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La vengeance du pied fourchu 20

Publié le 30 octobre 2008 par Porky

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QUATRIEME PARTIE

« Et qu’a dit Philippe, finalement ? » s’enquit Martin à qui Missia venait de raconter toute l’histoire du collier. « Il est entré dans une colère noire. Tu penses, avare comme il est, voir son argent partir en fumée, si j’ose dire ! » Elle se mit à rire de bon cœur. « C’est Catherine qui n’en menait pas large. D’ailleurs, aux dernières nouvelles, on n’a toujours pas retrouvé ce fichu collier. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir cherché, je te l’assure. » Martin lui jeta un regard étonné. L’histoire en elle-même n’avait rien d’effrayant mais si on la rapprochait du comportement bizarre de Catherine, cela devenait plus inquiétant. Et tout ce que Missia trouvait à faire, c’était de rire, comme si ce n’était qu’une bonne blague. « Je te trouve bien détendue, remarqua-t-il. Pour quelqu’un que le diable menace constamment, tu ne sembles pas tellement prendre les choses au sérieux. » « Mais si, affirma Missia en hochant la tête. Je sais bien que cette histoire de collier a quelque chose de très étrange ; mais je ne peux pas non plus passer mon temps à avoir peur de tout. » « Et pourtant, tu devrais. J’emmène demain mes moutons dans les alpages et tu vas te retrouver toute seule. » « Voyons, jusque là, tu ne m’as pas été d’un grand secours, n’est-ce pas ? » rétorqua Missia en examinant une fleur qu’elle venait de cueillir. « Parce qu’il ne t’est encore rien arrivé, dit Martin, froissé et peiné. Mais vu la façon dont tu agis, cela ne saurait tarder. » Elle se leva, s’approcha de lui et passa ses bras autour de sa poitrine. « Oh, Martin, ne te vexe pas pour si peu. Je te promets de faire attention. D’ailleurs, j’ai tout intérêt à me montrer prudente. Hier soir, j’ai voulu nettoyer la statuette au-dessus de la porte et je l’ai laissée tomber. Elle est en mille morceaux. Maman était dans un état… » Le jeune homme sursauta, se retourna brusquement et saisit les mains de la jeune fille dans les siennes. « Tu ne parles pas sérieusement ? La statuette protectrice n’est pas cassée ? » « Hélas, si, dit Missia avec un soupir. C’est un gros ennui, évidemment. Heureusement, il me reste mon flacon d’eau bénite. Mais je ne sais plus où je l’ai mis. Avec tout ce qui est arrivé récemment, j’avoue ne plus trop savoir où j’en suis. »

Le ton désinvolte contredisait le sérieux des paroles. Martin examina avec attention sa fiancée, laquelle se laissa dévisager sans rien dire, avec un gentil sourire aux lèvres. « Je crois que je vais remettre mon départ, grommela Martin. Tu n’es pas dans ton état normal. » Elle ouvrit de grands yeux étonnés. « Qu’est-ce que tu racontes ? Je vais très bien. C’est Catherine qui broie du noir. Mais elle finira bien par le retrouver, son collier. Je te parie qu’elle est somnambule et qu’elle est allée une nuit le planquer dans la montagne. » Le terme « planquer » fit sourciller Martin. Missia n’était jamais familière dans ses paroles, ou bien, c’était parfaitement volontaire. Le mot semblait avoir jailli spontanément de ses lèvres, sans qu’il y eût la moindre volonté de sa part. « Pars demain, continua Missia. Trois mois, ce n’est pas si long. Et s’il arrive quoi que ce soit, je m’arrangerai pour te prévenir. » « Comment ? » « Je ne sais pas ; j’aviserai le moment venu. » Elle se suspendit à son cou, réclama un baiser qu’il lui donna avec une certaine réticence, sans sa chaleur habituelle. « Et bien ? fit-elle avec une moue désarmante. C’est moi qui devrais te demander ce qui t’arrive. Tu appelles ça un baiser, toi ? » « Excuse-moi, fit Martin, gêné. Mais… » Comment lui avouer qu’elle avait changé, qu’elle ne semblait plus être la Missia qu’il aimait plus que tout au monde ? Le lui dire ne servirait de rien car elle trouverait toujours une bonne explication à ce phénomène. Il se réfugia donc dans le mensonge. « … Je m’inquiète un peu pour le départ de demain. Tu sais bien comment je suis. Une fois là-haut, ce sera différent. Heureusement, Arnaud va m’accompagner une partie du chemin. » « Vraiment ? dit Missia. Il ne m’en a pas parlé. Mais c’est une bonne idée. » Le soleil commençait à disparaître derrière la montagne. Martin frissonna tout à coup. Un rayon de soleil glissa tout à coup sur les épaules de Missia et les cheveux d’or rayonnèrent d’un éclat presque insoutenable. Il ferma les yeux un instant. Elle semblait encore plus belle qu’auparavant, plus désirable, aussi. Et pourtant, jamais il n’avait eu moins envie de la prendre dans ses bras.

« Rentre chez toi, dit-il enfin. Je vais finir les préparatifs. Demain, je me mettrai en route très tôt. Tu viendras me voir, là-haut ? ajouta-t-il malgré lui. » Elle sourit tendrement. « Evidemment. Tu crois que je suis capable de me passer de toi aussi longtemps ? Et je resterai même plusieurs jours. Tant pis pour les commères du village. Qu’elles bavardent, aussi bien, elles le font depuis si longtemps ! » Il retrouvait la Missia qu’il connaissait dans cette remarque désabusée et saupoudrée d’ironie. Il la prit dans ses bras et l’embrassa de nouveau. Et de nouveau, il n’y trouva qu’un plaisir très médiocre. « A bientôt », dit-elle en agitant la main et il la vit descendre le chemin avec la grâce et la légèreté d’un jeune chamois.

Alors qu’il venait de se coucher et peinait à trouver le sommeil, Martin entendit quelques coups frappés doucement sur la porte. Il se redressa, alarmé. Qui pouvait bien venir à cette heure ? Il hésitait à se lever, à ouvrir ; mais les coups se firent plus forts, plus pressants. Et puis, la voix de Missia s’éleva. « Martin, ouvre, c’est moi. J’ai quelque chose de très important à te dire. »

D’un bond, il sortit de son lit et tira le verrou. Enveloppée dans un châle noir, Missia était debout sur le pas de la porte et paraissait préoccupée. Elle entra rapidement, lui fit signe de refermer la porte. Le fait que le jeune homme soit torse nu ne provoqua chez elle aucun commentaire et pas l’ombre d’une gêne ou d’un mouvement de recul. « J’ai besoin de toi, commença-t-elle sans lui laisser le temps de poser une question. Tu te souviens de ce que j’ai dit cet après-midi au sujet du collier ? En fait, c’était une plaisanterie. Et puis, j’ai réfléchi. Je me suis dit que si Catherine était vraiment somnambule, il était possible qu’elle ait emporté le collier et l’ait laissé dans la cabane d’Asphodèle puisque c’est dans cette direction que Rosette l’a vue marcher. Viens avec moi, cela ne prendra pas beaucoup de temps. On fait juste l’aller retour, le temps de vérifier si mon raisonnement est juste ou non. » Il n’avait pas voulu l’interrompre, curieux de savoir ce qu’elle avait de si urgent à lui communiquer. Mais sa proposition était si déraisonnable qu’il refusa aussitôt. Non, pas question. Il devait absolument dormir, il était fatigué, et cette course jusque chez Asphodèle était totalement insensée. Missia, qui devait se douter que la réponse serait d’abord négative, insista tant et si bien que pour avoir la paix, Martin finit par accepter et acheva de s’habiller en maugréant. « Je te promets que ça ira très vite, dit-elle, les yeux brillants. Après, tu pourras dormir tout ton soûl. »

En fait, elle avait raison. Le chemin parut à Martin beaucoup moins long que d’habitude. Et la présence de Missia semblait l’avoir rendu plus souple, plus rapide. Déjà, la cabane apparaissait, étrange forme noire baignée par le clair de lune. Sans hésiter, Missia poussa la porte et s’engouffra à l’intérieur. La lanterne qu’elle avait eu le bon sens d’emporter diffusait autour d’elle une lumière faible et mouvante. Mais sur la cheminée, Martin discerna nettement une lueur verte. « Le collier, chuchota Missia. Tu voix, j’avais raison. Cette folle l’a sans doute caché ici en se disant que l’endroit était sûr. » « C’est idiot, protesta Martin dont le bon sens se révoltait. Elle passait son temps à le trimballer avec elle. Pourquoi aurait-elle tout à coup changé d’avis ? » « Je ne sais pas, avoua Missia. Mais le fait est là : le collier se trouve dans cette cabane. On va le lui rapporter, je me charge de lui expliquer comment je l’ai retrouvé. La cheminée est trop haute pour moi. Prends-le, s’il te plait. »

Une étrange répulsion envahit le jeune homme lorsqu’il s’approcha de l’âtre. Il resta un long moment immobile, incapable de tendre la main et de se saisir du collier. « Et bien, dépêche-toi, s’impatienta Missia. Plus vite tu le prendras et plus vite nous redescendrons. » Avec une répugnance indicible, Martin s’empara enfin du bijou et le donna aussitôt à Missia qui le mit dans la poche de sa jupe. « Parfait, dit-elle. Retournons au village. Je suis désolée de t’avoir volé une heure de sommeil. Voilà pour ta récompense. » Elle déposa un baiser sur sa joue. « Viens, dit-elle. Donne-moi la main. On n’y voit pas grand-chose et j’ai un peu peur de tomber. » Martin se sentait à la fois oppressé par le lieu et soulagé d’en avoir fini avec cette promenade absurde. Il se saisit de la main de Missia.

(A suivre)


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