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Gouguenheim - un dernier mot

Par Vincent

Vraiment le dernier, cette fois. Byzance, un de mes lecteurs assidus,  me signale sur le forum Histoire/Passion Histoire un copier/coller du compte rendu de Brague. La position défendue est équilibrée, juste, elle ne tombe ni dans l'éloge béat ni dans la critique idéologiquement suspecte. Le paragraphe sur l'intelligenstia cloisonnée a le mérite de remettre un peu les choses en place, je trouve. Certes, Gouguenheim n'était peut-être pas la personne la plus compétente pour cette tâche mais, demande Brague non sans raison je trouve,  pourquoi les spécialistes lui ont-ils laissé la tâche désagréable de rectifier le tir ? Et pourquoi abandonnent-ils le terrain à des ignorants, des menteurs et/ou des propagandistes ?

Je ne reprends pas tous les éléments du compte-rendu de Brague, mais je voudrais juste mettre en lumière deux faits qui ont été discutés ici même: le cas de la maison de la sagesse et la notion de dette vis à vis du monde arabe.

* Sur la (trop) fameuse maison de la sagesse, je me permets de faire un petit copier/coller:

La maison de la sagesse
Il me faut mentionner ici un second exemple, tant il est répandu. C’est celui de la « maison de la sagesse » (bayt al-hikma) de Bagdad. La légende y voit une sorte de C.N.R.S., un centre de recherche généreusement subventionné par les Califes amoureux du savoir, et où des traducteurs auraient été payés pour faire passer à l’arabe les trésors de la science et de la philosophie grecques.
La légende ne se nourrit que de soi ; rien de tout cela ne résiste à l’examen critique. La maison de la sagesse abritait bien une bibliothèque. Mais l’activité de tous les traducteurs que nous connaissons était commanditée par des clients privés, nullement par l’appareil d’État. Enfin, plus on remonte en arrière dans le temps, moins les chroniqueurs mettent en rapport l’activité de traduction avec cette fameuse maison[6].
Il semble que l’institution en question n’avait rien à voir avec les traductions, ni même en général avec le savoir profane, d’origine grecque. Elle semble avoir été avant tout à usage interne, plus précisément une sorte d’officine de propagande en faveur de la doctrine politique et religieuse que soutenaient les Califes de l’époque, à savoir le mu‘tazilisme, lui aussi objet de bien des légendes.
Rappelons en deux mots que les Mu‘tazilites étaient bien partisans de la liberté morale de l’homme comme indispensable pour penser la justice de Dieu qui ne peut récompenser et punir que des gens responsables de leurs actes. Mais n’oublions pas que, dans la pratique, ils ont lancé le pouvoir califal contre leurs adversaires en une campagne que bien des historiens nomment, au prix d’un anachronisme, « inquisition ».

En dépit de tout ce qu'on peut lire à droite et à gauche sur internet, cette maison de la sagesse une fois de plus est tout sauf un fait avéré et la thèse de Gutas - jusqu'à preuve du contraire - me semble la plus solide. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas eu de traductions de textes grecs ou d'abrégés de textes scientifiques ou philosophiques émanant par exemple du cercle d'al Kindi. Les sites tendancieux qui se réjouissent de la possible non existence d'un centre de traduction semblent oublier ce fait. 

Sur la dette, dont on a un peu parlé ici - concept un peu trompeur, du moins dans ce contexte, la mise au point est intéressante et mérite d'être mentionnée in extenso:

Dette
L’Europe a-t-elle une dette à l’égard du monde arabe ? Un tel vocabulaire est maladroit. J’ai utilisé moi-même cette image de la « dette », et je regrette maintenant de n’avoir pas été plus circonspect. L’ennui est, d’une manière générale, que les images que la langue met à notre disposition sont toutes piégées et qu’il faut bien quand même parler. Ainsi, parler de « racines », c’est régresser au végétal et, du coup, négliger les aspects volontaires de la culture qui, au moins en partie, se choisit ses points de référence ; parler de « sources », c’est fomenter le modèle hydraulique d’écoulement dont je viens de dire les méfaits.
Dire « dette », dire « redevable », c’est aussi une façon de parler, et de rien de plus. Et prendre à la lettre ce qu’elle suggère aurait deux conséquences funestes.
La première, psychologique, est que le mot de « dette » induit une culpabilité (qu’on pense à l’allemand Schuld, à la fois « dette » et « faute »). On flatte par là le sentiment diffus d’avoir à expier dont souffre l’Europe actuelle. Celle-ci a du mal à faire face à son passé, souvent entaché d’indéniables crimes, voire elle trouve dans l’évocation de ceux-ci une complaisance morose.
La seconde conséquence est peut-être plus grave encore. Une dette est en rigueur de termes une réalité matérielle, mettons une somme d’argent. De plus il s’agit d’une chose dont le créancier a volontairement accepté de se défaire, s’en privant de la sorte pour en faire bénéficier le débiteur, et dont il attend qu’on la lui restitue. Parler de dette, c’est du coup suggérer que les biens concernés sont de nature matérielle. Or, il s’agit ici de biens spirituels, non d’objets. Et rien de ce qui vaut d’une dette ne s’applique aux choses de l’esprit. Les communiquer à autrui n’en prive pas celui qui les donne, lequel reste en leur possession : l’enseignement enrichit l’élève sans rien ôter au maître.
Et même là où il est question de biens matériels, est-il vraiment juste de parler de dette ? L’Europe a pris dans d’autres civilisations des biens qui sont devenus pour elle des évidences. Ainsi sont venus de Chine la soie, le thé, la porcelaine, le papier—ce dernier transitant par le monde islamique. Ou le maïs, le tabac, le chocolat sont venus du Nouveau Monde. Or donc, personne ne songerait à dire que nous avons une dette envers les Aztèques, et encore moins que nous devons parler avec un infini respect des sacrifices humains qu’ils pratiquaient, sous prétexte que nous mangeons des tomates.
Les choses sont un peu plus compliquées là où il s’agit de biens culturels. Leurs supports matériels—manuscrits, partitions, etc.—voyagent de la même façon que les valises. Mais leur contenu n’arrive vraiment à bon port qu’au prix d’un travail d’appropriation : lire, recopier, traduire, commenter, jouer, imiter, etc.
La France a naguère restitué à la Corée un précieux manuscrit jadis confisqué ; les Anglais pourraient rendre les fresques du Parthénon. Mais doit-on et peut-on rendre l’écriture aux anciens Égyptiens, l’empire aux Perses, la philosophie aux Grecs, le droit aux Romains ?

Voilà, voilà, lisez le reste, en ce qui me concerne, je ne m'exprimerai plus sur ce livre, c'est promis, non, je vous parlerais plutôt prochainement du livre de Priest La séparation qu'en ces temps de baisse de pouvoir d'achat (mais pas de la bêtise remarquez, c'est dommage il y a des choses qui ne baissent jamais et semblent parfois rester en quantité constante - à quand le krach de la bêtise) on peut trouver en poche, des nouvelles de Silverberg (également disponible en poche), de Socrate dans le monde arabe (qu'on ne trouve ni en poche ni en français d'ailleurs !), de la mode des verrines pour faire la cuisine et des slips Armani pour homme que j'espère évoquer avec un peu d'humour (avec ça le premier qui dit que je ne brasse pas large et que je ne fais pas ma rentrée, ça ira mal, parole de spitz !).  


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