref, se démenait tellement que lorsque les faubourgs de Déprime-sur-Boulot apparurent, il flageolait de fatigue sur ses jambes tandis que le Prince, débarrassé de ses kilos superflus, paraissait frais comme un gardon.

Lorsqu’il atteignit la place centrale de la ville, Lexomil ne put retenir un petit cri de joie : enfin un fleuve ! Il gagna les berges et s’accouda au parapet. Le fleuve Boulot n’avait pas trop fière allure. Ses eaux étaient d’une couleur verdâtre peu engageante et l’eau coulait paresseusement dans son lit. Lexomil fut déçu : il s’attendait à des flots pressés, roulant une eau claire vers l’estuaire de la rivière. Rien de tout ça. « Bon, se dit-il. Essayons maintenant de trouver la maison de Dame Athymil, la Bourgmestre. »

Ce ne fut pas trop difficile dans la mesure où la seule demeure vraiment élégante et luxueuse de la ville était justement celle de Madame la Bourgmestre. La grille du parc entourant la maison étant ouverte, il entra tranquillement, traversa la pelouse, monta les marches du perron et, le cœur battant d’amour, sonna.

Lorsque la porte s’ouvrit, il crut défaillir. Sa bien-aimée se dressait devant lui en le regardant d’un œil plutôt sombre. « Damoiselle Citalopram-Biogaran, s’écria-t-il en tendant les bras vers elle, enfin je vous retrouve ! Je vous aime !» Mais une baffe magistrale s’abattit sur sa joue. « Je ne suis pas Citalopram-Biogaran, répliqua la Damoiselle, courroucée au-delà de l’imaginable. Je suis sa sœur jumelle, Citalopram-Beurk. Et je vous interdis de m’aimer, cuistre ! »

(A suivre)


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