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Trait pour trait : écorchés vifs

Publié le 03 septembre 2008 par Myriam

Pour l'un, Rembrandt, c'est une oeuvre de la pleine maturité 49 ans, pour l'autre, Chardin, c'est à 29 ans l'une de ses premières oeuvres qui lui permet de devenir peintre académicien "dans le talent des animaux et des fruits", un genre mineur à l'époque.

Rembrandt_le_boeuf_corch_3
On a l'habitude d'établir un parallèle entre le "Boeuf dépecé" (1655, Paris, Louvre) que Rembrandt a peint à la fin de sa vie avec le célèbre "Boeuf écorché" de Soutine (musée de Grenoble). Mais je voudrais ici en susciter un autre. Je me souviens d'avoir été particulièrement impressionnée, lors de l'exposition Chardin de 1979 au Grand Palais, par le tableau "La Raie" (1728).

A cette époque, surtout dans la peinture hollandaise, les natures mortes sont des tableaux où la virtuosité du peintre est de reproduire le plus fidèlement possible, avec le jeu de la lumière, la réalité ou une certaine forme de réalité mise en scène soigneusement : posés sur une table, des fleurs dans un vase, ou des fruits (avec le citron dont le zeste s'enroule), de la vaisselle en porcelaine ou en argent, des verres (souvent de Murano), des coquillages et enfin des animaux morts que l'on vient de ramener de la chasse.

Ici, quelle beauté singulière pour ces deux oeuvres : le "Boeuf dépecé" de Rembrandt et "La Raie" de Chardin. Les objets ne sont pas inanimés, on est interpellé par la nature presque vivante de la carcasse du boeuf que l'on va dépecer et de la raie que l'on vient de pêcher. Les deux peintres font preuve d'un réalisme cru et puissant. On sent la chair de la viande, on sent la chair du poisson, avec chez Rembrandt une forte épaisseur de pâte et la lumière qui éclaire d'en haut la carcasse faisant ainsi ressortir les tonalités de rouge et de jaune de la viande. Chez Chardin, le ton presque monochrome de la toile, avec en contraste le chat (dont le poitrail est blanc) bondissant sur les huîtres et la nappe blanche à moitié pliée avec un filet bleu, amène inévitablement l'œil sur le rictus de la raie puis dans ses entrailles,

Chardin_la_raie
encore rouge sang. Proust lui même admirateur de cette toile écrira "la beauté de l'architecture (du monstre étrange) délicate et vaste, teintée de sang rouge, de nerfs bleus et de muscles blancs, comme la nef d'une cathédrale polychrome".

Enfin deux derniers détails qui insufflent de la vie dans ces toiles : chez Rembrandt, on voit la tête d'une servante dans l'embrasure de la porte qui incite à voir de plus près cette pièce de boeuf ; chez Chardin, on a l'impression que l'on peut saisir le couteau au premier plan et continuer à préparer le repas.

Ces deux toiles sont singulières, non seulement par la maîtrise de la couleur et du clair-obscur, mais surtout parce qu'elles se démarquent de la doctrine esthétique en vigueur en donnant à voir une beauté qui dérange.


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