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La vengeance du pied fourchu : 15

Publié le 03 octobre 2008 par Porky

TROISIEME PARTIE

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Ce qui suivit ne fut certes pas une surprise pour Martin et Missia. Une semaine après leur rencontre avec Asphodèle, deux promeneurs égarés dans la montagne découvrirent le corps de la sorcière, allongé devant sa cabane. Elle était morte et le décès remontait à plusieurs jours. Les yeux grands ouverts ne reflétaient plus rien mais le visage était figé dans une grimace de surprise et de terreur. Des marques de doigts apparaissaient encore autour de son cou. Indubitablement, Asphodèle avait été étranglée.

Cette mort ne dérangea pas outre mesure le village et Missia fut bien la seule à assister à la rapide inhumation du corps de sa conseillère. Pas de messe, pas de bénédiction : une sorcière pouvait-elle prétendre à une cérémonie religieuse ? Le fait qu’on l’eût assassinée ne gêna pas non plus Monsieur le Maire, de qui dépendait l’autorisation de l’enterrer. A quoi bon prévenir les gendarmes pour une vieille folle que personne ne regretterait ? Elle avait sans doute été tuée par des rôdeurs, nombreux en ce printemps, dans la montagne. On ne remettrait jamais la main sur son meurtrier et ce serait troubler la quiétude du village pour pas grand-chose. On décida donc qu’Asphodèle était décédée de mort naturelle, on creusa une fosse près de sa cabane, on la jeta dedans et on referma le trou. Seule une croix de bois, fabriquée par Martin et que Missia avait tenu à planter elle-même en terre indiquait qu’il y avait là une tombe.

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Missia n’était pas non plus particulièrement affectée par la mort d’Asphodèle. Aucun réel lien d’amitié ne la liait à la vieille femme ; mais elle ressentait sa disparition comme une sorte d’avertissement : la protection qu’Asphodèle représentait, et qui empêchait les dangers de fondre sur elle sans crier gare, avait disparu. Plus moyen d’interroger les pierres, de faire apparaître le Rêveur de l’enfer, d’obtenir des renseignements sur ce qui se tramait au fin fond du royaume des damnés. Missia se retrouvait seule face au péril et son inquiétude grandissait de jour en jour, car elle voyait dans le meurtre d’Asphodèle une préfiguration de son propre destin.

Un matin, la petite Rosette, fille du village qui passait pour ne pas avoir les yeux ni la langue dans sa poche, aborda Missia alors que celle-ci se rendait chez sa sœur. Le but officiel de la visite était de porter à Catherine quelques pots de la dernière confiture fabriquée par Marie. Mais officieusement, Missia se promettait bien de poser des questions précises à la Mairesse, questions portant sur le collier d’émeraudes et sur Louis et Sigrid, invisibles depuis quelque temps. Lorsqu’il s’était rendu à la ville, Martin avait vainement cherché une fabrique, une entreprise, voire un commerce dont Louis pourrait être le propriétaire. Mais cela ne voulait pas dire grand-chose : sans nom précis, comment voulez-vous retrouver la trace de quelqu’un dans une ville qui compte presque vingt mille habitants ? Il aurait fallu suivre le jeune homme lorsqu’il quittait le village ; impossible. Les chevaux allaient trop vite, et de plus, n’importe quel poursuivant se serait fait repérer en trois minutes.

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Rosette, assise sur le talus au bord du chemin, mâchonnait un brin d’herbe. Missia la regarda sans bienveillance : elle ne l’aimait pas, la trouvant hypocrite, cancanière, et prête à raconter n’importe quoi sur n’importe qui dans l’espoir de faire battre tout le monde. Aussi passa-t-elle rapidement devant elle en se contentant d’incliner la tête en guise de bonjour. Mais Rosette se leva et la rattrapa sans difficulté. « Sais-tu ce qu’on raconte, au village ? » demanda-t-elle en essayant de passer son bras sous celui de Missia, mais la jeune fille se dégagea assez rudement. « Non, et cela m’est égal », rétorqua Missia, pressant le pas. « Tu as tort, cela te concerne, murmura Rosette avec un grand sourire. Enfin, pas toi directement. Ta famille. » « Si je passais mon temps à écouter les rumeurs, je ne ferais rien de la journée, dit Missia. Un peu comme toi, tu vois. » Rosette encaissa l’insolence sans broncher, mais ses yeux brillèrent un instant de colère. Cependant, le ton de sa voix continuait d’être aimable et avenant. « Il faut pourtant que tu m’écoutes, murmura-t-elle. Je t’assure que cela peut être heu… dangereux pour vous. » Le mot « dangereux » sonna fort désagréablement aux oreilles de Missia. Elle s’arrêta. « Dangereux ? répéta-t-elle. De quelle manière ? Pourquoi ? » Le sourire de Rosette devint triomphant : le poisson était ferré, il ne restait plus qu’à lever la ligne pour l’attraper.

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« Et bien, quelqu’un a vu Catherine grimper dans la montagne la semaine dernière. » « Oui, et alors ? » La voix de Missia était dédaigneuse. « Où est le problème ? Elle s’y promène fréquemment avec les enfants. » « Et bien… D’abord, elle était seule, ensuite, c’était en pleine nuit, et enfin, on a découvert le corps d’Asphodèle deux jours après. Vois-tu ce que je veux dire ? » Soufflée, Missia ne sut que répondre et se contenta de regarder fixement Rosette, de plus en plus épanouie. « Tu comprends que c’est le genre de bruit que je n’aimerais pas qu’on colporte sur mon compte, reprit Rosette d’une voix doucereuse. Les gens d’ici font très vite des rapprochements, souvent faux, je te l’accorde », acheva-t-elle. La stupeur passée, Missia sentit une vague de colère l’envahir. « Si je comprends bien, tu accuses ma sœur d’avoir assassiné Asphodèle, rétorqua-t-elle sèchement. Ca s’appelle de la diffamation, ni plus ni moins. Continue comme ça, et tu vas voir ce qui va t’arriver. Philippe n’est pas homme à admettre ce genre de choses. » « Mais ai-je dit cela ? protesta Rosette avec un geste grandiloquent. Je t’ai simplement mise en garde contre une rumeur à laquelle je n’ajoute pas foi, je te le jure. Les gens parlent, c’est vrai. On trouve bizarre que Catherine se promène en pleine nuit dans la montagne. » « Et en admettant que ce soit vrai, peux-tu me dire pourquoi elle aurait tué Asphodèle ? Elle ne lui parlait jamais, je suis même sûre qu’elle ignorait où se trouvait sa cabane. » « Je ne sais pas, fit Rosette. Je ne sais rien. Je répète, simplement. » « Alors cesse de répéter comme un perroquet, cela ne peut te valoir que des ennuis » et Missia lui tourna résolument le dos, marquant bien ainsi le fait que, pour elle, la conversation était terminée.

(A suivre)


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