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Logique des choses et politique économique par Alain Sueur

Publié le 22 septembre 2008 par Argoul

La logique économique et l’outil capitalisme poursuivent leur trend aveugle. Il n’y a pas à leur «  en vouloir », un outil est fait pour servir tel qu’il a été conçu. L’appropriation privée du capital reste le seul système qui ait réussi à sortir l’humanité du régime de subsistance - pour l’Occident dèslemoyen-âge, pour les pays émergents dès les années 1980. Aucun système alternatif (servage, féodalité, socialisme, jacobinisme d’Etat, ni-ni) n’a réussi aussi bien. N’oublions donc pas, dans la crise actuelle, les bienfaits du système capitaliste tel que Marx l’avait loué.

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Il n’en reste pas moins que tout système laissé à lui-même dérive ; la technique peut devenir folle si elle n’est pas « conduite », telle une voiture dont le chauffeur se serait endormi ou un ordinateur qui boucle. C’est ainsi qu’il existe un autre « ordre » que celui de la technique pour contrôler ses effets. Nous l’avons vu avec Comte-Sponville , il s’agit de la « politique », ce qui concerne le projet et les compromis dans la cité. Cette dernière sera elle-même contrôlée par l’instance « morale » qui est le processus historique et culturellement divers mais universel de « civilisation » des mœurs.

La logique des choses qui aboutit au présent est la suivante :

  • Toute croissance se fonde sur le crédit, c’est toute la différence entre prendre un risque pour innover et se contenter de gérer l’immobilisme ambiant.
  • Tout risque entraîne une volatilité, c’est-à-dire des écarts constants d’évaluations et de perspectives ; ils peuvent être violents quand la confiance décline, c’est ce que nous vivons ; cette gestion du risque s’appelle « spéculation », ce qui signifie non pas un péché diabolique mais un pari sur l’avenir (speculare = observer) ; c’est à ce niveau que des modèles de simulation mathématiques sont volontiers utilisés.
  • Les récentes techniques de l’information et de la communication rendent instantanés et réflexifs tout mouvement dans un sens ou dans l’autre ; on y voit la propension très humaine à l’imitation et au moutonnisme ; amplifié par la technique, ce comportement de « tous dans le même sens au même moment » peut être redoutable, comme dans une pirogue quand tout le monde se penche du même côté pour voir les crocodiles.
  • L’essor récent lui aussi de la globalisation (depuis 1991 en gros) diffuse les techniques nouvelles instantanément à l’ensemble du système financier de la planète ; les Chinois comme les Européens ont acheté des crédits titrisés contenant des subprimes ; sans plus en mesurer les risques comparés à leur rendement affiché.
  • L’autorégulation du système trouve très vite ses limites lorsque la technique permet de gagner beaucoup d’argent en peu de temps ; c’est le cas des produits à effet de levier, de la gestion alternative permettant la vente à découvert sous faible deposit (hedge-funds), de l’emballage de divers risques sous un produit titrisé ou structuré attrayant, et ainsi de suite.

Tant que roule le vélo, la logique positive s’autoalimente ; dès que le vélo roule sur un clou, il crève et le cycliste tombe ; c’est ce qui est arrivé le 6 août 2007 à American Home Mortgage, l’une des principales sociétés indépendantes de crédit immobilier : les prix baissent et les crédits à risque (subprimes) deviennent des faillites individuelles.

Dès lors, la logique du système s’inverse, aussi naturellement qu’à la hausse :

  • Baisse de l’immobilier = écroulement des subprimes = baisse des actifs bancaires = provisions massives = baisse des fonds propres = baisse de notation = crédits plus chers entre banques = marché méfiant et ventes à découvert = ventes obligées d’actifs bancaires pour respecter les ratios = nouvelle baisse des actifs = fusions désespérées ou entrées des fonds souverains…
  • Cette baisse des actifs possédés par les banques fait baisser la bourse, l’immobilier, les emprunts, donc tous les actifs ; nous assistons à une déflation des actifs généralisée qui, pour les mêmes raisons qu’à la hausse, se diffuse partout et très vite.
  • Les produits dérivés, jamais contrôlés par une quelconque instance, représentent 15 fois l’économie réelle ; ce qui avait poussé à la croissance pousse désormais à la récession, avec le même levier ; tout ce petit monde des anticipateurs de risques doit réajuster ses positions, couper les risques désormais incalculables ; tout le monde se retrouve au même moment à vendre les mêmes choses – et de moins en moins de gérants sont disposés à les racheter, même a prix très bas…
  • Les matières premières et le pétrole ont pour eux leur rareté et les perspectives à terme de croissance des émergents : ils s’envolent ; tout le monde se réfugie sur les mêmes îlots d’actifs encore solvables.
  • Cet envol fait bondir l’inflation des prix à la consommation partout dans le monde. Une déflation des actifs coïncide avec une inflation de la consommation : comme disait un humoriste, lorsque le plancher remonte et que le plafond baisse, vous êtes coincés !
  • Baisse du pouvoir d’achat, effondrement du crédit, craintes sur l’avenir qui fait conserver l’épargne = chute de la consommation, chômage, hausse des déficits sociaux, etc. = récession économique dans les pays développés et forts ralentissement dans les pays émergents vivant surtout d’exportations. Chacun se replie sur soi, sort moins, consomme moins, regarde avec terreur les risques climatiques, les guéguerres du pétrole (Géorgie, Afghanistan, Irak)…

Que faire pour briser l’engrenage ?

  • Une baisse des taux pour baisser le risque de l’investissement et relancer les exportations, le seul moteur américain encore vivace – la Fed l’a fait ; mais les taux pilotent la rentabilité/risque de l’investissement, pas le désir d’investir.
  • Laisser filer le dollar pour favoriser les exportations, bouffée d’air dans la contraction économique due à la moindre consommation interne - ce fut fait.
  • Une relance budgétaire pour distribuer de l’argent aux ménages (baisse d’impôts, incitations fiscales à investir, hausse des prestations sociales…), la plus efficace étant l’envoi d’un chèque directement à chacun – Georges W. Bush l’a fait ; mais la relance de la consommation n’a aucun incidence sur les prêts entre banques qui dépendent de la confiance qu’elles ont entre elles.
  • Une politique de refinancement des banques nationales par la banque centrale, pour assurer la liquidité en dernier ressort entre banques qui ne veulent plus se prêter mutuellement – Fed et BCE l’ont fait ; mais cela ne ramène pas la confiance mondiale.
  • La concertation entre 6 banques centrales pour assurer les swap (échanges de crédits) entre banques nationales des pays concernés – Fed, BCE, Bank of England, Bank of Japan, Banque Nationale Suisse, Banque centrale du Canada l’ont fait ; mais cela ne règle en rien le risque particulier de certains établissements.
  • Nationalisation d’établissements financiers en difficulté tels Northern Rock en Angleterre, Bear Stearns et AIG aux Etats-Unis, renationalisation des sociétés hybrides, privées mais à garantie d’Etat (les Caisses d’épargnes US entre 1989 et 1994 pour400 md$) aujourd’hui Fannie Mae et Freddy Mac – ce qui est fait ; mais le reste du système reste englué dans les produits toxiques.
  • La garantie des fonds monétaires américains et la reprise par l’administration des crédits pour les propriétaires insolvables, avec 30 ans pour rembourser – cela pour soutenir les ménages en difficultés.
  • L’interdiction provisoire des ventes à découvert des actions financières – ce qui a fait remonter vertigineusement les indices boursiers vendredi et devrait les stabiliser – mais sans éviter les conséquences du marasme économique sur les prévisions de résultats de l’ensemble de la cote.
  • Une défaisance générale des produits à risque dans un vaste Resolution Loans Trust (RTC), l’équivalent de notre CDR pour le Crédit Lyonnais – le Congrès doit examiner la question et voter en urgence ce projet ; mais il prendra plusieurs mois et n’évitera pas la récession.

Toutes ces mesures vont dans le bon sens, notamment par la place qu’elles donnent à la communication pour rétablir la confiance. Sont-elles suffisantes ? Probablement pas. Il faut toujours du temps pour compter les cadavres et restaurer une confiance. De plus, c’est tout un système fondé sur le crédit facile, le levier incontrôlé, la sophistication sans mesure des produits financiers, la prise de conscience des effets réels de la mondialisation – qu’il importe de penser. Pris par l’exubérance irrationnelle d’un nouveau cycle d’innovation, de l’argent facile et d’une Amérique sûre d’elle-même et dominatrice, cela n’a pas été fait. C’est tout un monde qui bascule, le monde de l’hédonisme dans lequel « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil », les maths résolvent tout, seule la Vérité absolue peut éradiquer les péchés de toute innovation et tout sera merveilleux dans le meilleur des mondes (américain) possible.

Les conséquences directes sont déjà là :

  • Déclin net de l’empire américain, matérialisé par la chute relative du dollar et la remise en cause des gros 4×4 bouffeurs d’essence.
  • Emergence accélérée de la Chine, de l’Inde et du Brésil.
  • Irruption dans le capital des plus grandes sociétés des fonds souverains du Golfe, de Chine et d’ailleurs.
  • Prises de participation directes et rachats forcenés d’entreprises et de banques par les pays émergents dans les pays développés.
  • Envol de la rente des pays à ressources naturelles (Golfe, Russie, Venezuela, Nigeria, Algérie, etc.)
  • Course aux matières premières dans le monde, notamment de la part de la Chine et notamment en Afrique, avec déstabilisations sociales et guerres qui vont avec.
  • Laminage de la classe moyenne occidentale prise entre prix à la consommation plus impôts en hausse, et salaires plus emplois en baisse. Envol concomitant des « très riches » des pays émergents : une étude de juin 2008 de Capgemini & Merrill Lynch montre que le monde compte en 2007 10 millions de millionnaires en dollars, le double d’il y a 10 ans, et principalement en Inde (+22%) et Chine (+20%).

Un New Deal s’impose sans aucun doute ; mais il devra être en concertation internationale car la mondialisation ne permet plus de garder pour soi ses ressources précieuses comme ses produits toxiques. Cela s’appelle la politique. Mais le vide de l’Exécutif américain jusqu’en janvier prochain ne permet pas d’augurer d’initiatives rapides en ce sens. Cette crise prendra donc du temps ! Probablement plus qu’envisagé fin juin encore…

Alain Sueur, auteur des “Outils de la stratégie boursière” et rédac-chef du Blog Boursier écrit régulièrement sur Fugues.


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