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Entre les murs

Par Rob Gordon
Entre les mursAttention, scoop sur la vie privée de l'auteur de ces lignes : quand il ne voit pas de films, il est également prof de maths, et découvre actuellement les joies de ce que l'on connaît communément sous le nom de ZEP (zone d'éducation prioritaire, pour les ignares). Deuxième point important : l'auteur de ces lignes est un grand fan de François Bégaudeau, de ses bouquins (et en particulier Entre les murs, justement) à ses critiques ciné en passant par ses chroniques footballistiques. C'est donc avec encore moins d'objectivité que d'habitude qu'il a découvert le film de Laurent Cantet, surprenante Palme d'Or en mai dernier. Verdict ? Entre les murs est un excellent film. Allez-y. Voilà tout.
Le seul problème d'Entre les murs, c'est qu'il peut donner l'impression d'un film sans surprise, qui raconte exactement ce à quoi on s'attendait : l'année d'un professeur de français et d'une classe de quatrième dans un collège du XXème arrondissement, avec ses découvertes, ses rencontres, ses déceptions et ses heurts. Une réflexion sur le rôle de l'enseignant, la condition de l'élève, la multiplicité des moins de vue. Sauf que le film de Cantet n'a rien à voir avec un article du Monde de l'Education : c'est une oeuvre dynamique, exigeante mais tous publics, qui mise sur une apparente simplicité pour mieux transcender le propos et faire pénétrer le spectateur au coeur même de ce fascinant lieu d'échange. Hors de question de faire du prof un gentil et de transformer tous les élèves en d'effroyables emmerdeurs : Entre les murs joue évidemment la nuance, et pas que pour être apprécié du plus grand nombre. Juste parce que la description qui est souvent faite des classes difficiles a quelque chose de réducteur, et qu'il fallait quelqu'un pour mettre les points sur les i, redéfinir ce qu'est l'enseignement moderne et quelles en sont les clés et les conséquences. Qui n'a jamais enseigné (voilà que je parle comme si j'avais 50 ans d'expérience) ne peut pas comprendre la complexité d'un tel job, qui va bien au-delà de noter une leçon sur un tableau ou de filer des sanctions à tout-va. Sans faire dans le didactisme ennuyeux, Entre les murs met les choses au point, et c'est bien.
Mais un documentaire n'aurait-il pas tout aussi bien fait l'affaire, si le but n'était que de tordre le cou à des idées reçues ? Si. D'ailleurs, à peu de choses près, Entre les murs aurait pu passer pour un doc, tant les trois caméras semblent libres de filmer ce qui les attire. Mais le film, très librement inspiré du livre de Bégaudeau (il n'en reprend en fait que le propos général, mixant tout le reste pour aboutir à de nouveaux personnages et à d'autres situations), n'est pas qu'une succession de morceaux choisis d'une année d'enseignement. Peu à peu se tisse une toile narrative autour d'un problème survenu en classe, avec ses enjeux personnels, ses problèmes psychologiques et ses choix cornéliens. Plus la tension monte, plus enseigner devient difficile, et plus la beauté de l'ensemble nous éclate au visage, comme si cette gigantesque mascarade prenait soudain tout son sens, comme si la classe devenait enfin la micro-société qu'elle prétend être. Gros plans sur les visages, sur les détails et sur les mots. Jeux ou frictions sur le langage. Bégaudeau ne trahit jamais son univers ni son point de vue, et crie son amour (inconditionnel ou pas) de cette jeunesse, de cette langue, de ce brassage culturel qui forge les esprits et les coeurs, quitte à ce qu'il y ait un peu de casse. Acteur évident, entouré par vingt-cinq gamins livrant chacun une vraie performance, il est le symbole d'un film simple et beau, à conseiller à tous les types de publics.
9/10li

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