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Les aventures du Prince Lexomil : XXXII

Publié le 22 octobre 2008 par Porky

Episode 32

Où l’on s’aperçoit que Madame la Bourgmestresse est une femme de tête

Mais les rugissements de Dame Athymil avaient fait sortir des dépendances et annexes diverses toute la domesticité qui, affolée, courait dans tous les sens à l’instar de volailles délirantes. Cependant, comme ces mouvements désordonnés avaient lieu dans un relatif silence, Madame la Bourgmestresse ne vit point d’inconvénient à ce que cette danse de Saint-Guy collective se poursuivît quelques instants. Puis, lorsqu’elle en eut assez, elle frappa dans ses mains, tapa du pied, ébranla la maison des fondations jusqu’au toit et enfin, put poser les questions qui lui brûlaient les lèvres. « Que fait cet homme sur mon carrelage ? Pourquoi Zoloft le traîne-t-il ainsi ? Pourquoi Biogaran et Beurk se crêpent-elles le chignon ? Où est Séropram ? Que font tous les domestiques ici ? Le repas est-il prêt ? Faut-il que je vous massacre tous pour avoir des réponses cohérentes ? »

Lexomil, maintenu à terre par la poigne de Zoloft, leva une main hésitante. « Je peux expliquer ma présence ici », commença-t-il mais Zoloft lui tordit le bras et la fin de la phrase ne fut plus qu’un infâme gargouillis. « Oh, abominable engeance ! s’écria Damoiselle Citalopram-Biogaran, décoiffée, pleine de bleus et la figure zébrée de coup de griffes. Tu oses maltraiter ainsi mon fiancé ! » « Et toi, affreuse dévergondée, tu oses traiter Zoloft d’engeance ! » s’exclama Damoiselle Citalopram-Beurk, à peu près dans le même état que sa sœur, avec un œil au beurre noir en plus –ce qui la rendait encore plus hideuse. « Une seconde ! ordonna Dame Athymil. Il y a un mot que j’ai dû mal entendre : fiancé. Qui est fiancé dans cette maison ? » « Moi ! » s’écrièrent en même temps Biogaran et Beurk. Madame la Bourgmestresse fronça les sourcils et tout le monde frissonna, y compris Lexomil qui avait décidé d’imiter en tout sa bien-aimée.

« Depuis quand avez-vous trouvé chacune un homme capable de vous supporter ? demanda dame Athymil, estomaquée malgré elle. A moins que ce soit le même, ce qui expliquerait ce combat homérique ! » « Non, ce n’est pas le même, répliqua Biogaran. Mon bien-aimé est celui qui gît devant vous, à vos pieds ! » « Et le mien est celui qui l’a fait gésir », expliqua Beurk. « Quoi ! fit madame la Bourgmestresse, ahurie mais mécontente, ma fille serait amoureuse d’un domestique ! Et l’autre donnerait sa main à un manant dont on ne connaît même pas l’identité ! » « Je vous assure que je suis quelqu’un de très bien, affirma Lexomil. Et même de bien mieux que vous ne pensez. Ma famille est une des plus puissantes du royaume. » « C’est ça ! dit Dame Athymil en partant d’un grand rire. Et moi, je suis la reine Xanaxa ! » « Oh non, dit Lexomil, sincère. Vous lui ressemblez un peu mais elle est beaucoup plus cinglée que vous. »

« Que se passe-t-il ? demanda tout à coup une voix mélodieuse. Pourquoi y a-t-il pléthore de gens ici ? Que fait ce jeune homme à terre ? Ciel ! Qui a ainsi défiguré mes pauvres sœurs ? » « Ah, vous voici, Séropram, dit la Bourgmestresse avec une pointe de satisfaction dans la voix. Vous êtes de mes trois filles la plus… heu, la moins… enfin, bref, vous avez quelques grains de bon sens dans le pois chiche qui vous sert généralement de cerveau. Etiez-vous au courant des histoires amoureuses de vos sœurs ? » « Histoires amoureuses ? répéta Séropram, surprise. Avec qui, grand dieu ? » « Avec moi », répondirent de conserve Lexomil et Zoloft. Et comme Séropram manifestait un surplus d’étonnement, Lexomil se crut obligé de préciser : « Je suis le fiancé de Damoiselle Biogaran. » « Et moi l’amoureux de Damoiselle Beurk », termina Zoloft qui, entre parenthèses, n’avait toujours pas lâché notre pauvre Prince. « Cela fait beaucoup de fiancés pour un seul jour, constata Séropram. Qu’en dites-vous, ma mère ? » « J’en dis que ça, après avoir supporté les inepties de mes conseillers, c’est un coup à me faire devenir folle, répliqua la Bourgmestresse. Néanmoins, mon cerveau étant quand même solide, j’en arrive à la conclusion suivante : je dois donner mon accord à ces noces invraisemblables ou devoir subir encore moult scènes de ce genre. Me trompé-je ? » « Il est certain que si vous me jetez dehors, je reviendrai par la cheminée », dit Lexomil. « Et moi, j’enlèverai Damoiselle Beurk et ce sera un scandale épouvantable », assura Zoloft. « Vous parlez bien haut pour un domestique, mon ami, dit Dame Athymil. Je sens que vous allez finir chômeur dans peu de temps. » « Cela m’est égal », rétorqua Zoloft en lâchant le bras de Lexomil, lequel poussa un soupir de soulagement. Le colosse se redressa de toute sa taille et toisa la –pourtant- imposante Bourgmestresse de Déprime-sur-Boulot.

« Vous ne m’avez pas reconnu, mais je suis le fils du PDG des produits pharmaceutiques Des Gueux and Co. Mon père est bourré d’anti-dépresseurs. » « Oui, dit Madame Athymil. Je veux bien vous croire, mais qu’est-ce qui me le prouve ? » « Ceci », et Zoloft tendit à sa maîtresse un papier qu’il avait tiré de sa poche. « Qu’est-ce ? » demanda la Bourgmestresse. « Lisez. C’est mon extrait de naissance. » Pendant que Dame Athymil parcourait le document, Damoiselle Citalopram-Beurk, ravie de ce coup de théâtre, battit des mains et se suspendit joyeusement au cou de son bien-aimé. Citalopram-Biogaran en profita pour s’approcher de Lexomil et l’aider à se relever. « Vous avez enduré bien des vicissitudes depuis que vous me connaissez, lui dit-elle, et je vous en remercie. Je ne suis pas une ingrate et surtout, vous me plaisez. Voici ma main, je vous la donne, que vous soyez mendiant ou fils de roi. » « Vous ne croyez pas si bien dire », répliqua Lexomil en baisant dévotement, galamment et goulûment le poignet de sa bien-aimée laquelle roucoula un rire de gorge fort ridicule mais attendrissant. « Bien, voilà donc l’avenir de Beurk assuré, dit La Bourgmestresse en repliant le papier. Dans mes bras, le gendre ! Ma fille, vous serez multimilliardaire. Quant à vous, le prétendant de Biogaran, je vous écoute : de qui êtes-vous le fils ? » « Si je voulais être spirituel, je répondrais: de mon père. Mais je ne tiens pas à l’être. Dame Athymil, je vous promets la plus merveilleuse des surprises si vous consentez à m’accompagner à Coup Dur, ma ville natale, afin que je vous présente mes parents. » « Me déplacer à Coup Dur ? C’est une plaisanterie ? J’y étais il y a… un certain temps. » « Mais je vous assure que vous ne regretterez rien, insista Lexomil. Et je peux même trouver un fiancé à ma belle-sœur, la si charmante Séropram. » « Elle en a déjà un, assura Dame Athymil. Il est atroce mais il est riche. Ceci compense cela. » « Je ne me marierai pas avec lui, pleurnicha soudain Séropram. J’estime valoir mieux que servir de femme à cet abominable nabot malodorant. Si Machin veut m’en trouver un autre… Au fait, quel est votre nom ? » demanda-t-elle en se tournant vers Lexomil.

Le Prince hésita. Devait-il révéler son identité exacte ? Si cela pouvait faisait tomber les dernières réticences de la Bourgmestresse… « Je m’appelle Lexomil », dit-il en se redressant. « Tiens ! Comme le Prince héritier », constata Séropram. « Mais je suis le Prince héritier », assura Lexomil, cette fois très sûr de lui. « C’est évident, dit Dame Athymil. Mes filles, vos mariages auront lieu lorsque ce jeune homme aura repris toute sa tête, c'est-à-dire dans un temps indéterminé. Je ne veux pas donner la main de ma progéniture à un dérangé mental. Qu’il se soigne en vitesse, et vous pourrez convoler en justes noces. J’ai dit. Le repas est-il prêt ? Oui ? A table. Les futurs gendres, vous êtes invités. Le fou voudra seulement bien nous excuser de ne pas lui faire de courbettes. Ici, les Altesses Royales sont traitées comme des invités ordinaires. » Et Dame Athymil se dirigea majestueusement vers la salle à manger, suivie de Séropram, Zoloft et Beurk, alors que Lexomil, anéanti, se demandait comment il allait faire entendre raison à ce monument d’incrédulité qu’on appelait Madame la Bourgmestresse.

(A suivre)


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