Magazine Politique

“Le marché aux esclaves” : guerre, prostitution et création

Publié le 21 septembre 2008 par Gonzo

“Le marché aux esclaves” : guerre, prostitution et créationSundus Abdul Hadi (سندس عبدالهادي) a 24 ans. Elle vit au Canada et se présente elle-même (en anglais) comme une artiste irako-canadienne tirant son inspiration à la fois du monde sumérien (la première civilisation urbaine, dont les origines, en basse Mésopotamie, remontent au IVe millénaire avant notre ère) et de la civilisation des premiers temps de l’islam.. Elle conçoit son travail plastique comme un commentaire sur les médias, l’histoire, la politique et les questions sociales à travers le regard d’une femme vivant dans le monde de l’après 11-Septembre.

On parle d’elle aujourd’hui dans la presse étasusienne (un article dans le American Chronicle par Suki Falconberg, écrivain féministe très engagée dans la “satire érotique de la prostitution militaire”), et désormais dans la presse arabe, via le quotidien en ligne Elaph bien placé, en tant que représentant de la ligne libéralo-moderniste néo-séoudienne, pour se faire l’écho d’une telle prise de parole.

A l’origine de l’intérêt pour cette jeune artiste, le tableau appelé Inanna in Damascus, qui illustre ce billet, présenté à Ottawa au printemps dernier. Comme elle l’explique (en anglais) dans son blog (que je résume ici) elle a voulu à travers cette œuvre dénoncer l’industrie du sexe dont sont victimes les femmes irakiennes en Syrie (et plus largement au Moyen-Orient). Chassés par la guerre de 2003, environ 1,5 million d’Irakiens vivent aujourd’hui en Syrie (pour une population d’environ 20 millions d’habitants, soit 6 millions de personnes à l’échelle de la population française). Dans bien des cas, ces réfugiés sont réduits aux pires extrémités et, pour ce qui est des femmes à la prostitution, en particulier auprès d’une clientèle de passage, en provenance des pays du Golfe.

A travers la référence à Inanna, la déesse sumérienne de la sexualité et de la guerre, Sundus Abdul Hadi explique qu’elle a voulu représenter les pires oppresseurs des femmes, et aussi leurs clients les plus fréquents, les Saoudiens indissociables du soldat américain, rappelant l’origine de la guerre qui a créé un tel chaos dans la région. Complété par le maquereau, le groupe se tient devant Al-Hurmân, un cabaret dans la vieille ville de Damas dont le nom évoque en arabe à la fois le harem et le péché.

En réinterprétant le célèbre tableau du peintre Jean-Léon G

“Le marché aux esclaves” : guerre, prostitution et création
erôme intitulé “Le marché aux esclaves”, l’artiste a choisi de transposer dans l’imaginaire contemporain cette scène, sans doute irréelle mais bien présente dans les fantasmes de l’amateur de scènes orientales du XIXe siècle. Elle remarque qu’on y trouve déjà les acteurs dont elle veut dénoncer le rôle dans le “marché aux esclaves” irakiennes d’aujourd’hui : le client, le soldat, le politicien et l’homme d’affaires arabe présent aussi bien au XIXe qu’aujourd’hui.

La démarche de cette artiste et la violence de son œuvre prennent plus de sens encore si on les replace dans le contexte plus large de l’expression artistique arabe moderne, marquée par l’essor de l’école irakienne. Evoquée dans ce billet, c’est notamment à elle que l’on doit, dans les années 1950, la naissance de l’abstraction arabe via l’utilisation de l’alphabet arabe par l’école dite hurûfiyya.

Si l’occupation de l’ancienne capitale abbasside est politiquement insupportable pour le monde arabe, la destruction de la société irakienne est vécue par les milieux culturels comme l’anéantissement d’une avant-garde culturelle, notamment plastique. Brodant sur le thème de Sindbad, un article récent dans Al-quds al-‘arabi raconte ainsi comment, après les années 1950 et 1960 si fertiles, les artistes irakiens ont pris le chemin d’un exil sans retour à partir des années 1990 et de la première guerre du Golfe et plus encore à partir de l’invasion de 2003.

“Le marché aux esclaves” : guerre, prostitution et création
Raison de plus pour saluer les rares d’entre eux qui n’ont pas fait le “huitième voyage de Sindbad”, celui pour lequel il n’est pas de retour. C’est ce que fait une galerie londonienne, animée par des intellectuels arabes résidant en Grande-Bretagne (voir cet article dans Al-quds al-‘arabi ). Sous le titre Riding on Fire, elle expose jusqu’à la fin du mois d’octobre les œuvres d’une quarantaine d’artistes qui continuent à essayer de vivre et de créer dans le terrible Irak du New Middle-East.
Illustrations : http://mesopotamiancontemplation.blogspot.com et www.artiquea.co.uk


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Gonzo 9879 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines