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12. Un syllogisme obsessionnel

Publié le 15 octobre 2008 par Annecaro

Zirga avait hier quelques révoltes. C'est le génotexteur qui a permis de revisiter son passé. A son évocation, ses mandibules coincent.

Quand j'ai vu arrivé Olivier, je me suis mis à penser avec un de ces syllogismes d'un autre temps qui vous conduisent droit dans le décor : "Olivier a un certain âge. Les personnes d'un certain âge ont des pensées obsessionnelles. Olivier a des pensées obsessionnelles. Olivier va de nouveau m'interroger sur mes douze années de déconnexion. "

Résultat lorsqu'il s'est assis à côté de moi, mes mandibules se coincèrent et je ressemblai à un vieux robot rouillé. Cela n'a pas eu l'air de déranger Olivier qui se mit à lire un document :

"Si on ne peut prédire le futur, on peut l'inventer. Pour cette construction d'un futur désirable, les entreprises doivent collaborer pour trouver des réponses originales à de multiples questions :

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La planète a du mal à subvenir aux besoins de 6 milliards d'individu, comment réussira-t-elle à faire vivre dignement un nombre encore plus grand de personnes. Comment inventer une cuisine qui révolutionne la production alimentaire ? Saurons-nous produire localement et redistribuer mondialement nos récoltes ?
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Les Japonais sont vraiment vieux et nos sociétés occidentales commencent à prendre des rides. Les entreprises deviendront-elles des maisons de retraite où les plus jeunes nettoieront les pensées pisseuses de leurs aînés ou utiliseront-elles les grands écarts d'âge pour assouplir leur organisation ?
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Aggravation des orages, augmentation du niveau des mers, inondations, vagues de chaleur... L'entreprise pleura-t-elle les changements climatiques ou participera-t-elle activement au sauvetage de la planète ? Equipera-t-elle tous ses collaborateurs de valeurs sociétales et éthiques nécessaires pour ce travail ou les laissera-t-elle errer à la quête de sens et d'âme ?
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Avec l'épuisement des énergies fossiles, les entreprises reviendront-elles à la bougie, ou mettra-t-elles leur civisme et leur intelligence en œuvre pour trouver des énergies plus constructrices que destructrices ?
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Système de ventes partagées avec fixation des prix style eBay, développement de fonds sociaux où les particuliers prêtent aux particuliers... L'entreprise de demain sera-t-elle un grand organisateur de place de marchés. "

Il y en a encore des dizaines d'interrogation du même acabit. Est-ce que cette prose qui date de la fin de la première décennie vous rappelle quelque chose ?

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Oui, fis-je en continuant à serrer les mandibules pour éviter de mordre. Qui vous a fourni mon ancienne identité ?

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J'ai passé vos écrits au génotexteur. Avec la quantité de billets que vous avez déjà écrit, le lien a été facile. Je m'étonne...

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On ne peut vraiment plus être anonyme.

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Et oui, Zirga, on ne peut plus se tricoter la vie d'un autre, car même celle-là devient vite la nôtre, dit Olivier en souriant.

Si vous saviez comme il m'agaçait avec ses airs de fatalisme convenu. Mes mandibules commençaient à demander grâce.

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Que voulez-vous, en 2008, on se posait beaucoup de questions sur la manière dont serait l'entreprise de demain, dis-je pour les soulager. Nous étions dans le brouillard et on pensait qu'en se posant les bonnes questions, on pourrait inventer notre futur. Souvenez-vous. Les marchés financiers s'enflammaient et les garants de notre argent leur ordonnaient de se calmer. Alors qu'ils les grondaient comme on réprimande un gamin désobéissant, les salariés des entreprises paniquaient. Après avoir perdu leur sécurité, le sens de leur travail, ils allaient perdre ce qui les avaient fait tenir : les quelques économies accumulées.

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Je m'étonne...

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Vous vous étonnez ! Mais, vous êtes amnésiques. A cette époque, les salariés étaient des bâtisseurs de cathédrales. La technologie avait évolué, mais ils continuaient à se passer des pierres qui pesaient des tonnes pour que quelques privilégiés les installent sur le fronton et en tirent tous les profits. Nous n'étions que des sherpas au service de quelques nantis. En prime, comme nous ne disposions que d'outils obsolètes pour travailler, nous devions continuer à casser des cailloux la nuit. A l'époque, je devais repérer les innovations du Net, mais, dans depuis mon ordinateur de l'entreprise, je n'avais accès à aucun site. Les techniciens brandissaient le mot "sécurité" pour fermer tous les accès à l'information et à la connaissance.

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Vous étiez en colère.

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A force je ne l'étais plus. J'arrivais même à m'en amuser. C'était drôle de voir ses énarques s'accrocher à leurs privilèges avec des péremptoires "il faut raison garder" alors que les flots montaient et que tout le monde attendait qu'ils soient emportés par la ringardise de leurs réflexions. Au fait, vous vous étonnez, mais pourquoi ?

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Je m'étonnais juste de voir qu'on avait réussi à endormir votre fougue. Ca ne collait pas avec le portrait effectué par le génotexteur.... Rassurez-vous, le génotexteur ne m'a pas dit pourquoi vous êtes déconnecté pendant douze ans, ajoute-t-il en voyant l'agitation compulsive de mes mandibules.

"... Les personnes d'un certain âge ont des pensées obsessionnelles. Olivier a des pensées obsessionnelles. Olivier va de nouveau m'interroger sur mes douze années de déconnexion. " Le syllogisme fit des boucles dans ma tête qui ne détendirent pas mes mandibules.


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