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La prostitution comme thème de revolte dans la littérature féminine contemporaine en Afrique noire

Publié le 22 septembre 2008 par Chictype

La prise de la parole de la femme s’inscrit dans un processus de réintégration de la société d’où elle se sent marginalisée. C’est donc en adaptant une démarche de marginalisation de leurs personnages et l’exploration des zones telles que la sexualité, le désir, la passion, l’amour que ces femmes sont parvenues à s’inscrire au centre, s’appropriant des zones de langage jusqu’ici considérée comme prérogatives des hommes. C’est surtout l’observation du monde au quotidien qui a permis aux écrivains femmes de toucher du doigt les différents processus d’oppression de la femme.

[…] Sur le plan thématique, cette nouvelle littérature est une réponse à la marginalisation de la femme et aussi à la critique masculine de la littérature féminine. Un nouveau regard est portée sur les personnages féminins dont les activités sont méprisées dans la société africaine. Un des personnages qui attire notre attention est celui de la prostituée.

[…] Avec Angèle Rawiri, la prostitution est décrite comme un nouveau mode de vie dans G’amàrakano. Ici c’est la mère, épaulée par les voisines et les amies qui incite sa fille Toula à pratiquer les relations sexuelles avec le premier homme venu sur la base d’une compensation financière adéquate. Toula, jeune fille tendre au cœur sensible et qui n’a rien fait jusque-là pour sortir sa mère de la pauvreté, se laisse emporter par les conseils des amies de sa mère :

« Fais-toi belle et traîne dans les endroits où tu peux rencontrer des hommes riches ; la laideur n’a pas d’importance, pourvu qu’ils aient de l’argent. »

Ces propos traduisent une nouvelle vision des rapports hommes-femmes, la femme voyant que son succès ne passe que par l’homme. La femme devient ou est transformée en un outil précieux : dans Le fils d’Agatha Moudio de Francis Bebe ou Trois prétendants un mari de Guillaume Oyono Mbia, le paiement de la dot a rabaissé la femme au rang « d’objet ». Dans G’amàrakano, un pas est franchi, la femme n’est plus cet objet, mais devient un instrument, un outil dont on se sert pour pratiquer la surenchère et récolter les bénéfices immédiats parmi lesquels sortir les parents de la pauvreté et même les hisser à des positions sociales honorables : « Si tu veux, tu peux me faire boire du champagne, pour arriver à cela, tu n’as qu’à faire comme les autres filles. »

Face à cette exhortation éhontée, Toula ne peut rester insensible, elle cède à ce discours facile, à l’affichage du luxe, à la facilité en général que représente le plaisir sexuel offert mais rémunéré. G’amàrakano met aussi en relief l’influence de l’idéologie de l’apparence comme leitmotiv de la pratique de la prostitution dans nos sociétés où, la pauvreté aidant, les vraies valeurs sont perverties au détriment des frivolités. Cette tendance est aussi la démonstration de la perte de vision par les adultes des bienfaits des bonnes mœurs et de l’éducation. Cette dernière n’est plus la voie royale devant amener à la réussite. Ce qui est aussi révolutionnaire sur le plan artistique, c’est l’utilisation du personnage de la mère dans des rôles abasourdissants, mais néanmoins vraisemblables. La mère n’est plus le personnage idéalisé de toujours ; le personnage de la mère est récrée pour ressembler à ce que la protagoniste pourrait être dans la réalité. C’est dans cette ligne de pensée et d’évolution artistique que nous classons l’intervention ouverte de la mère pour inciter sa fille à la prostitution. Nul n’est besoin de dire que la mère cherche à se satisfaire en se mettant aux normes des habitudes à la mode et pour assurer à sa famille le pain quotidien. Ce rôle inédit peut susciter beaucoup d’explications. Ce qu’il faudrait sans doute retenir parmi d’autres explications, c’est que dans la situation où le matérialisme à outrance et la course aveugle à l’apparence sont perçus comme les seuls signes visibles et acceptables de réussite dans une société démunie et moralement en déliquescence, la pauvreté dans la dignité et la préservation des bonnes meurs deviennent de vains slogans. Le sexe dit faible est la première victime, mal protégé dans une société où l’homme, déjà « fort », cherche toujours à jouer les premiers rôles et ne laissant à la femme que le choix de la honte. La femme abandonnée ou sans ressources a recours à ses enfants, notamment à ses filles qui s’adonnent à la prostitution pour constituer ainsi une source de revenu. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre toute la pression qu’exercent la mère de Toula et ses amies sur la pauvre fille. Dans une autre perspective, la prostitution de Toula peut être perçue comme la revanche de la femme sur l’homme. N’ayant pas les moyens de détourner le denier public ou de s’accorder des privilèges d’état, elle se voit obligée d’attirer l’homme, profiter de sa cupidité et de son insatiabilité sexuelles pour le désargenter.

La réussite fulgurante de Toula tant sur le plan matériel que sur le plan de l’ascension sociale est liée à son succès auprès de ses courtisans, clients et admirateurs. A travers la description de Toula, les mécanismes de la séduction et de la prostitution sont examinés à la loupe ; ils comprennent les comportements à adopter pour garder l’homme pour soi, les cadeaux à réfuter afin de ne pas paraître facile et bon marché, les habitudes diététiques, et les exigences esthétiques, elles-mêmes liées à l’apparence que seuls peuvent imposer les produits cosmétiques. Ces détails sont énumérés comme des indications ostentatoires d’une commercialisation du corps et des rapports. La prostitution n’est pas seulement un gagne-pain, elle devient un art qu’on entoure de précautions car elle est tellement rentable. Pour la femme, le culte du corps passe par son entretien, (y compris son éclaircissement) d’où l’achat des produits cosmétiques et des vêtements de marque les plus chers ; le seul moyen pour satisfaire ces besoins est l’homme qui devient une source de revenus contre services rendus. Paulette Songue expose que cette idéologie de l’apparence remonte à l’émergence d’une nouvelle élite engagée dans les dépenses ostentatoires au lendemain des indépendances. Les classes les moins privilégiées qui trouvent en ces élites des modèles ont nourri et continuent de nourrir les mêmes ambitions. C’est dans cette optique que la prostitution est à la faveur de la femme qui prend conscience qu’elle peut y gagner son compte en se livrant à l’homme.

Ce ne sont plus seulement les femmes d’origine modeste en quête de prospérité comme Toula qui se livrent à la prostitution ; le phénomène touche aussi toutes les couches sociales ; les filles de fonctionnaires, étudiantes et collégiennes trouvent dans la prostitution l’opportunité pour avoir une autre source de revenu à côté de la source financière principale dont dépend leur survie. C’est dans cette catégorie qu’on pourrait classer Ekata qui entend affirmer son indépendance, non seulement vis à vis de sa famille, mais aussi affirmer son indépendance de femme dans le cadre de la libre exploration de la sexualité. Femme rebelle, elle préfère quitter le toit familial plutôt que d’obtempérer aux ordres de son père qui lui refuse de partir avec quelques amis en week-end. Elle préfère être marginalisée que de subir les pressions familiales. L’enjeu économique de la prostitution n’échappe pas à Rawiri qui en fait cas à travers les aventures d’Ekata et celles d’Onanga. Après une vie active de prostituées pendant leur jeune âge, Onanga réussit, grâce à ses économies, à se trouver un mari et à se gagner ainsi une respectabilité ; quant à Ekata, elle devient propriétaire d’un restaurant qui est le centre d’attraction de toutes les personnalités de la ville. Rawiri idéalise-t-elle la prostitution`? Certainement pas. La perte de Toula en mal d’amour bien que comblée et aussi le manque d’amour de Ekata et de Onanga montrent que la prostitution est le raccourci à la destruction de l’équilibre de soi et à la déshumanisation de la femme. Toula, Onanga et Ekata sont des archétypes à travers lesquels l’auteur invite les lecteurs et lectrices à se découvrir comme dans un miroir afin de prendre conscience de leur part de responsabilité et voir s’ils sont capables des mêmes agissements.

Avec Rawiri, c’est l’appel à une prise de conscience d’un comportement que, de façon inconsciente, on renforce dans notre vie de tous les jours à travers notre allocation financière à l’apparence, à nos fréquentations et à nos soucis les plus frivoles à côté d’autres attitudes plus responsables et plus économiquement viables. Le succès de Rawiri. c’est son innovation dans l’utilisation des thèmes considérés jusque-là comme triviaux tels que l’habillement, le maquillage, en un mot, l’apparence avec en toile de fond ses conséquences dont la plus importante est la prostitution. […] A travers la recherche d’une autre éthique, une autre question semble être posée. Quelle avenir réserve-t-on à la fille qui n’a du regard que pour la mère lorsque cette dernière n’est plus le porte-flambeau de la vertu féminine? La femme semble être enfermée dans un cercle vicieux, dans ses rapports avec la famille et la société en général. La société, quant à elle, est corrompue par les nouvelles habitudes et règles qui l’asservissent. Ce que recherchent Rawiri […], c’est l’affranchissement de la femme et de la société en général de ses règles et habitudes. La prostitution est vue comme une activité qui profite aussi bien à l’homme qu’à la femme. Elle est présentée comme un thème de révolte non seulement vis à vis de l’homme qui en est responsable en partie, mais aussi vis à vis de toute la société qui y trouve son compte bien que traitant les prostituées d’opprobres sociales.

Source : http://briska.unblog.fr/2008/09/22/prostitution-et-emancipation-feminine-une-lecture-dangele-rawiri-par-affin-o-laditan/


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