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Séance du 20/10/2008 : Un champ de bataille (De la pulsion au désir 1)

Publié le 27 octobre 2008 par Colbox

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Un champ de bataille
(De la pulsion au désir 1)

Je vous propose aujourd’hui une introduction assez générale à la notion de pulsion, et à son destin. Nous aurons tout le loisir cette année d’en détailler assez précisément chaque aspect, chaque remaniement, en suivant pas à pas le travail d’élaboration de Freud, puis de Lacan qui en fait l’un des 4 concepts fondamentaux de la psychanalyse avec l’inconscient, la répétition, et le transfert, dans le séminaire éponyme qu’il tint en 1964 à l’Ecole Normale Supérieure.
La pulsion est une notion d’autant plus difficile à cerner qu’elle est fondamentalement insaisissable en tant que telle. C’est en quelque sorte du réel qui insiste et qui échappe toujours à sa prise, en tant que telle, par le symbolique ou l’imaginaire. Freud écrira que les pulsions sont des êtres mythiques, une construction mythique au cœur même de la métapsychologie. Lacan lui, préférera parler de fiction, pour mieux mettre l’accent sur le rôle des signifiants dans l’affaire, rôle qu’il déploiera dans l’algorithme de la demande et le graphe du désir.
D’un strict point de vue étymologique, la pulsion vient du latin “pulsio”, qui est l’action de pousser. Ce qui nous introduit d’emblée à une notion de mouvement, de force en action.
Je vous propose de nous replacer dans le contexte du 19ème siècle, qui voit naître Sigmund Freud en 1856. C’est un siècle charnière dans l’histoire de l’humanité, c’est une époque très particulière de perte d’influence de la religion et de ses églises en Europe occidentale, et c’est aussi –et ce n’est sans doute pas un hasard-, le moment de l’éclosion de ce qu’on appellera la révolution industrielle. Le 19ème siècle est un temps de foisonnement des idées et des sciences qui vont bouleverser la vision du monde. Je retiens 2 ou 3 exemples de ces nouvelles théories, ces nouvelles conceptualisations dans lesquelles Freud a baigné et dont il s’est plus ou moins directement inspiré lors de l’invention de la psychanalyse.
En 1859 paraît “L’origine des espèces” de Charles Darwin (1809-1882). La théorie darwinienne rencontre d’emblée un écho immense dans les milieux intellectuels, et met un terme aux élucubrations ecclésiastiques sur l’origine de la vie. Vous pouvez déjà apercevoir que la théorie de l’évolution développée par Darwin n’est pas sans rapport avec la notion de vie pulsionnelle, c’est à dire avec la conception de forces de vie chez tout être vivant qui déterminent son évolution. En 1871, Darwin fait paraître “La filiation de l’homme et la sélection liée au sexe”. Dans ce livre, il applique à l’homme sa théorie de la sélection. Il distingue 2 types de sélection, la sélection naturelle qui consiste en quelque sorte à la lutte pour la survie de l’individu, et la sélection sexuelle qui rend compte de la compétition inhérente entre humains en vue de l’accouplement. Cette dualité des mécanismes évolutionnistes se retrouvera constamment dans la dualité pulsionnelle élaborée par Freud.
Le 19ème siècle, c’est aussi la naissance et l’essor de la thermodynamique, aujourd’hui intégrée au champ de la physique. Au départ, la thermodynamique est la science de la chaleur et des machines thermiques. Le principe de base consiste à considérer la chaleur comme une énergie, comme une force quantifiable et mesurable. D’ailleurs énergie en grec signifie “force en action”. Et la thermodynamique va se développer en s’intéressant à toutes sortes d’énergie, elle devient la science des grands systèmes en équilibre. Dans cette perspective, le scientifique allemand Hermann von Holmholtz (1821-1894) élabore le principe de conservation de l’énergie, qui peut s’énoncer ainsi : l’énergie ne peut ni se créer, ni se détruire, mais uniquement se transformer d’une forme à une autre ou être échanger d’un système à un autre. De nombreux travaux scientifiques contemporains du jeune Freud portent sur cette notion d’énergie, et de son destin. Et c’est en toute connaissance de cause que Freud va s’y appuyer pour théoriser la vie pulsionnelle.
Enfin, dernier point de ce contexte historique, la philosophie du 19ème siècle, et surtout sa seconde moitié, est marquée par la figure de Friedrich Nietzsche (1844-1900) qui élabore ce qu’il appelle la métaphysique. Alors, Freud dira n’avoir pas lu Nietzsche avant de concevoir sa métapsychologie, mais force est de constater la parenté entre les 2 démarches, entre ces 2 signifiants.
Dans ces écrits, et notamment au début de “Par delà bien et mal”, Nietzsche réfute le primat de la conscience alors en cours dans la psychologie traditionnelle. Il développe une sorte de psychologie des profondeurs, qui met en avant l’affrontement ou l’association entre les instincts, les pulsions, et les affects ; la conscience n’étant plus qu’une perception tardive, secondaire des effets de ces jeux de forces inconscientes. Dès lors, Nietzsche est amené à se poser ce genre de questions : quelle structure pulsionnelle incarnée par tel ou tel homme conduit à tel type de jugement ? Veut-on, par la morale, discipliner les instincts, et dans ce cas, dans quel but ? Ou veut-on les anéantir, et dans ce cas, est-ce parce qu’ils sont jugés néfastes, dangereux, est-ce qu’ils sont, en tant que phénomènes naturels, l’objet de haine ou de ressentiment ? Le premier cas peut être l’expression d’un besoin de croissance, le second d’une logique d’autodestruction. (Source : wikipedia)
“Par delà bien et mal” a été publié en 1886, Freud est alors âgé de 40 ans. C’est de cette ambiance culturelle, de ces signifiants que naîtra sa réflexion sur la vie pulsionnelle.
Freud lui, n’est pour autant pas philosophe, il est médecin, neurologue, et il s’intéresse à ce qu’il appelait les psychonévroses, et plus précisément, à l’hystérie. Très vite, l’étiologie sexuelle des symptômes observés s’imposera à lui. La force, l’énergie à l’œuvre dans la constitution du symptôme, au bout du bout, ce n’est toujours que l’énergie sexuelle. Ce qu’il nommera libido, c’est à dire la manifestation dynamique dans la vie psychique de la pulsion sexuelle. La libido comme représentant, dans le psychique, de la pulsion sexuelle.
Freud ne se départira jamais de l’origine organique, somatique même du phénomène pulsionnel. Et il ne faut confondre cette origine, ce qu’il appelle la source, et la pulsion elle-même. La pulsion naît, s’origine d’une excitation, d’un trop plein d’énergie au niveau organique. Nous retrouvons là les lois de la thermodynamique dont je vous parlais tout à l’heure : l’énergie ne se perd ni ne se créée, elle se transforme ou se transmet. C’est pourquoi la notion de pulsion chez Freud est avant tout un phénomène dynamique, on a affaire à une sorte d’énergie originaire, inhérente à l’être vivant, à l’organique, à laquelle il ne peut échapper, et qu’il est sommé de transformer ou de transmettre.
C’est ici qu’intervient la spécificité de l’être parlant, en tant que justement il parle et qu’il est aliéné au signifiant. Chez la plupart des animaux, cette énergie se voit imposer toute une série de comportements héréditaires, elle se transforme en schèmes de conduites préprogrammées et spécifiques à chaque espèce. C’est ce que en français on nomme l’instinct : nul besoin de sujet pour ce que l’instinct fait vivre à l’animal, à son corps défendant pourrait-on dire. La simple observation des mœurs sexuelles de nos animaux favoris suffit pour s’en convaincre.
Il en est tout autrement pour l’homme, qui doit se débrouiller avec cette énergie. Et en première approximation, la pulsion représente le travail psychique nécessaire à la transformation de cette force énergétique, qui pousse de l’intérieur du corps et qui n’est plus aussi régulée par les automatismes instinctuels.
Lorsque nous allons aborder les textes freudiens, nous allons nous heurter à une première difficulté, liée non seulement à la traduction du texte allemand, comme souvent chez Freud, mais aussi à une certaine hésitation de Freud dans le choix de son vocabulaire.
Dans les premiers textes, Freud semble employer indifféremment Trieb et Instinkt. Trieb est forgé à partir du verbe “Treiben”, qui signifie mettre en mouvement. D’un point de vue étymologique, c’est donc bien l’équivalent du mot français, pulsion, tous 2 indiquent un mécanisme dynamique de poussée.
Instinkt s’origine lui des travaux des biologistes du 19ème siècle, pour expliciter le déterminisme à l’œuvre dans les conduites animales.
A partir de 1895, avec l’ “Esquisse d’une psychologie scientifique”, Freud va commencer à privilégier l’emploi de Trieb, usage qu’il qui deviendra définitif avec “Pulsions et destin des pulsions” en 1915.
Mais dans les traductions françaises, Trieb a longtemps été traduit par instinct, ce qui pose quelques problèmes. C’est en 1967, avec la parution sous l’impulsion de Lacan du “Vocabulaire de la psychanalyse” de Laplanche et Pontalis, que se fixe définitivement la traduction de Trieb en pulsion.
Ce n’est pas mieux dans le monde anglo-saxon. L’anglais connaît le terme “drive” -que Lacan traduira par dérive-. Drive donc, qui indique bien cette notion de mouvement commune au Trieb et à la pulsion. Mais la “Standart Edition”, les œuvres complètes de Freud en langue anglaise, a adopté le terme d’Instinct pour traduite Trieb.
Vous voyez qu’en terme de pulsion, rien n’est jamais simple ni définitivement établi : cette notion de mouvement est elle-même toujours en mouvement, toujours mouvante.
Sans dévoiler le travail de cette année, je terminerais sur quelques repères dans l’élaboration freudienne de la notion de pulsion. On s’accorde généralement pour distinguer 3 périodes, 3 moments successifs dans la construction de la théorie freudienne de la vie pulsionnelle.
Tout d’abord, il y a cette notion de pulsion comme à l’origine des manifestations névrotiques. En quelque sorte, le symptôme apparaît comme le ratage du travail psychique exigé par l’énergie sexuelle qui insiste dans l’organique.
Très vite, dans ces premiers temps, et sur le modèle darwinien dont je vous parlais tout à l’heure, Freud va distinguer les pulsions du moi, en charge de l’auto conservation de l’individu, et les pulsions sexuelles qui se destinent à la conservation de l’espèce, et accessoirement, à la satisfaction érotique.
Le symptôme va alors se concevoir comme le conflit entre les pulsions sexuelles et les pulsions du moi, entre les revendications de la libido et l’intégrité ou la conformité du moi. Pour autant, l’homme n’a pas affaire à une pulsion unique, unifiante, globale, mais à des pulsions partielles qui concourent à venir représenter tout le champ des investissements libidinaux potentiels de l’être parlant.
L’introduction du narcissisme dans le corpus psychanalytique en 1914 vient contrecarrer cette dualité pulsionnelle. En effet, le narcissisme se présente comme l’investissement libidinal du moi. Une révision s’impose, et ce sera la libido elle-même, en tant que représentant des pulsions sexuelles, qui va se diviser en 2 catégories, la libido du moi et la libido objectale.
Le 3ème temps théorique intervient avec la seconde topique. En 1919, avec “Au delà du principe de plaisir”, Freud introduit la notion de Todestrieb, la pulsion de mort. Avec Eros et Thanatos, Freud maintient la dualité fondamentale de la vie pulsionnelle –malgré et contre la conception jungienne d’une énergie universelle unique.
En ces lendemains de 1ère guerre mondiale, Freud envisage la vie psychique comme un champ de bataille, Eros et Thanatos s’affrontant pour l’éternité : “toute activité psychologique est de nature conflictuelle” écrira t-il.
Pour autant, les 2 pulsions restent étroitement intriquées, jamais l’une sans l’autre : “une opposition entre une théorie optimiste de la vie et une théorie pessimiste n’entre pas en ligne de compte, seule l’action conjuguée et antinomique des 2 pulsions Eros et la pulsion de mort explique la bigarrure des manifestations de la vie, aucune de ces 2 pulsions n’agit jamais seule” écrit-il en 1937 dans les “Nouvelles conférences”.
Le pas de Lacan s’effectue durant ce séminaire de 1964. Par sa lecture du texte freudien, Lacan énonce la pulsion comme modalité de prise en charge de l’organique par l’être parlant. Il met en avant le rôle des orifices, ce qu’il appelle la topologie de bord. Et surtout, il invente l’objet petit a, cause du désir, autour duquel tourne indéfiniment la pulsion en le ratant sans cesse.
Je terminerais par ce mot de Freud qui date de 1924 : “La théorie des pulsions est la question la plus significative, mais aussi la moins avancée de la théorie psychanalytique”.

Christian Colbeaux (20/10/08)


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