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Propositions du CAE pour le logement des classes moyennes : inefficaces et dangereuses

Publié le 12 octobre 2008 par Objectifliberte

Docteur house soigne un banquier en faillite Voici la suite de ma note post??e ?? chaud dans la nuit de Jeudi ?? Vendredi, en r??action aux propositions surprenantes du Conseil d'Analyse Economique aupr??s du premier ministre en mati??re de logement. 

J'ai des lecteurs formidables. Alors que j'avais initialement abandonn?? la r??daction d'une analyse d??taill??e du rapport du CAE sur le logement des "classes moyennes", pour cause de fatigue apr??s minuit, d'excellents commentateurs se sont charg??s de ce travail, et ont en quelque lignes expliqu?? mieux que je n'aurais sur le faire pourquoi r??duire les standards prudentiels d'attribution du cr??dit serait ?? la fois inefficace et dangereux.

Je reproduis ici le fruit de leurs r??flexions:


(ST)... Mais l??, on parle bien de r??duire l'estimation de la capacit?? de remboursement (montant des mensualit??s par rapport aux revenus de l'emprunteur), pour se focaliser davantage sur la valeur du bien, avec pari sur l'??volution future. Si l'on anticipe une baisse, ca ne permettra pas d'accorder plus de pr??ts qu'aujourd'hui. Ce n'est que si on anticipe un march?? haussier que d??porter l'analyse du risque de la capacit?? de remboursement vers la valeur du bien in fine permet de pr??ter ?? des gens qui n'auraient pas pass?? la barre aujourd'hui. On tourne en rond. Et derri??re un changement d'ordre juridique (pr??t classique => pr??t hypoth??caire), ce que recherchent bien les auteurs du rapport, c'est clairement et uniquement une astuce pour rel??cher encore un peu plus les conditions d'acc??s au cr??dit.

C'est criminellement dangereux. Et de surcroit ???? n'aurait aucun impact sur la capacit?? des classes moyennes (vis??es dans le rapport) ?? acc??der ?? la propri??t??, puisque tout rel??chement dans le cr??dit se traduira illico par une hausse des prix qui absorbera la quasi totalit?? des nouvelles "capacit??s" financi??res attribu??es ?? l'emprunteur. Penser que la difficult?? d'acc??der ?? un logement en France est un probl??me de difficult?? d'acc??s au cr??dit, alors qu'on sort a peine d'une p??riode de cr??dit incroyablement bas, et qu'on a bien pu constater que cela n'avait rien arrang?? mais au contraire fait empirer les choses en propulsant les prix ?? la hausse comme jamais auparavant, c'est de la part des auteurs du rapport, d'une na??vet?? profonde, d'une incomp??tence crasse ou d'une malveillance criminelle.

Presque tout est dit. En l'absence de toute ??volution de la question fonci??re, la solvabilisation par la subvention du cr??dit entraine une hausse des prix des logements au moins ??quivalente (point d??j?? ??voqu?? sur ce blog)

(Michel) C'est le co??t des logements qu'il faut faire baisser, en lib??rant le foncier, et non faciliter le surendettement !

Tout est dit, ou presque, en une phrase. Merci Messieurs ! (?? moins que ST ne soit une dame ?)

Compl??ments d'analyse
Quelques pr??cisions sont tout de m??me n??cessaires. Tout d'abord, le rapport lui m??me n'est pas encore public, je n'ai donc lu que le r??sum??. Toutefois, celui ci est suffisamment explicite. D'autre part, il ??voque d'autres mesures, toutes dans la plus pure veine ??tatique qui a perp??tu?? les crises du logement depuis des ann??es: renforcement du logement social, m??canismes d'orientation de l'investissement vers les minorit??s (une sorte de CRA ?? la fran??aise, le terme CRA est explicitement ??voqu?? dans le rapport. Aux fous !). Ajoutons qu'il ??voque le probl??me crucial de l'??tranglement foncier dans le diagnostic pr??alable, ce qui est pertinent, mais que les solutions pr??conis??es dans ce domaine sont au mieux insignifiantes, au pire nocives. D??ception...

Deux points positifs, tout de m??me : une reconnaissance que la sur-protection du locataire fait fuir les bailleurs, et une n??cessit?? de mettre de l'ordre dans la foultitude de dispositifs d'aide au logement, co??tant au total 34 milliards d'Euros.

Ce sont des sujets que j'ai abondamment trait??s par ailleurs, soit dans la rubrique subprimes, soit dans la rubrique logement de ce blog, soit sur "crise publique". Je n'y reviendrai pas, et me concentrerai sur les questions relatives ?? l'introduction du pr??t hypoth??caire tel que le CAE le propose.

Un pr??t hypoth??caire hybride

Le r??sum?? propose clairement la cr??ation d'un mod??le d'attribution de pr??ts fond??s, je cite, sur "un mod??le hybride, dans lequel seraient prises en compte la solvabilit?? de l'emprunteur mais aussi la valeur du bien acquis mis en gage". Il s'agit donc clairement de d??connecter au moins partiellement l'accord de pr??t de la capacit?? de rembourser du d??biteur.  

Premier probl??me: sur un march?? propice ?? la formation de bulles comme l'est le march?? Fran??ais, il est impossible d'estimer de fa??on fiable la valeur du bien acquis sur toute la dur??e du pr??t : celle ci comporte une part variable de sur??valuation totalement artificielle li??e ?? la pr??sence de lois de restrictions fonci??res plus ou moins s??v??res. De fait, la valeur r??elle de revente du bien acquis, tr??s volatile, peut se trouver d??connect??e ?? la baisse de la valeur d'achat, ayant servi ?? d??terminer le niveau d'endettement de l'emprunteur...

C'est cette propension des march??s "bullaires" (une moiti?? des USA, Grande Bretagne, France...) ?? emp??cher une saine ??valuation du montant de l'hypoth??que qui conduit aujourd'hui des milliers de m??nages ?? la banqueroute, la revente de leur bien ne couvrant pas le capital restant d??. On note d'ailleurs aux USA une moindre ??volution du nombre de faillites sur les march??s "non bullaires" tels que ceux d'une partie de la Middle America, cf. exemples ci dessous :

Foreclosurestexascalifornia

Rappel : la Californie oblige depuis 1970 ses agglom??rations ?? recourir ?? des r??glementations du sol contraignantes (et qu'elle va renforcer) connues sous le nom de "smart growth policies", dont les effets n??fastes ont ??t?? longuement d??velopp??s sur le blog de mon livre (pub !). Au Texas, ces r??gulations sont prohib??es par l'??tat, au nom du respect du droit de propri??t??. Les bulles immobili??res ne peuvent pas s'y former.

Cr??ation d'un French Freddie Mac !

Le r??sum?? propose la cr??ation d'une garantie du FGAS (Fond de Garantie de l'Accession Sociale) sur les pr??ts hypoth??caires propos??s pose au syst??me financier. Les auteurs du r??sum?? pr??tendent ??viter les erreurs commises aux USA. Mais ils admettent implicitement que pour que le mod??le du pr??t hypoth??caire fonctionne, il faut donner une "carotte" aux pr??teurs. Cette carotte serait une garantie d'un organisme public, permettant de refinancer les pr??ts ?? des taux plus faibles, augmentant les "spreads" (??cart de taux) sur lesquelles les banques s'assurent contre d'??ventuelles d??faillances.
En outre, le rapport estime que le  d??veloppement des techniques de titrisation des pr??ts permettant de "pooler" des cr??ances de fiabilit??s diverses est indispensable pour d??velopper l'offre de cr??dit hypoth??caire en France. Mais la situation actuelle montre qu'une titrisation m??langeant des cr??ances de s??ret?? variable aboutit ?? jeter le doute sur l'ensemble des titres ainsi cr????s, m??me si seulement une fraction des pr??ts collat??raux est d??ficiente. L'on ne voit gu??re comment les techniques de titrisation cr????es ?? la suite des recommandations du CAE pourraient ??chapper ?? ce travers.

Bref, le CAE n'a visiblement rien compris des m??canismes qui ont d'une part provoqu?? la faillite de Fannie Mae (FNMA) et Freddie Mac (FHLMC), puisqu'il veut faire jouer au FGAS (phon??tiquement, "Fergie Ass" ?) le m??me r??le, et il n'a pas pris la mesure des faiblesses des mod??les de titrisation en vigueur lorsqu'ils int??grent des cr??ances de mauvaise qualit??, contribuant ?? r??pandre les risques sur de larges classes d'actif et ?? transformer une crise sectorielle en cauchemar syst??mique.

Si un organisme d'??tat joue le r??le de garant des cr??ances, alors la vigilance des pr??teurs s'??moussera, et un beau jour, patatras, "Fergie Ass" sera en faillite, l'??tat devra garantir les d??tenteurs des bons servant ?? refinancer les pr??ts... Le pourra-t-il ? Et si la titrisation est aussi mal con??ue qu'actuellement, quels en seront les effets secondaires ?

Consid??rations ??thiques: le pr??t hypoth??caire est il un contrat normal ou un contrat de pr??dation ?

La valeur de tout cr??dit, pour une banque, est fond??e sur une promesse: celle fait par le pr??teur de rembourser son capital et ses int??r??ts. Que cette promesse soit rompue et la valeur du pr??t s'effondre.
L'hypoth??que sur le bien achet?? ne "solvabilise" pas l'emprunteur, contrairement ?? ce qu'affirme le CAE. La solvabilit?? d??pend de la capacit?? de rembourser, donc du revenu, point barre. Affirmer que des personnes consid??r??es comme insolvables par les banques seraient rendues solvables par le miracle de l'hypoth??que sur le bien acquis est une escroquerie intellectuelle pure et simple.
L'hypoth??que sur le bien achet?? ne fait que r??duire le risque du banquier en cas de faillite du d??biteur, du moins les banquiers le croyaient-il jusqu'aux derni??res semaines (cf. mes r??serves sur les march??s bullaires plus haut, et l'exp??rience malheureuse en cours aux USA...) tout en augmentant celui de l'emprunteur, dont les ratios prudentiels se d??t??riorent. Et des mensualit??s plus ??lev??es signifient moins de capacit?? de faire face ?? un coup d??r.

Le cr??dit hypoth??caire n'est donc qu'un moyen d'augmenter le volume d'affaire de la banque lorsque le march?? se fait tranquille, et accessoirement, une fa??on, pour des charg??s de client??le peu scrupuleux, de traquer des clients en faillite pour racheter, ?? titre personnel, des maisons vendues en urgence lors de ventes aux ench??res publiques.

La question est donc de savoir si la pratique doit ??tre consid??r??e comme une prise de risque librement consentie par les deux parties, auquel cas les banques doivent ??tre autoris??es ?? le proposer, mais sans la moindre garantie ni subvention d'??tat, ce qui devrait tuer dans l'oeuf ce type de pr??t, soit elle constitue une belle arnaque de celui qui sait ??valuer les risques qu'il fait courir au clients, de celui qui peut se faire embobiner, et elle doit ??tre sanctionn??e comme telle.
Selon quelques sources dignes de foi, la loi am??ricaine, l?? encore mal faite car excessivement normative, pr??voit seulement que les courtiers en pr??ts doivent informer les emprunteurs des taux et de l'??volution possible des mensualit??s, mais que s'ils ont respect?? cette norme, ils ne peuvent ??tre poursuivis que dans des cas excessivement rares: et voil?? comment des brokers camelots ont r??ussi ?? "fourguer" des cr??dits toxiques ?? des clients mal ??duqu??s aux notions financi??res de base.

En France, les bases du code civil donnent ?? tout professionnel engag?? dans une transaction avec un client non sp??cialiste une obligation de conseil. Si cette obligation n'est pas respect??e, le juge peut consid??rer qu'il y a eu manoeuvre inad??quate (dolosive) pour placer un cr??dit trop ??lev?? sur les ??paules de l'emprunteur, et condamner en cons??quence. Cette l??gislation fond??e sur un principe simple  -- l'honn??tet?? du vendeur -- et non sur une norme, peut sembler excessive, elle est certes parfois tr??s difficile ?? appr??cier, mais elle apparait pour ma part comme un sain principe de pr??servation des droits de propri??t?? du moins inform?? vis ?? vis du sp??cialiste.

Par cons??quent, l'emprunteur devrait syst??matiquement se faire remettre une notice claire d'??valuation des risques associ??es ?? son pr??t, admettre qu'il l'a comprise, pour que le pr??t hypoth??caire puisse ??tre accord??... Pas tr??s vendeur, convenez en ! Il va de soi que si, en plus, le pr??t hypoth??caire ne jouit pas de la garantie publique, alors tant l'offre que la demande pour ce genre de pr??ts devraient ??tre tr??s limit??es, tout comme l'est aujourd'hui le nombre de banques d??sireuses d'en offrir ! L'??tat ne doit surtout pas chercher ?? changer cette donne en conf??rant des avantages l??gislatifs ou des subventions au pr??t hypoth??caire.

Conclusions: des propositions dangereuses

Pour le moment, et malgr?? l'affaire Dexia, les banques fran??aises, bien que leur situation soit aussi tendues que celle de toutes les banques dans le monde, semblent plut??t moins fragilis??es que celles de nos principaux voisins. Le risque de d??faillance semble bien circonscrit, du moins sur les ??tablissements majeurs.

Cela est d?? au caract??re pour une fois fondamentalement sain de la l??gislation fran??aise qui encourage l'octroi du cr??dit sur la base de la solvabilit?? des emprunteurs. Si les banques veulent faire de l'hypoth??caire en en assumant tous les risques, sans la moindre garantie ni subvention de l'Etat, et en assurant effectivement leur r??le de conseil, qu'elles puissent le faire. Mais si le mod??le n'est pas assez fiable ou lucratif, comme cela est probable, alors il faut laisser les banques le rejeter sans demander ?? l'??tat de se substituer ?? elles pour d??finir ?? qui elles doivent pr??ter ou pas et ?? quelles conditions. Naturellement, toute garantie financ??e par les contribuables, ??ternel carburant de l'imprudence des acteurs du march??, devrait ??tre proscrite. Nulle personne cens??e ne devrait vouloir d'une soci??t?? ou les pertes des grandes institutions financi??res seraient collectivis??es.

En outre, l'exp??rience am??ricaine nous enseigne que ces cr??dits sont des bombes ?? retardement : favoriser le cr??dit hypoth??caire par une distorsion ??tatique serait tout simplement irresponsable. Ces propositions du CAE doivent imp??rativement finir dans un tiroir tr??s profond et y rester.

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Ps.
Quelques minutes avant le "bouclage" de minuit, je ne saurais omettre de vous renvoyer ?? ce remarquable et court passage du tr??s grand vulgarisateur de l'??conomie qu'??tait Henry Hazlitt, cit?? par Thierry Fallissard:

L'argument qui vaut contre les pr??ts hypoth??caires garantis par le gouvernement ?? des personnes et des entreprises priv??es est aussi valable que celui qui vaut contre les pr??ts et hypoth??ques accord??s directement par le gouvernement, m??me s'il est moins ??vident.
Les partisans des pr??ts hypoth??caires garantis par le gouvernement oublient ??galement que ce qui est pr??t?? est en fin de compte du capital r??el, dont l'offre est limit??e, et qu'ils aident un acteur B identifi?? au d??triment d'un acteur A non identifi??.
La garantie des pr??ts hypoth??caires par le gouvernement, en particulier quand aucun capital initial n'est requis (ou seulement un capital n??gligeable), aura pour cons??quence des pr??ts de moins bonne qualit??. Elle oblige le contribuable ?? subventionner de mauvais risques et ?? couvrir les pertes. Elle encourage les gens ?? ?? acheter ?? des maisons pour lesquelles ils n'ont pas vraiment les moyens. Elle a tendance ?? susciter ?? terme une offre exc??dentaire de logements en comparaison avec d'autres biens. Cela stimule temporairement le b??timent de fa??on excessive, augmente le co??t de la construction pour tout le monde (y compris les acheteurs de maisons qui b??n??ficient de la garantie hypoth??caire), et d??voie l'industrie du b??timent dans une expansion qui finira par lui co??ter cher. En bref, ?? long terme, cela n'augmente pas la production nationale de fa??on globale, mais encourage le mauvais investissement.

On ne saurait mieux dire.
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