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Lettre à un jeune professeur, de Philippe Meirieu.

Publié le 24 septembre 2008 par Capesphysiquechimie

Je découvre Meirieu dans le texte par cette lettre qui semble m'être adressée. Je savais qui il était, parce que friand des diverses polémiques sur l'Education, et leurs blogs afférents, je savais qu'il représentait le "pédago" par excellence, en tout cas ses détracteurs veulent-ils nous le faire croire.
A vrai dire, la caricature n'est pas loin de la réalité. Mais la caricature est belle.
Ce livre n'est pas un recette de cuisine dédiée aux jeunes professeurs. Il n'y a pas de conseils, juste quelques remarques et disgressions sur le métier et ses ambitions. Meirieu s'attache notamment à répondre aux préoccupations de début de carrière, préoccupations pragmatiques, avec, en vrac :
  • Qu'est-ce le projet d'établissement, et en quoi il est utile (eh oui !)
  • Qu'est ce que l'Ecole ? (ou comment mener une réflexion un réflexion épistémologique en dix lignes !)
Etrange, en effet, mais essentielle, cette mission de l'Ecole qui est de faire entendre, simplement, qu'il existe "des choses". Leçon décisive qu'une romancière américiane, Kressman Taylor, formule ainsi dans une de ses nouvelles : "C'est très important de connaître les choses comme elles sont. Pas comme tu as peur qu'elles soient, ou comment tu voudrais qu'elles soient. Ni l'un ni l'autre. Comme elles sont. Tu dois découvrir que le mond ne pense pas à toi, qu'il ne rôde pas en attendant de pouvoir te faire du mal, même s'il y a beaucoup de gens, surtout des enfants, qui pensent ça et qui ont peur. Le monde n'essaye pas non plus de te faire plaisir." (p69)
  • Pourquoi le "moment pédagogique", cet ultime instant de parfaite complicité et de ferveur pédagogique entre le professeur et la classe, n'arrivera pas ?
  • Qu'est-ce que la didactique ?
  • Le niveau baisse-t-il ?
Paradoxe apparent : le niveau général ne cesse de monter et, en même temps, le niveau que les professeurs constatent dans leurs classes ne cesse de baisser ! C'est, pourtant, une évidence arithmétique indiscutable ! Prenons, pour nous en convaincre, un exemple arbitraire parmi d'autres. En 1960, moins de 10% de la tranche d'âge des 15-16 ans sont en classe de seconde de lycée. Ce sont, pour la plupart, des jeunes issus des classes moyennes et supérieures.(...)Ces élèves obtiennent une moyenne de 12/20 en dissertation (...). Quarante-cinq ans plus tard, plus de 70% de la même tranche d'âge st en seconde : issus de milieux sociaux et culturel bien plus diversifiés (...) ils n'obtiennent, sur la même dissertation, qu'une moyenne de 8/20... Le niveau des jeunes Français a-t-il vraiment baissé ? Petit calcul. En 1960, un élève de seconde a, en moyenne, 12/20 à sa dissertation ; donnons aux autres une note forfaitaire (...) de 2/20 : la moyenne de la tranche d'âge est de 3/20. Aujourd'hui, avec les mêmes modes de calcul, la moyenne (...) est de 6,2/20. (p35)

Regardons précisément les dernières statistiques de l’enquête de l’OCDE sur les performances des élèves de quinze ans. Trois pays arrivent en tête : la Finlande, le Japon et la Corée du Sud. Avec des résultats à peu près comparables. Mais on ne peut s’en tenir là : il faut regarder, de près, comment ils s’y prennent. En Finlande, les élèves sont scolarisés dans des classes hétérogènes jusqu’à seize ans. Ils n’ont aucune note chiffrée, mais des évaluations qualitatives leur permettant d’orienter leurs efforts ; ils bénéficient de parcours personnalisés en fonction de leurs besoin et n’ont aucun travail à la maison. De plus, ils occupent une grande partie de leur temps scolaire à des recherches documentaires, seuls ou en petits groupes. Ils sont systématiquement encouragés à participer à des troupes de théâtre, à des chorales ou à des activités culturelles de toutes sortes. L’après-midi, les écoles restent ouvertes et accueillent des clubs d’astronomie, de reliure ou d’informatique qui réunissent élèves, parents, enseignants et habitants du quartier ou de la région…
(...)
Pouvons-nous, dès qu’il s’agit d’éducation, réduire l’évaluation de nos écoles et de nos établissements aux seuls indicateurs habituels de réussite scolaire ? 80% d’élèves au niveau du baccalauréat… pourquoi pas ? Mais pourquoi pas dans un régime qui se veut formateur à la citoyenneté démocratique, 80% des élèves qui auront été délégués de classes – et donc, accompagnés et formés pour cela – au cours de leur scolarité ? 100% d’élèves ayant un niveau de qualification ? Evidemment ! Mais pourquoi pas, aussi, 100% d’élèves ayant eu l’occasion de faire une enquête, de préparer un dossier sur une question et de prendre la parole pendant une heure devant un groupe ? Une augmentation de 20% des élèves « atteignant en langue vivante étrangère le niveau B1 du cadre de référence pour les langues du conseil de l’Europe » ? Qui pourrait s’y opposer ? Mais pourquoi pas une augmentation de 20% du nombre d’élèves entretenant une correspondance en langue vivante étrangère ? Ou une augmentation de 20% des élèves impliqués dans un projet artistique ou culturel ? Ou encore une augmentation de 20% du taux de fréquentation des bibliothèques et centres de documentation ? Qui ne voit pas que ces indicateurs de réussites pourraient être multipliés à l’infini ?
(...)
Sortons donc, enfin, des débats sans fin sur le niveau de nos élèves : le niveau baisse-t-il ou monte-t-il ? La question est, certes, importante. Mais à condition qu'on en traite simultanément une autre : de quel niveau parle-t-on ? Impossible, pour moi, de continuer cette guerre picrocholine entre journalistes et experts de toutes sortes, tant que nous n'aurons pas travaillé sérieusement à la reconstruction colplète de nos critères de réussite. Tant que nous n'accepterons pas que ces derniers ne peuvent pas faire systématiquement l'objet de statistiques et s'exprimer dans un bilan purement quantitatif. (p42)

  • Que penser des attaques lancées vers les "pédagogistes" ?
Pour ma part,je ne renverrai pas dos à dos le discours technique sur l'enseignement et la rhétorique de l'indignation. (p8)
Symétriquement, les apprentissages les plus savants, même s'ils se présentent à un moment de notre évolution où nous avons déjà appris à faire face à l'inconnu et à pactiser avec l'angoisse, ont besoin d'être accompagnés et soutenus. Seuls ceux qui, une fois adultes, n'apprennent plus rien, peuvent imaginer que les grands élèves apprennent facilement. (p16)
  • Que signifie "L'élève au centre du système" ?
L'élève au centre du système est donc un principe de bon sens dans une société laïque et démocratique qui veut transmettre à tous ses enfants le fondamentaux de la citoyenneté. Principe rappelé par Jean Zay, ministre de l'éducation nationale du Front Populaire, qui conclut l'une de ses principals circulaires par cette interrogation : "Vers l'élève, centre commun, tous les efforts ne doivent-ils pas converger ?" Qui, en effet, pourrait prétendre le contraire ?

Voici qui tait l'idée selon laquelle cette affirmation serait jospiniste !
  • Qu'est-ce que faire la discipline ?, une question à laquelle il consacre un chapitre intitulé "Une préoccupation dont nous n'avons pas à rougir : la discipline en classe." (p55)
Hélas, P. Meirieu semble s'adresser à un "Vous" idéal, parce que profs par vocation, parce que profs anciens bons élèves, parce que profs qui a un questionnement didactique, parce que profs bons dans sa discipline. Que faire des autres "mauvais" profs ? Pas de réponse. La lettre ne leur est pas destinée.
Une question subsiste : l'ouvrage se destine-t-il véritablement à de jeunes professeurs ? Ou l'auteur, sous couvert d'un titre vendeur, ne tente-t-il pas de prêcher sa parole (si bonne soit-elle) et noyer par la même occasion ses détracteurs ? Remarquons notamment une référence explicite à Natacha Polony et son ouvrage Nos enfants gâchés : Petit traité sur la fracture générationnelle française, ainsi qu'à notre ancien ministre, Luc Ferry.
Bref, un ouvrage équivoque, qui à la fois semble desservir l'approche paternaliste et sage que le titre laisse pressentir, tout en distillant quelques effluves militantes. Faut-il lui en vouloir ? Suivent quelques extraits qui me semblent intéressants, réflexions générales sur le système administratif et l'IUFM

C'est pourquoi je défends l'idée iconoclaste selon laquelle il conviendrait que toute personne qui prend des responsabilités administratives ou pédagogiques garde un contact régulier avec des élèves : que le chef d'établissement continue à enseigner quelques heures par semaine dans ca discipline d'origine comme l'inspecteur et, même l'inspecteur général. Que les fonctionnaires de l'administration centrale du ministère comme les recteurs et leurs collaborateurs continuent d'assurer des charges d'enseignement scolaire ou universitaire. (p25)


Regardons précisément les dernières statistiques de l’enquête de l’OCDE sur les performances des élèves de quinze ans. Trois pays arrivent en tête : la Finlande, le Japon et la Corée du Sud. Avec des résultats à peu près comparables. Mais on ne peut s’en tenir là : il faut regarder, de près, comment ils s’y prennent. En Finlande, les élèves sont scolarisés dans des classes hétérogènes jusqu’à seize ans. Ils n’ont aucune note chiffrée, mais des évaluations qualitatives leur permettant d’orienter leurs efforts ; ils bénéficient de parcours personnalisés en fonction de leurs besoin et n’ont aucun travail à la maison. De plus, ils occupent une grande partie de leur temps scolaire à des recherches documentaires, seuls ou en petits groupes. Ils sont systématiquement encouragés à participer à des troupes de théâtre, à des chorales ou à des activités culturelles de toutes sortes. L’après-midi, les écoles restent ouvertes et accueillent des clubs d’astronomie, de reliure ou d’informatique qui réunissent élèves, parents, enseignants et habitants du quartier ou de la région…
(...)
Pouvons-nous, dès qu’il s’agit d’éducation, réduire l’évaluation de nos écoles et de nos établissements aux seuls indicateurs habituels de réussite scolaire ? 80% d’élèves au niveau du baccalauréat… pourquoi pas ? Mais pourquoi pas dans un régime qui se veut formateur à la citoyenneté démocratique, 80% des élèves qui auront été délégués de classes – et donc, accompagnés et formés pour cela – au cours de leur scolarité ? 100% d’élèves ayant un niveau de qualification ? Evidemment ! Mais pourquoi pas, aussi, 100% d’élèves ayant eu l’occasion de faire une enquête, de préparer un dossier sur une question et de prendre la parole pendant une heure devant un groupe ? Une augmentation de 20% des élèves « atteignant en langue vivante étrangère le niveau B1 du cadre de référence pour les langues du conseil de l’Europe » ? Qui pourrait s’y opposer ? Mais pourquoi pas une augmentation de 20% du nombre d’élèves entretenant une correspondance en langue vivante étrangère ? Ou une augmentation de 20% des élèves impliqués dans un projet artistique ou culturel ? Ou encore une augmentation de 20% du taux de fréquentation des bibliothèques et centres de documentation ? Qui ne voit pas que ces indicateurs de réussites pourraient être multipliés à l’infini ?

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Sortons donc, enfin, des débats sans fin sur le niveau de nos élèves : le niveau baisse-t-il ou monte-t-il ? La question est, certes, importante. Mais à condition qu'on en traite simultanément une autre : de quel niveau parle-t-on ? Impossible, pour moi, de continuer cette guerre picrocholine entre journalistes et experts de toutes sortes, tant que nous n'aurons pas travaillé sérieusement à la reconstruction colplète de nos critères de réussite. Tant que nous n'accepterons pas que ces derniers ne peuvent pas faire systématiquement l'objet de statistiques et s'exprimer dans un bilan purement quantitatif. (p42)


Conseils de lecture par P. Meirieu :
Quinze pédagogues : leur influence aujourd'hui (Paris, Armand Colin, 1994)
Les enfants de Barbiana, Lettre à une maîtresse d'école, Paris, Mercure de France. ("C'est un petit bijou, avec ses excès et ses rapidités, très marqué par son époque... Mais on en sort pas indemne !")
La formation de l'esprit scientifique, de Gaston Bachelard, Paris, Vrin, 1972.

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