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La mort... et après ?

Par Amaury Piedfer

Les hommes se sont depuis longtemps interrogés sur la mort et le sens à lui donner. De ce point de vue, sur quel substrat mental s'est fondée notre civilisation ?
Les avatars de la réincarnation, de Laurent Guyénot, aux éditions Exergue, est un excellent bouquin, d'une grande intelligence, dont voici la conclusion.

La notion de transmigration a subi, entre les traditions chamaniques encore observables en Afrique et en Australie, et le réincarnationnisme occidental moderne, une transformation radicale correspondant au passage d'une religion de la Terre à une religion du Ciel.
Dans la première, la mort est une descente dans un monde souterrain. La substance vitale des morts, associée au sang et donc au clan, fertilise la Terre Mère, qui la recycle, tout comme elle fait périodiquement renaître la nature. Dans la seconde conception, la mort est une ascension dans le Ciel. Pour une éternité ponctuée de descentes cycliques dans la matière, indépendamment de tout lien généalogique. Entre les deux il existe une conception intermédiaire, celle de l'Hindouisme et de l'Hellénisme classiques : seuls les morts incapables de s'élever au Ciel sont maintenus dans l'attraction terrestre, où ils renaissent, pour leur malheur.
Vue sous cet angle, l'histoire mondiale de la transmigration apparaît comme marquée par un bouleversement culturel fondamental, assez facilement repérable dans le temps et dans l'espace : la montée de l'individualisme, c'est-à-dire d'une définition de la personne humaine comme unité psychologiquement autonome, contenue dans des frontières étanches et stables. Avant cela l'individu était essentiellement conçu comme un point de convergence dans un réseau d'énergies psychiques relié verticalement aux Ancêtres et horizontalement à la communauté. Il n'était qu'une manifestation particulière d'un psychisme collectif, multiple et fluctuent.
Au XIXème siècle l'individualisme a atteint en Occident un point d'exacerbation extrême. Cet individualisme forcené est indissociable de l'idéologie économiste et consumériste qui infantilise les adultes par des fantasmes de toute puissance normalement propres à l'adolescence, et qui favorise l'éclatement des systèmes familiaux en individus déracinés. L'individu moderne, dont l'orgueil est constamment flatté par le matraquage commercial, voudrait s'être fait tout seul. Il a perdu le sens de sa redevance aux ancêtres, qui était l'attitude sociale et religieuse fondamentale de toutes les anciennes sociétés.
La valeur à laquelle s'oppose fondamentalement l'individualisme, ce n'est pas la famille mais le clan, compris comme une communauté humaine constituée de vivants et de morts et structurée par le principe de filiation, ou de lignée. Selon cette ancienne idéologie holiste, l'individu n'est qu'un individu du tissu social relié horizontalement au clan et verticalement à ses ancêtres, et son éternité individuelle importe moins que sa participation à la continuité des générations.
Telles étaient les anciennes sociétés indo-européennes. Selon Régis Boyer [1], l'essence de leur religion tenait au culte des ancêtres. Le lignage ancestral constituait l'axe autour duquel s'organisait la vie sociale. Cette idéologie communautaire du sang, précise Boyer, n'était pas refermée sur le biologique; elle prenait en compte "la notion de pacte, de contrat passé entre puissances adverses et donc celle, corollaire, du serment qui scelle ce contrat" de sorte que des liens de sang pouvaient être créés, non seulement par le mariage, mais par des "pactes de sang".
L'individualisme exacerbé qui prévaut maintenant chez nous est en fait le fils naturel du christianisme.

Sépulture collective de Gondole, près de l'antique Gergovie, dans les environs de Clermont-Ferrand. Sept adultes et un adolescent y ont été inhumés avec leur huit chevaux, au Ier siècle avant J.-C. Des cavaliers morts lors la bataille de Gergovie ? Dans tous les cas, cette sépulture remarquable montre le souci d'offrir au défunt ce dont il peut avoir besoin dans l'au-delà.


En effet, dès sa naissance -dans les paroles mêmes de Jésus- la christianisme s'en est pris à l'idéologie du sang. Dans son système de pensée, l'âme est issue directement de Dieu et ne doit rien aux parents ou à leurs ancêtres. En même temps, de manière quelque peu contradictoire, l'âme est réputée entachée du péché originel, qui, lui, est transmis par la lignée issue du premier ancêtre, l'Adam déchu. Le salut consiste donc à s'extraire de cette lignée déchue pour renaître par le sang du Christ, devenir sa chair, se greffer sur sa nouvelle humanité. De sorte que le christianisme est doublement anti-lignage, puisque non seulement la filiation ne transmet rien de divin, mais qu'en plus elle transmet l'essence du diabolique.
De fait, partout où il a missionné, le christianisme a diabolisé le culte des Ancêtres et éradiqué le profond sentiment de solidarité qui liait les vivants aux morts.
Paradoxalement, l'idéologie révolutionnaire, puis républicaine et laïque, qui s'est forgée en France contre le christianisme, en a conservé et même exacerbé l'hostilité à toute valorisation spirituelle du lignage, réputé source des inégalités sociales. Aujourd'hui, l'idée que l'individu hérite du bagage spirituel, positif ou négatif, de ses ancêtres, heurte de front l'idéologie démocratique qui a pratiquement fait de l'égalité des chances un postulat métaphysique.
Mais que valent ces idéologies universalistes qui prétendent relier l'individu à l'humanité entière tout en sapant son milieu social naturel, la famille élargie ? Que valent, surtout, une idéologie qui, sous prétexte que "tous les hommes naissent égaux", cultive l'oubli et le mépris de cette valeur ancestrale ajoutée qui fonde la richesse de chacun ?
On peut se demander pourquoi l'évolutionnisme des zoologues, biologistes et anthropologues n'a pas trouvé dans les milieux spiritualistes des XIXème et XXème un écho sous la forme d'une théorie qui lierait le développement spirituel de l'humanité à l'enrichissement ou au raffinement, au fil des générations, d'une âme ancestrale. La seule cohésion possible entre évolutionnisme et spiritualisme consisterait en effet à admettre qu'une évolution spirituelle s'accomplit par la filiation (avec tout ce qu'elle comporte de transmission affective et culturelle) que le lien générationnel est porteur d'un karma collectif qui s'enrichit de génération en génération (avec parfois des sauts d'une génération et d'autres caprices imprévisibles). L'arbre généalogique est d'ailleurs le parfait symbole de cette idée. Pourquoi donc une conception réincarnationniste du progrès spirituel s'est-elle imposée plutôt qu'une conception "générationniste", ou "filiationniste" qui aurait été à la fois plus cohérente avec le paradigme évolutionniste, et plus en phase avec l'héritage indo-européen ?
A vrai dire, il existait au tournant du XIXe un courant de pensée à la fois évolutionniste et spiritualiste qui envisageait le plus naturellement du monde, que l'évolution (ou la dégénérescence) spirituelle de l'être humain s'accomplit principalement au sein de la lignée. Ces penseurs se rangeaient parmi les "vitalistes" qui refusaient d'attribuer l'évolution des espèces au seul hasard et à la sélection naturelle, y voyant plutôt l'ouvrage d'un principe vital immanent. Certains vitalistes étaient de surcroît finalistes, c'est à dire qu'ils pensaient que l'évolution avait un but ultime préétabli. ..


Pour ce qui est de l'exemple celte, selon l'auteur :

Le Roux et Guyonvarc'h sont catégoriques : « la métempsychose est absente des doctrines druidiques ». Toutefois, étant donné l'absence complète de témoignages directs sur les croyances celtes, il est peut être plus prudent d'être moins affirmatif.
Néanmoins, le corps post mortem dont parle Lucain (« le même esprit anime un corps dans un autre monde »), ne serait pas un autre corps physique acquis par réincarnation, mais le double qui survit à la mort physique pour entamer une vie nouvelle dans une autre dimension.
D'autre part, que les âmes « passent d'un corps dans un autre » (César) peut simplement vouloir dire qu'elles revêtent un corps spirituel dans l'Au-delà.
Enfin, l'exemple cité par Valère Maxime (les Gaulois se prêtaient des sommes remboursables dans l'Autre-monde) semble indiquer une simple croyance survivaliste sans retour ici-bas.


Omios.

[1] Professeur de langues et civilisation scandinaves à la Sorbonne, Régis Boyer est l'auteur de nombreuses études sur la Scandinavie médiévale ainsi que le traducteur des Sagas islandaises publiées dans la célèbre collection de la Pléiade.



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