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L'escalade militaire au Sri Lanka accule l'Inde à sortir de sa réserve

Publié le 27 octobre 2008 par Theatrum Belli @TheatrumBelli

SRI.jpgLa guerre civile au Sri Lanka, l'un des conflits oubliés les plus sanglants de la planète, s'est invitée ces derniers jours au coeur de la politique indienne, forçant New Delhi, depuis la mi-octobre, à sortir de son silence diplomatique en affichant une posture de médiateur. Samedi 18 octobre, dans une intervention sans précédent depuis l'assassinat en 1991 de l'ex-premier ministre Rajiv Gandhi par une combattante de l'armée rebelle des Tigres tamouls, le gouvernement indien a prié les autorités du Sri Lanka de ménager les civils à l'heure où les combats font rage autour des réduits séparatistes dans le nord de l'île.

L'armée de Colombo a intensifié depuis l'été son offensive autour de la localité de Killinochchi, "capitale" des Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE), le mouvement qui a pris les armes depuis 1983 pour doter la minorité tamoule d'un Etat indépendant dans ses bastions de l'est et du nord du pays. Selon des sources officielles, l'état-major séparatiste serait sur le point de tomber, mais les Tigres ont pour l'instant démenti cet optimisme en opposant une farouche résistance à l'avancée des troupes sri-lankaises.


Sur le terrain, la situation humanitaire est désastreuse. L'armée ayant bloqué l'accès aux zones de combat, de nombreux civils sont piégés. A la mi-septembre, Colombo avait sommé les agences onusiennes et les organisations non gouvernementales (ONG) de quitter les lieux. Depuis la reprise des combats à grande échelle en 2006, qui avait sanctionné l'échec du processus de paix parrainé par la Norvège, environ 230.000 civils sont devenus des réfugiés de l'intérieur, aggravant un bilan humanitaire déjà très lourd. En l'espace de vingt-cinq ans, la guerre civile au Sri Lanka a tué 70.000 personnes.

Fait nouveau, cette escalade militaire vient d'acculer l'Inde à s'arracher à sa relative indifférence. Après le fiasco de son opération de "maintien de la paix" au Sri Lanka (1987-1989), qui avait dérapé en guerre frontale contre les Tigres pour culminer avec l'assassinat de Rajiv Gandhi, le gouvernement indien était échaudé. A New Delhi, plus personne ne voulait entendre parler d'une intervention dans le bourbier sri-lankais. Or la donne vient de changer.

Le déclic est venu du Tamil Nadu, l'Etat méridional de la fédération indienne dont la population tamoule éprouve des sentiments de solidarité ethnique envers les Tamouls du Sri Lanka, distant d'à peine une trentaine de kilomètres au-delà du détroit de Palk. A la mi-septembre, une conférence réunissant à titre exceptionnel des partis politiques du Tamil Nadu a solennellement demandé à New Dehli de s'impliquer dans la crise sri-lankaise. Dénonçant le "génocide ethnique" antitamoul au Sri-Lanka, ces formations du Tamil Nadu ont exigé du gouvernement fédéral non seulement qu'il fournisse une assistance humanitaire aux populations civiles, mais aussi qu'il impose à Colombo un cessez-le-feu et, à terme, un "règlement politique" du conflit. Faute de quoi, les partis politiques du Tamil Nadu - tel le Dravida Munnetra Kajagam (DMK) - affiliés à la coalition gouvernementale dirigée par le Parti du Congrès reprendraient leur liberté.

A New Delhi, la menace a été prise au sérieux. Après le départ en juillet du Parti communiste indien (PCI-M) pour cause de désaccord autour du pacte nucléaire civil signé avec les Etats-Unis, le Parti du Congrès veille à colmater les brèches de sa coalition. Aussi le premier ministre, Manmohan Singh, est-il sorti de sa réserve pour apaiser la fronde au Tamil Nadu. Il a téléphoné à son homologue sri-lankais, Mahinda Rajapaksa, pour lui demander d'épargner les civils et l'a exhorté à amorcer un "processus politique" devant conduire à un "règlement négocié" du conflit. Depuis, la température est retombée au Tamil Nadu.

New Delhi peut toutefois difficilement aller plus loin. Les dirigeants indiens ne voudraient surtout pas donner l'impression de ménager les intérêts des Tigres du LTTE, organisation interdite en Inde et honnie pour sa responsabilité dans l'assassinat de Rajiv Gandhi. Surtout, ils prennent soin de ne pas offenser le gouvernement de Colombo avec qui la coopération militaire est plutôt florissante. A l'heure où le Sri Lanka est courtisé par la Chine, associée à l'aménagement du port de Hambantota (Sud), mais aussi par le Pakistan, qui a récemment resserré ses liens militaires avec Colombo, l'Inde ne peut s'offrir le luxe de perdre son statut de partenaire privilégié.

Source du texte : LE MONDE.FR


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