Les enseignements collateraux de la libération d'Ingrid

Les suites de la libération d’Ingrid Betancourt sont révélatrices, jusqu’à la caricature, de (presque) tout ce que la société française peut avoir comme travers exaspérants.

Le plus apparent, et qui a déjà été largement dénoncé par une grande partie de la blogosphère, c’est la sirupeuse et omniprésence médiatisation de cet évènement. Je reviens sur ce point, non pas pour accabler encore un peu plus les médias, ce qui me semble une réaction un peu facile malgré leur indéniable et conséquente part de responsabilité, mais parce qu’il est révélateur d’une Société complètement gangrénée par le culte du people, par ce besoin d’admirer béatement la célébrité médiatique et de préférence lucarnique.

Attention, je ne fais pas pour autant l’amalgame entre Ingrid Betancourt et les habituels objets de culte télévisuels. Contrairement à beaucoup de ces derniers, Ingrid Betancourt est une femme réellement extraordinaire, qui allie un grand courage à des qualités intellectuelles et humaines peu communes.
De ce fait, il ne me semble pas scandaleux à s’intéresser à son sort et à ce qu’elle peut nous dire sur son expérience. Néanmoins, les excès d’attention sinon de curiosité dont elle a été l’objet, relèvent, toutes proportions gardées, du même phénomène qui est à la source des fans club de Jérôme kerviel ou de Steevie respectivement escroc et idiot.

Dans tous les cas, c’est comme si le passage à la télévision avait pour effet, chez les téléspectateurs, de transformer la matière grise en guimauve rose.

Bien évidemment, ce phénomène profite largement aux médias, qui comme toute entreprise à la recherche du profit, en usent et en abusent. Et ça marche si on en croit le volume de ventes des Paris Match, Voici et autres Closer ou encore les scores ahurissants des émissions de voyeurs de type Secret Story et autres Ile de la tentation.

Mais le phénomène de déification de la célébrité médiatique est également largement utilisé par les politiques et particulièrement par le premier d’entre eux.

Le 14 juillet, Nicolas Sarkozy a remis à Ingrid Betancourt, la légion d’honneur !

Pourquoi ? à quel titre remet-on à cette femme la plus prestigieuse décoration de la République Française ?... Qu’a-t-elle fait pour la France qui mérite que celle-ci lui en soit reconnaissante ? … est-ce le fait d’avoir survécue à 6 ans de captivité dans la Jungle ?
Certes, quand on sait que Christian Clavier a été fait Chevalier de la Légion d’honneur par son ami Sarkozy, on est raisonnablement en droit de se dire «pourquoi pas Ingrid Betancourt » ?

Mais partant de ce principe, pourquoi ne pas honorer ma concierge, l’épicier arabe ouvert 7 jours sur 7 et 22 heures par jour ou l’institutrice de mon fils tous très méritants qui font au moins autant pour la France et en retirent moins d’avantages que Christian Clavier ou Ingrid Betancourt.

Dans cette histoire, la question n’est pas tellement de savoir s’il vaut mieux honorer Christian, Ingrid ou Paulette mais comment on peut accepter que dans une république, les politiques au pouvoir puissent encore distribuer de manière discrétionnaire, au nom de la République française, une distinction à si forte valeur symbolique !

La Légion d’Honneur est devenue une breloque distribuée généreusement par les gouvernants à tous leurs copains voire même aux copains de leurs copains, ou dans le cas d’Ingrid Betancourt, à tous ceux ou celles dont ils espèrent ainsi profiter de la notoriété. Dans un trop nombre de cas la Légion d’Honneur ne sert qu’à récompenser des services rendus non pas à la Patrie mais au Président ou à un de ses ministres. Elle contribue également à la formation d’une cour de quémandeurs d’honneurs prêts à une éternelle reconnaissance vis-à-vis du Prince.

Là encore, Ingrid Betancourt n’est pas particulièrement en cause mais sa décoration est révélatrice d’une pratique de la république à la fois anachronique, profondément choquante et quelques fois grotesque comme le fait de décorer les derniers « poilus » uniquement parce qu’ils ont eu le mérite de survivre jusqu’à la prochaine cérémonie du 11 novembre.

Le traitement fait de la libération d’Ingrid Betancourt est également intéressant parce qu’il révèle de la petitesse de certains(es) ….suivez mon regard…..et également de la mentalité complètement dévoyée de certains anti bien-pensants, qui font leur fond de commerce de la dénonciation de la « pensée unique », de ceux qui, tel David contre Goliath, combattent inlassablement l’omniprésent pouvoir politico-médiatique qui endors les p’tits gens à coup d’histoires à l’eau de rose pour les détourner d’une réalité gênante.

Le caractère exceptionnel d’Ingrid Betancourt, son sauvetage auquel plus personne ne croyait, le soutien dont elle a bénéficié durant ses 6 années de détention de la part de nombreux français, le courage et la ténacité de sa famille méritaient un traitement exceptionnel et ce n’est pas parce qu’il a été excessif sinon même quelques fois ridicule qu’il faut pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain.

Critiquer méchamment Ingrid Betancourt pour ses manifestations de religiosité, railler l’émotion suscitée par sa libération, regretter le cout financier de l’opération de rapatriement ou aller imaginer des histoires abracadabrantesques sur une fausse détention, ou une vraie fausse libération, tient de l’intolérance, de la mesquinerie ou de la critique systématique de tout ce qui peut ressembler à un consensus.

Malheureusement, en France, nous sommes des vieux habitués de la chose, tout ce qui vient « d’en haut » est par essence suspect, les hommes politiques nous mentent, la version officielle participe évidemment à camoufler un complot ourdi par le Pouvoir et dont nous, pauvres citoyens, sommes les éternelles victimes.

Il ne s’agit pas d’être naïf ou bête et discipliné, et on a le droit de s’interroger sur les modalités de cette libération ou de ne pas apprécier la récupération qu’essaye d’en faire Sarkozy mais cela ne justifie pas d’accabler Ingrid Betancourt parce qu’à voir le mal partout et à tout considérer en blanc ou en noir on est devenu incapable de faire dans la nuance et de distinguer l’important de l’accessoire.

Notre Société fonctionnerait certainement mieux si les rapports sociaux et politiques étaient plus détendus et si tous les évènements n’étaient pas considérés avec méfiance et suspicion et ne servaient pas systématiquement de prétextes à de vaines et stériles polémiques.