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Je sus que je serai heureuse

Publié le 15 septembre 2008 par Unepageparjour

Je sus que je serai heureuse.

Puis il y avait la Maria-Alba et la Maria-Aurora, deux de ses filles, que je n’avais jamais rencontrées. Elles parlaient un peu fort, très vite. Elles étaient entrées à la fin de mon chocolat chaud. Toutes en noires. J’avais eu un peu peur, à vrai dire. Car autant Maria-Angelica était petite et plutôt ronde, autant elles étaient grandes, maigres, voûtées, arc-boutées sur leur bâton de vieilles montagnardes, sèches. Mais je reconnaissais dans leur regard les mêmes étincelles de feu que dans celui de leur mère. Je compris qu’elle les houspillait un peu, de parler si fort. Je compris qu’elle était ma protectrice et que les deux autres lui devaient obéissance. Elles se turent, me regardèrent un peu en coin, me dévisagèrent, lentement, en prenant tout leur temps, le temps nécessaire à connaître cette petite inconnue qui venait de nulle part, le temps nécessaire à l’introduire dans leur clan, dans leur cercle de sorcières des montagnes frioulanes. J’attendais, intimidée, sage, les mains autour du bol, à la faïence encore tiède. Un pâle rayon de soleil pointait à la fenêtre. Dans le silence. Plus de vent dehors. On apercevait les buissons du jardin, à travers la vitre embuée par les vapeurs du lait qui avait chauffé. Des buissons qui s’étaient immobilisés.
 
Puis elles me sourirent. D’un sourire franc.
 
Alors, Maria-Angelica se mit à parler, doucement, et les deux autres s’assirent autour de la table, auprès de moi. Je devenais des leurs, maintenant, petite louve sauvage au pelage hérissée, prête à mettre bas. Elles me prirent les mains avec chaleur, pendant que j’entendais la mère préparer de l’eau, des légumes, du café, sortir le pain, poser sur la table une petite jatte d’huile d’olive, de l’ail, une branche de romarin, un peu de thym ramené de l’été. Tout cela sentait délicieusement bon. Ce mélange des parfums.
Maria-Alba, assise à ma gauche, lissait mes cheveux de sa grande main osseuse. Maria-Aurora, à ma droite, lisait maintenant dans les lignes de ma main, qu’elle tenait avec délicatesse, un doigt léger parcourait ma paume, comme un stylet magique dont elle se serait servi pour m’écrire une histoire, un conte de fée, une aventure lumineuse. La matinée passait, tranquille, à les écouter, à regarder leur mère aller et venir pour préparer ce qui allait sans doute être l’un des meilleurs déjeuner de mon existence. Je m’étonnai de l’énergie de cette petite bonne femme, qui allait et venait, petite vieille infatigable, dont le fardeau des années ne semblait guère peser sur les épaules rondes.
 
La cuisinière de fonte chantait, se mêlant avec plaisir à la conversation des femmes anciennes. Les parfums envahissaient la pièce avec plus de ferveur encore. On entendait chuinter le lard dans une large poêle en cuivre. Des assiettes s’empilaient sur la table. Puis des couverts dans les assiettes, des verres colorés, quelques cruches emplies d’eau fraîches. Je voyais même une miche de pain énorme, recouverte d’un torchon, comme un trésor. Quel festin préparait-elle donc ?


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