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Effacement - Percival Everett

Par Woland

Erasure Traduction : Anne-Laure Tissut

Thelonius Ellison est noir. Mais il y a plus grave - on ne le lui dit pas mais on le pense si fort que, de toutes façons, il l'a compris depuis longtemps : son grand-père était médecin, son père l'était aussi, sa soeur et son frère le sont. Enfin, en ce qui concerne sa soeur, Lisa, très rapidement, on peut utiliser l'imparfait car la malheureuse est assassinée par un militant anti-avortement particulièrement fanatisé. Ce qui n'est pas sans causer beaucoup de problèmes à Thelonius - surnommé "Monk" ou "Monksie", devinez pourquoi ;o) - car Lisa s'occupait activement de leur mère, laquelle commence à perdre la mémoire et, lentement mais sûrement, bascule vers Alzheimer.

Le problème n'est pas pécuniaire. Le Dr Ellison a laissé suffisamment d'argent pour couvrir les soins de sa veuve. Et puis, on peut toujours vendre la maison - ce à quoi Monk se résoudra à la fin du roman.

Le problème, c'est que Monk se voit mal s'occuper à plein temps et à domicile d'une femme que, deux fois au moins dans le roman, on voit s'enfermer dans sa chambre ou dans la maison et ne plus reconnaître ceux qui l'entoure quand elle ne les menace pas carrément d'un pistolet chargé.

"Artiste de la famille" comme disait déjà son père, Thelonius a choisi la voie de la littérature. Et pas n'importe laquelle, s'il vous plaît puisqu'il s'agit d'un ersatz de ce que nous autres, Français, avons produit dans les années soixante : le Nouveau Roman.

Ecrire dans le style "Nouveau Roman", ça prend du temps mais ce n'est pas précisément porteur. Comme le dit si souvent Yul, son agent, au malheureux Monk : "Ecoute, tu n'écris pas assez Noir ! Quel rapport y a-t-il entre le Nouveau Roman et la culture afro-américaine ? Les lecteurs ne peuvent pas comprendre ça ! ..."

Monk, bien sûr, s'offusque. "Donc, si l'on est noir, réplique-t-il en substance, non seulement on n'a pas le droit de s'intéresser à "Ulysse" (par exemple) mais en plus, il est d'ores et déjà certain qu'on sera incapable d'y prendre goût et moins encore de comprendre ce que voulait dire Joyce ? Eh ! bien, je ne suis pas d'accord !"

Un jour, l'esprit occupé par ses problèmes familiaux, Monk aperçoit, dans une gondole de supermarché, un livre, écrit par une Noire, et intitulé "Not'vie à nous dans le ghetto." Il s'arrête, l'ouvre, lit quelques paragraphes et, comme tout littéraire digne de ce nom, Noir ou pas, manque s'évanouir d'horreur : syntaxe, dialogues, style au ras des pâquerettes. Evidemment, on a supprimé les fautes d'orthographe - mais enfin, c'est tout juste. Quant à l'image du Noir américain véhiculée par ce livre qui sera bientôt recommandé par Oprah Winfrey (qui est noire d'ailleurs) lors de son fameux talk-show, eh ! bien, c'est toujours la même : misère, drogue, stupidité, haine, délinquance, etc, etc ...

Pris de rage, Monk décide d'écrire, lui aussi, son roman à la Richard Wright. Ce sera "Ma Pataulogie", qu'il réintitulera plus tard "Putain !" Le héros, Van Go, est un jeune Noir qui n'a même pas besoin de se droguer pour agir comme un fou furieux. Accro au sexe, il a déjà, à vingt ans, quatre enfants naturels - de quatre mères différentes, bien entendu. Il traîne dans le ghetto, ne se lave pas, bref, passons les détails ... De toutes façons, Everett vous a inséré "Ma Pataulogie" dans "Effacement" : donc, vous ne perdrez aucune miette, rassurez-vous.

C'était couru d'avance, à peine l'agent de Monk a-t-il envoyé ce nouveau manuscrit à Random House (Random House, eh ! oui !) qu'il reçoit des propositions alléchantes. Seul problème : Ellison ne peut pas bien sûr - et d'ailleurs, il ne veut pas - endosser officiellement une aussi douteuse paternité. Pour l'occasion, il se crée donc l'identité de Stagh Lee et se voit bientôt invité au show d'Oprah Winfrey - toujours elle et toujours noire - sur je ne sais plus quelle chaîne ...

Grinçant, subtil, ce roman de Percival Everett est une réflexion d'une profondeur rare sur la nature et les diktats du racisme. L'écrivain pointe évidemment du doigt les Blancs avides des livres à la Stagh Lee mais il se montre encore plus sévère envers les Noirs qui cautionnent cette image de leur peuple. Sans nier les problèmes vécus par certains dans les ghettos noirs, Ellison soutient en parallèle qu'on peut - et que l'on doit - briser le cercle vicieux.

Mieux encore, Ellison démontre que, en refusant à leurs frères le droit d'accéder à la littérature, au savoir, à la connaissance, certains Noirs se montrent aussi racistes que les plus enragés des klansmen. Pour eux, qu'un Noir réussisse dans la société blanche, en utilisant les meilleures des armes mises au point par les Blancs, cela reste une trahison. Raisonnement d'une stupidité sans commune mesure, raisonnement suicidaire également que Monk - et Ellison derrière son personnage - rejette avec vigueur.

Bon, pour être franche, je n'ai pas trouvé le style particulièrement transcendant même si le contraste entre les extraits "Nouveau roman" de l'oeuvre d'Ellison et l'intégrale de "Ma Pataulogie" est une réussite absolue. Mais "Effacement" vaut largement le détour. C'est un livre qui interpelle (comment peut-on être noir ou conserver son identité, quelle qu'elle soit, sans se voir contraint, y compris par les siens, d'effacer ce qui, finalement, en soi, fait sa personnalité ?) et qui, j'en suis d'ores et déjà certaine, est de ceux que l'on relit tôt ou tard. ;o)


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