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Comme dans un film

Publié le 20 septembre 2008 par M.

   Je la voyais tous les matins, au café de la Bourse, entre huit heures et huit heures trente. Elle buvait un expresso et fumait une cigarette au comptoir, elle lisait souvent le Monde, et d’autres fois elle feuilletait son agenda. Je la trouvais belle et élégante : elle était grande, fine, de longs cheveux bruns et de grands yeux clairs. Elle portait des tailleurs jupes ou pantalons griffés, un sac à main de cuir, et de fines lunettes rectangulaires qui lui donnait un air sérieux. Ce qui ne l’empêchait pas d’être sexy.

Un jour, je l’avais entendu parler avec le barman, elle disait fêter bientôt ses cinquante ans. Je ne lui en aurais pas donné plus de quarante. Le temps ne semblait pas jouer en sa défaveur, au contraire. Elle émanait une sorte de grâce et un charme certain. Une belle femme, quoi.

 

Ce matin-là, elle portait des lunettes de soleil au lieu de ses rectangles de verre habituels, elle poussa la porte du café un peu violemment et s’installa à une table au fond de la salle plutôt qu’au comptoir. Je me dis que quelque chose n’allait pas, les gens changent rarement leurs habitudes. Mais j’étais moi-même embrûmée, je n’y prêtais donc pas grande attention. Enbrûmée parce que j’avais passé la nuit avec mon amant, je n’avais pour ainsi dire pas dormi.

Je le voyais depuis deux mois déjà. Il était plus âgé que moi, ses tempes grisonnaient et les coins de ses yeux se fendaient de petits soleils. Il avait un charme fou et beaucoup de classe. C’était un client de la banque pour laquelle je travaillais, c’était là que je l’avais rencontré. Il m’avait fait la cour pendant des semaines avant que j’accepte, finalement, une invitation à déjeuner. Et depuis deux mois, donc, nous nous voyions deux à trois fois par semaine, pour dîner le plus souvent, pour la nuit quelques fois. Comme la veille de ce jour-là.

 

La Dame, comme je l’appelais, commanda un expresso, puis un second dans la foulée. Elle fumait cigarette sur cigarette, nerveusement.

Une femme entra dans le café, et s’avança vers elle. Une amie, apparemment, puisque ma Dame se leva et la prit dans ses bras. Et là, elle s’effondra. Elle ôta ses lunettes de soleil, ses yeux étaient rouges et cernés, plein de larmes. Elle sanglotait, agitait ses mains, tapait ses doigts sur la table. De ma place, je n’entendais pas leur conversation, mais j’en percevais toutefois la gravité.

Elle faisait non de la tête, la dame, elle faisait non, non et non. Et son amie avait pris ses mains dans les siennes, pour la calmer très probablement, elle lui parlait à voix basse et la regardait fixement.

Alors la Dame se leva, ouvrit son sac à main et en sortit une petite culotte de dentelle noire qu’elle jeta sur la table. Et ça, c’est quoi ? C’est pas ma taille, ni la sienne ! Et je l’ai trouvée au fond de la poche de son pantalon !

 

Cette dernière phrase me fit frémir.

Je fermai les yeux et me repassai la scène : un peu plus tôt le même matin, il n’était pas sept heures, il avait pris une douche et s’était rhabillé. Il se pencha sur le lit pour m’embrasser et me dit : j’te la vole ! en souvenir…

Noooooon ! Ce genre de dangereux hasards n’arrivait que dans les films !

 

Je levai les yeux sur la table où la petite culotte trônait : la dentelle noire et les minuscules nœuds blancs sur les côtés… C’était la mienne ! C’était ma culotte que la Dame avait sorti de son sac à main et que tous les clients du café regardaient maintenant. Ma culotte sur la table, entre la tasse de café et le cendrier à moitié plein. Ma culotte que mon amant avait glissée dans sa poche quelques heures auparavant…

Le temps de joindre les morceaux pour recomposer l’histoire, je règlai mon expresso, écrasai ma cigarette dans le cendrier, enfilai ma veste et sortis du café en courant.

  

  

  

  

  

  

  

  

  

  

 

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