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Que deviendrais-je ?

Publié le 06 septembre 2008 par Unepageparjour

Que deviendrais-je ? Répète Marie, sans vraiment attendre de réponse, tant elle sait que les mots ont cette capacité incroyable à peser parfois d’avantage que les montagnes. Jean baisse la tête, maintenant. Pressant le bras de la jeune mère, il l’invite à marcher de nouveau.

Fleur pourrait m’appeler « Papa ». Tu m’appellerais Jean, et je t’appellerais Marie, et les gens pourraient croire, ou penser, ou imaginer, ou désirer, ou rêver que je suis ton…mari ?

Sais-tu ce que c’est, être un père ? Sais-tu ce que c’est qu’un père, dans les yeux d’une mère ? Sauras-tu être le père d’une fille de cinq ans ? Sauras-tu être autre chose qu’un copain gentil qui lui apporte des gâteaux ? Sauras-tu être le père d’une fille de dix ans, qui se maquille un peu trop vite ? Sauras-tu être le père d’une fille de quinze ans, qui écrit sa vie en lettres de sang ? Sauras-tu être le père d’une fille de vingt ans, qui cherche sa tribu, son clan, sa race ? Sauras-tu être le père d’une fille de trente ans, qui t’amènera à son tour le fruit de son ventre ? Sauras-tu être le père d’une fille de quarante ans, quand les maisons s’écroulent, quand les vents sont mauvais, quand les soleils disparaissent, quand les montagnes se disloquent ? Sauras-tu être le père d’une fille de cinquante ans, quand les oiseaux prennent leur envol, quand les migrateurs disparaissent au bout de l’horizon ? Sauras-tu être le père d’une fille de soixante ans, quand tu l’emmèneras d’hôpital en hôpital, quand ton corps mourant pèsera sur les dernières braises de sa vie ? Sauras-tu être le père d’une fille de soixante-dix ans, quand tu seras mort depuis longtemps, et qu’elle attendra de toi un signe, un souffle, une espérance, un souvenir jauni ? Oui, Jean, sauras-tu te faire appeler « papa » ?

Jean reste songeur. Il apprendra, peut-être.

Ils repassent devant le restaurant. Les lumières commencent à s’éteindre. Les tables sont presque vides. On s’affaire, pour retirer les derniers morceaux de pain, les verres, les nappes. Marie veut son tiramisu. Mais Matthieu s’est levé. Il cherche à lui parler à son tour. Seul. Elle hésite. Elle se tourne vers Jean :

Reviens dans quinze ans, et je me marierai avec toi !


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